Une saison à Longbourn – Jo Baker

Titre original : Longbourn
Traduction (anglais) : Sophie Hanna
La Cosmopolite, Stock, 2013, 394 pages

 

La première phrase : 
Il était aussi impossible de porter des vêtements sans les avoir blanchis que de sortir sans vêtements, en tout cas certainement pas dans le Hertfordshire, et en septembre.

 

L’histoire :
Longbourn, Hertfordshire. Les journées se suivent et se ressemblent pour Sarah, orpheline entrée dès sa plus tendre enfance au service de la famille Bennet. La jeune femme de chambre travaille d’arrache-pied du matin jusqu’au soir, sous la supervision bienveillante de la généreuse et néanmoins très pointilleuse intendante Mrs Hill, qui veille à ce que chaque tâche quotidienne soit effectuée à la perfection. Toute la journée, elle lave, coiffe, coud, raccommode, vide les pots de chambre et accède aux moindres demandes des cinq demoiselles Bennet, désormais en âge de se marier. La jeune domestique se sent toutefois à l’étroit dans cet univers terne et étriqué, et aspire à découvrir de plus vastes horizons. Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir un jour voler de ses propres ailes, sans avoir à se plier aux exigences d’un maître et aux contraintes d’une vie de servitude ? L’installation dans le domaine voisin de Netherfield du riche et séduisant Mr Bingley, accompagné de son valet et d’une horde de domestiques venus de la ville, rompt la monotonie du quotidien, et met la maisonnée en émoi. Tandis que Mrs Bennet frétille d’excitation à l’idée de marier sa fille aînée à un aussi beau parti, Sarah fait quant à elle la connaissance du fascinant Ptolémée, qui l’attire bien davantage que son jeune collègue James Smith, tout récemment engagé comme valet par Mr Bennet.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’ai eu la chance de remporter ce roman “para-austenien” par le biais du concours organisé par notre amie Alice, en partenariat avec les éditions Stock. Je remercie mes généreux bienfaiteurs, d’autant plus que, s’il m’est souvent arrivé de clamer haut et fort mon mépris vis à vis de certaines (la plupart ?) des oeuvres contemporaines adaptées des romans Jane Austen, j’ai cette fois apprécié le travail de réécriture réalisé par Jo Baker, qui se réapproprie avec intelligence l’univers de Pride and Prejudice, ici envisagé du point de vue des domestiques.

 

Evidemment, il faut passer outre la laideur de la jaquette, d’une fadeur et d’une mièvrerie tout à fait regrettables. Il est également indispensable de s’armer de courage pour surmonter les inadmissibles et grossières fautes d’orthographe (et de grammaire !) qui émaillent la traduction française, dont voici d’ailleurs quelques échantillons (attention, ça fait mal aux yeux) :

 

“Il était aussi impossible de porter des vêtements sans les avoir blanchi que de sortir sans vêtements” (première phrase !)

 

“elle avait remplit le bol de bon pain et de doux lait crémeux”  (page 35)

 

“Mrs Hill avait toujours souhaité disposé d’un mois avant la visite de ce gentleman” (page 122)

 

Je suis choquée, scandalisée, outrée par tant de négligence et/ou de médiocrité.
Bref.

 

Nous retrouvons dans Longbourn la famille Bennet au grand complet, tout émoustillée par l’arrivée imminente de Charles Bingley à Netherfield. Loin du faste des riches demeures anglaises “façon Downton Abbey”, les Bennet ne peuvent entretenir “que” cinq domestiques, lesquels forment un clan relativement soudé. L’intendante Mrs Hill et son mari, très effacé, sont secondés par deux femmes de chambre, Sarah et la petite Polly, ainsi qu’un jeune valet nouvellement recruté. A peine évoquées dans le roman de Jane Austen, ces figures quasi-fantomatiques se retrouvent ici projetées en pleine lumière, et acquièrent sous la plume de Jo Baker l’identité et la personnalité qui leur faisaient défaut. La romancière leur invente une histoire, un passé, des aspirations, et nous invite à suivre l’évolution du personnage de Sarah. D’une nature romantique, celle-ci se délecte de la lecture des romans que lui prête Elizabeth, et vit dans l’espoir d’échapper un jour à sa condition de femme de chambre. Bien documenté, le récit s’attarde sur le travail des domestiques, qui triment sans relâche pour assurer le confort de leur maîtres. Difficile de s’épanouir lorsque chaque journée se résume à une succession de corvées épuisantes et plus ou moins dégradantes, inlassablement reproduites avec une constante application. Sarah et ses collègues portent un regard lucide et sans complaisance sur leurs maîtres, envers lesquels ils éprouvent toutefois une indéniable affection ; les serviteurs étant aux premières loges et au courant du moindre événement, il entretiennent évidemment une relation complexe et privilégiée avec la famille, bien que celle-ci ait tendance à les considérer davantage comme des meubles que comme des êtres sensibles et pensants.

 

Le texte souligne à plusieurs reprises l’absence totale de glamour de la vie chez les Bennet, aussi bien pour les domestiques que pour la famille elle-même (certes à l’abri du besoin, mais dont la morne existence manque cruellement de distractions). Nous découvrons l’envers du décor dans toute sa crudité : il faut vider les pots de chambre, frotter des bottes et des jupons souillés de boue, nettoyer les taches de sang qui ornent les chemises de nuit de ces demoiselles… On est à des années lumière de l’image fantasmée et quelque peu naïve que beaucoup de lectrices par trop romantiques associent inévitablement à l’époque Régence en général, et à Pride and Prejudice en particulier !Les chapitres sont courts, et, si la trame générale suit les grandes étapes du roman original, l’histoire est en réalité totalement inédite, puisque basée sur de nouveaux personnages, qui apportent un éclairage entièrement nouveau sur la vie à Longbourn. On découvre par exemple avec intérêt les relations entre les domestiques des différentes familles du voisinage : les valets et femmes de chambre sont chargés de transmettre des messages, et accompagnent parfois leurs maîtres lorsque ceux-ci effectuent leurs visites de courtoisie. Le personnel de Longbourn croise ainsi régulièrement celui de Netherfield, ce qui vaut à Sarah de connaître ses premiers émois amoureux, sous l’oeil désapprobateur de la vigilante Mrs Hill, qui veille à préserver l’innocence de sa jeune protégée ! L’ensemble n’est certes pas dépourvu de clichés, et souffre parfois d’un manque de rythme préjudiciable (il est vrai que le récit des amours de Sarah n’est guère enthousiasmant), mais le roman n’en demeure pas moins de bonne facture. Le mystère qui entoure le personnage de James Smith semble parfois artificiel, mais permet néanmoins à la romancière de sortir des sentiers battus en développant le contexte historique, qui fait la part belle aux guerres napoléoniennes, au commerce triangulaire ou encore au sort réservé aux déserteurs en cette fin de XVIIIème siècle. Le sous-texte est donc particulièrement riche, et j’ai particulièrement apprécié le fait que Jo Baker ne se contente pas d’une réécriture superficielle et bêtement romantique.
 
Les personnages d’Orgueil et Préjugés sont assez peu présents dans le roman, mais leur comportement vis à vis de leurs domestiques m’a semblé plutôt cohérent compte tenu de de leurs caractères respectifs. Lizzie fait preuve de toute l’ouverture d’esprit qu’on lui connaît, mais n’est cependant pas exempte de défauts ; Lydia se montre quant à elle capricieuse et insouciante à souhait ; Mr Bennet a lui aussi ses failles et ses faiblesses, tandis que Mary et même Mr Collins bénéficient d’une certaine forme de compassion de la part de Mrs Hill et de Sarah.
 
Jo Baker signe un roman sobre et sans prétention, dont l’intrigue un peu terne n’en réserve pas moins quelques belles surprises. L’auteur parvient à se démarquer de son illustre modèle, et apporte sa touche personnelle à une histoire somme toute assez subtile, bien que totalement dépourvue d’humour et d’ironie (c’est le seul petit bémol que je retiendrai).

 

Une austenerie de qualité, inspirée de l’univers et des personnages d’Orgueil et Préjugés. Plaisant, et bien plus subtil que d’autres réécritures de l’oeuvre de Jane Austen.
 
Merci à Alice et aux éditions Stock !

 

12 thoughts on “Une saison à Longbourn – Jo Baker

  1. Tiens, c'est le second billet que je lis sur ce livre aujourd'hui, et aussi positif. C'est quand même rare qu'un continuateur d'une oeuvre aussi reconnue que celle de Jane Austen soit autant apprécié. Je me vois bien lire ce roman allongée dans ma chaise longue en sirotant un petit thé. Bon, il faudrait un peu de soleil…

  2. Autant Austen ne m'attire aucunement (j'avoue), autant tu me tentes bien pour le coup ! Du point de vue des domestiques, cet univers m'intéresse beaucoup plus. Je te rejoins par contre concernant la couverture, hmm… ^^

  3. Bof bof… je ne suis pas trop tentée, et puis les éditeurs qui se permettent de nous vendre à un prix assez élevé un ouvrage dans lequel il y a des fautes de grammaire, cela m'irrite un peu !

  4. Je l'ai lu il y a quelques mois maintenant et j'avais beaucoup aimé. Tu as raison en disant que ce roman change par rapport aux austeneries que nous avons l'habitude de voir circuler en France.
    Une lecture sympa!

  5. Je me tiens en général éloignée des réécriture de Jane Austen qui sont bien souvent indigentes et mièvres. Mais si tu nous conseilles celle-ci, je fonce les yeux fermés !

  6. ce livre a été pas mal présent sur les blogs ces derniers temps, je ne te cacherai pas que les coquilles que tu relèves (je suis sympa de dire coquilles), et le manque d'humour que tu pointes (qui est ce que j'affectionne chez les Anglais) ne sont pas pour moi de petits bémols. Mais vu que j'attaque Orgueil et…pour ton challenge, il n'est pas impossible que j'enchaine sur celui-ci quand même….

  7. Déçue par toutes mes récentes austeneries… j epense que je vais quand même tenter celui-ci… au cas où je manquerais quelque chose!

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