Le Territoire des Barbares – Rosa Montero

Titre original : El corazon del Tartaro
Traduction (espagnol) : André Gabastou
Editions Métailié, 2001, 225 pages

 

Les premières phrases :
Le pire, c’est que les malheurs n’ont pas l’habitude de s’annoncer. Il n’y a pas de chiens qui hurlent à l’aube pour nous signaler la date de notre mort, et nul ne sait, au lever du jour, si c’est une journée de routine ou une catastrophe qui l’attend.
 

 

L’histoire :
Tiens, et si je prenais le résumé de la quatrième de couverture ? J’essaye de ne pas en abuser, mais il se trouve que celui de la présente édition est excellent.
Zarza est réveillée un matin par une voix qui lui murmure au téléphone : “Je t’ai retrouvée.” Elle prend la fuite, poursuivie par quelqu’un ou quelque chose lié à un passé qu’elle cache et veut oublier. Pendant vingt-quatre heures de vertige, la fugitive va parcourir tous les territoires de l’enfer : les bas-fonds de la drogue, royaume nocturne de la Reine, la misère, les relations étranges qu’elle entretient depuis l’enfance avec son père et son frère jumeau… Tout surgit à nouveau avec la force irrésistible des fleuves infernaux, en un parallélisme angoissant avec les sombres histoires médiévales sur lesquelles elle travaille.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je n’aurai donc pas attendu bien longtemps avant de me replonger dans l’univers de la talentueuse Rosa Montero, quelques jours à peine après avoir succombé au fabuleux Roi Transparent. Le sujet du Territoire des Barbares me tentait moins à priori, mais la bibliothèque n’en avait pas d’autre en stock, aussi n’ai-je pas vraiment eu le choix… Si j’ai préféré Le Roi Transparent, j’ai tout de même été une nouvelle fois conquise par la plume de l’auteur espagnol. Les deux romans semblent très différents au premier abord, mais présentent en réalité de nombreuses similitudes. On retrouve l’écriture très fluide et le sens de la narration affûté de Rosa Montero, laquelle excelle à créer des univers originaux, dans lesquels évoluent des personnages atypiques, vivant des aventures décidément bien étranges. Tout semble pourtant couler de source, au fur et à mesure que se déploie un récit d’une apparente simplicité, qui se révèle néanmoins d’une surprenante richesse.
On s’attache très vite à l’héroïne, dont le passé tragique nous est peu à peu dévoilé. Zarza, junkie repentie, est un petit animal apeuré, meurtri, dont le caractère a été profondément et durablement altéré par une histoire familiale complexe. Un père incestueux… Une mère dépressive… Un frère jumeau dont elle subit pendant des années l’influence néfaste… Un autre frère attardé mental… C’est dans cet environnement vicié que la pauvre Zarza a commis des actes irréparables, parfois violents, auxquels elle doit désormais faire face. La jeune femme fouille sa mémoire à la recherche de souvenirs refoulés, et s’interroge sur ce qui a bien pu motiver ces débordements. Est-elle fondamentalement mauvaise ? Mérite-t-elle d’être punie ? En dépit de ses nombreuses fêlures, Zarza tient à la vie, et fait preuve d’une force de caractère insoupçonnée. Pour survivre, elle accepte de se confronter à ses peurs et à ses démons, au cours de ces vingt-quatre heures salvatrices qui  lui permettront (peut-être) de prendre un nouveau départ.

 

Rosa Montero fait preuve de beaucoup de finesse dans l’analyse psychologique, et les personnages secondaires sont également très travaillés. J’ai beaucoup aimé le portrait plein de sensibilité qu’elle dresse de Miguel, le petit frère arriéré, obnubilé par son Rubik’s Cube. Même remarque concernant Urbano, un menuisier placide et rassurant dont la présence terre à terre constituera pour Zarza un solide refuge lorsque celle-ci sera au fond du gouffre. Ce dernier m’a d’ailleurs rappelé le personnage de Leon dans Le Roi Transparent.

 

L’errance de Zarza nous conduit aux quatre coins d’une Madrid hivernale où règne une ambiance lourde et pesante, illuminée par la présence de cette héroïne attachante et énergique, dont on suit pas à pas la fuite éperdue. La description du monde de la drogue et de son emprise sur des jeunes gens paumés et psychologiquement affaiblis est très subtile. Rosa Montero ne cherche pas à édulcorer la réalité, et n’hésite pas à évoquer de façon très crue la violence de certaines scènes.  Le roman se conclut sur une note d’espoir, mais le malaise ne sera jamais totalement dissipé.

 

Signalons enfin une construction originale, qui renforce la filiation avec Le Roi TransparentZarza est éditrice, spécialisée dans les textes médiévaux. Elle travaille notamment sur la publication d’une nouvelle version du Chevalier à la Rose, dont l’histoire nous est contée tout au long du roman, en alternance avec l’intrigue principale. Les aventures vécues par la jeune femme entrent ainsi en résonance avec les vieux récits de chevalerie, dont les principaux ressorts semblent être la trahison et l’amour, qu’il soit romantique ou fraternel. Le texte propose également plusieurs références aux mythes grecs, l’expérience de Zarza avec la drogue pouvant être assimilée à une lente descente aux Enfers.

 

Vous l’aurez compris, je suis plus que jamais convaincue par l’auteur, dont chaque roman possède un petit quelque chose d’original qui le démarque de tout ce que j’ai pu lire par ailleurs. On peut ne pas adhérer à l’univers proposé, mais le talent de Rosa Montero est assurément bien réel.Vivement le prochain !

 

Un excellent roman psychologique, troublant et parfaitement maîtrisé.

 

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Nouvelle participation aux 12 d’Ys, dans la catégorie “Auteurs espagnols contemporains”.
 

12 thoughts on “Le Territoire des Barbares – Rosa Montero

  1. Je vais m'empresser de découvrir cet auteur car j'aime les analyses psychologiques des personnages. Si c'est en plus avec de l'originalité, c'est super. Je n'ai pas trouvé cet auteur dans ma bibliothèque sinon je l'aurais choisi dans le challenge d'Ys. Aussi, j'ai lu Léonardo Padura qui n'est pas mal non plus. De belles découvertes dans ce challenge!

  2. Elle me réconciliera peut être avec la littérature espagnole qui pour l'instant me laisse un peu de glace. Je renote son nom en haut de ma liste de livres à emprunter en bibli 😉

  3. Que je suis contente : des lecteurs qui continuent le challenge une fois le challenge bouclé, et qui sont contents de leurs découvertes, ça me fait vraiment plaisir !

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