Je lis mais je procrastine #2

 
J’ai inauguré la semaine dernière une nouvelle rubrique visant à vous présenter brièvement des livres lus mais non chroniqués sur le blog, que ce soit par manque de temps ou par simple fainéantise.

 

Voici la deuxième salve !

 

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La Tristesse du Samouraï est un formidable roman à tiroirs, mêlant Histoire et politique sur fond de mensonges et de secrets de famille. L’enquête menée par une avocate de Barcelone sert de fil conducteur au récit, qui effectue de multiples allers-retours entre présent et passé (un procédé “à la mode” qui se révèle ici très efficace et particulièrement bien exploité). Les personnages sont complexes, et ruminent parfois leur vengeance pendant des décennies, ce qui donne lieu à de violents règlements de compte. Les enfants doivent-ils payer pour les crimes de leurs parents ? Victor del Arbol nous a concocté un roman très sombre, dont l’action se déroule dans une Espagne encore occupée à panser les plaies béantes du franquisme. Les révélations sont subtilement amenées par l’auteur, qui parvient à maintenir la tension jusqu’au dénouement.

 

Pour résumer : la complexité des personnages et l’efficacité de la narration font de cette oeuvre bien construite et profondément romanesque une belle réussite, dont la noirceur pourra cependant rebuter certains lecteurs.

 

Titre original : La tristeza del Samurai
Traduction (espagnol) : Claude Bleton
Babel Noir, Actes Sud, 2011, 475 pages

 

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Je voulais commencer par Tangente vers l’Est, mais j’ai finalement opté pour Naissance d’un pont, afin de découvrir (enfin) la plume de Maylis de Kerangal. Ce roman étonnant, situé dans une ville imaginaire de Californie, raconte de façon quasi-chirurgicale la construction d’un pont suspendu. L’auteur suit une dizaine de personnages, impliqués à des degrés divers dans ce vaste projet (ouvriers, grutiers, ingénieurs, entrepreneurs, décideurs etc). J’ai personnellement un faible pour Summer Diamantis, une jeune femme ingénieur spécialisée dans le béton (il fallait oser). Le chantier constitue un monde à part, possédant une respiration propre, et la romancière nous invite à plonger la tête la première dans ce microcosme humain, où se côtoient des individus de nationalités et de classes sociales diverses, évoluant au rythme de l’avancement des travaux. Je ne suis peut-être pas totalement normale, mais j’avoue avoir été fortement attirée par le thème de ce roman ; les ouvrages d’art me fascinent, et je suis ravie que Maylis de Kerangal ait choisi de s’y intéresser, d’autant plus que celle-ci écrit de façon remarquable. Sa prose organique, précise, scientifique et rigoureuse est un véritable régal pour l’esprit. J’aime ses longues phrases, ponctuées de nombreuses virgules, par lesquelles on prend plaisir à se laisser bercer. Cette petite musique lancinante crée une impression d’urgence, qui nous amène à ressentir de façon viscérale les enjeux d’un texte par ailleurs non dépourvu de suspense et d’humour. Le style de de Kerangal me procure le même ravissement que celui d’un Jean Echenoz, autre écrivain français atypique et talentueux.

 

Pour résumer : Maylis de Kerangal signe une fresque virtuose au ton original, dont le rythme haletant s’essouffle toutefois légèrement dans la deuxième partie. Un roman ambitieux, que je recommande vivement.

 

Editions Verticales, Folio, 2010, 330 pages

 

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Je ne suis pas particulièrement fascinée par le personnage de Marie-Antoinette, mais j’ai tout de même eu envie de découvrir la biographie rédigée par Stefan Zweig, dont j’avais déjà beaucoup apprécié le Magellan. Les puristes (et les spécialistes de Marie-Antoinette) auront sans nul doute des critiques à formuler quant aux points de vue adoptés par le romancier, novelliste et biographe autrichien. J’ai pour ma part trouvé intéressant que l’auteur insiste sur le fait que la souveraine et son époux Louis XVI n’étaient tout simplement pas faits pour le pouvoir, tous deux aspirant à une vie bien différente de celle que leur imposèrent les circonstances. La jeune autrichienne, certes frivole, apparaît comme une adolescente pleine de vie, rongée par l’ennui et les contraintes de sa fonction. Elle nous est également présentée comme une mère aimante, attentive au bien-être de ses enfants. Louis XVI est quant à lui un individu modeste et intelligent, qui eut la malchance d’être appelé à régner aux heures les plus sombres de la Monarchie Absolue. Triste destin pour ces jeunes gens dépassés par les événements, qui ne méritèrent sans doute pas d’être à ce point villipendés… J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les chapitres postérieurs à l’arrestation de la famille royale à Varennes, notamment les passages consacrés à l’incarcération de Marie-Antoinette, que j’ai trouvés particulièrement violents et émouvants.
 
Pour résumer : comme toujours avec Zweig, le style est remarquable et d’une grande fluidité. Je recommande donc la lecture de cette biographie, qui se révèle tout à fait passionnante et (a priori) rigoureuse sur le plan historique. Son Marie Stuart m’attend sagement dans ma PAL.

 

Traduction (allemand) : Alzir Hella
Le Livre de Poche, Grasset, 1932, 506 pages

 

That’s all, folks !
 
[GENERIQUE]

 

21 thoughts on “Je lis mais je procrastine #2

  1. Zweig peut raconter ce qu'il veut, je le suis! Son Marie Antoinette (et marie stuart) sont dans ma liste à lire, un jour…

  2. J'aime bien ce genre de billets 🙂 j'ai noté La tristesse du Samouraï. Et il faut que je mette à Stefan Zweig. Mais je commencerai par un autre !

    1. Je te conseille de commencer par Amok et Lettre d'une inconnue (j'ai d'ailleurs un billet en préparation sur ces deux nouvelles).

  3. J'aime bien ta novuelle forme de billet ! Ca me donne des idées car j'ai des difficultés pour écrire des billets ces temps-ci ! Je vais d'ailleurs aller lire le précédent ! J'avais bien aimé le Sweig ! Je n'ai pas Marie Stuart mais j'ai encore un bio de sweig dans ma PAL…

    1. Cela faisait longtemps que je cherchais un compromis entre "un billet très long" et "pas de billet du tout". J'ai connu pas mal de baisses de rythme et d'inspiration cette année, sans pour autant perdre l'envie de bloguer et de parler des livres que j'ai aimés. Ce format semble fonctionner, je pense que je le réutiliserai !

  4. Je suis du même avis que toi concernant "Naissance d'un pont". Je suis totalement tombée sous le charme de l'écriture de Maylis de Kerangal et j'aime sa manière de faire de ce pont une geste collective. Il faut que tu lises le dernier qui est absolument remarquable. (Et moi aussi je suis une fan de Jean Echanoz!) il faut que je me mette aux biographies de Zweig, j'avais très envie de lire "Mary Stuart" et son essai sur Dickens, Dosto et Balzac.

  5. j'aime bien ce nouveau type de billet, c'est court et dynamique. Je note le Zweig, son point de vue a l'air différent de ce que j'ai pu lire sur Louis XVI et Marie-Antoinette

    1. Je note que ce format de billet semble plaire au plus grand nombre. Je renouvellerai donc l'expérience ! Je serais curieuse d'avoir ton avis sur le Zweig, surtout si tu as lu d'autres choses concernant Marie-Antoinette.

  6. Moi je préfère quand même tes billets longs :p même si je sais bien le temps que ça prend. Et qu'il vaut mieux des billets courts que pas de billet du tout. Tu as réussi à me donner envie de découvrir Maylis de Kerangal, pourtant, je n'en avais pas du tout envie. Par contre, pour les deux autres, ils étaient déjà dans mes listes 😉

    1. Je te promets de ne pas renoncer aux longs billets ! 😉
      J'aime vraiment beaucoup l'écriture de Maylis de Kerangal ! Elle se démarque de la plupart des auteurs français contemporains.

  7. Très déçue par le roman de deKeyrangal (Réparer les vivants) , je m'en tiendrai donc là avec elle. Par contre, je veux lire le Zweig (auteur que j'aime beaucoup);

    1. Si tu aimes Zweig, je te conseille effectivement de lire ses biographies ! Et je comprends parfaitement que l'on puisse ne pas aimer de Kerangal, dont l'écriture est très particulière.

  8. naissance d'un pont ne me tente pas sans que je puisse l'expliquer, mais j'adore ce que tu dis sur Marie-Antoinette, on a trop tendance à oublier le couple tragique et à contretemps qu'elle forma avec l'infortuné Louis XVI qui n'a pas été le pire roi de la monarchie et qui a payé pour tous les autres.
    Je tourne autour du Samourai depuis un moment, mais j'ai peur d'être rebutée par la noirceur que tout le monde a signalée….chochotte un jour, chochotte toujours

    1. C'est "Naissance d'un pont" en particulier, ou bien tu n'es tout simplement pas attirée par de Kerangal ? Son style est vraiment original, et mérite d'être découvert (ne serait-ce que pour savoir si on aime ou pas).
      Laisse toi tenter par le Samourai ! C'est sombre, mais le roman reste malgré tout divertissant.

  9. voila une belle idée de catégorie!!!! j'en avais commencé une sur mon blog ou je notais juste les titres des livres …. il faudrait que je la remette d'actu!!

  10. Hmpf… le blog bouffe mes commentaires! Je disais donc que la plume de Zweig me séduit toujours et que j'ai aimé qu'il prenne partie dans sa bio de Marie-Antoinette.

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