Police – Hugo Boris

Editions Grasset, 2016, 198 pages
 
La première phrase :

Le sang sur son treillis n’est pas le sien.
 
L’histoire :
Trois flics parisiens se voient confier une mission pour le moins inhabituelle : escorter un réfugié tadjik dont l’expulsion vient d’être prononcée pour le raccompagner à la frontière (autrement dit le conduire de son centre de rétention jusqu’à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle). La nuit sera longue pour Virginie, Erik et Aristide…

 

L’opinion de Miss Léo :

 
Je n’avais jamais entendu parler d’Hugo Boris avant la sortie de ce roman, dont le thème me semblait toutefois alléchant. Les nombreuses critiques élogieuses ont achevé de me convaincre !
 

Roman percutant à l’ambiance étouffante, Police bénéficie d’une écriture efficace et sans fioriture, qui donne du rythme à ce huis-clos sous tension, dont l’essentiel de l’intrigue se déroule de nuit, dans l’habitacle d’une voiture de police. La principale force du récit réside dans ses personnages. Hugo Boris dresse le portrait réaliste et nuancé de trois spécimens d’une profession à laquelle sont souvent associés bien des clichés. Ceux-ci peuvent sembler caricaturaux dans un premier temps, mais la description s’affine peu à peu, et l’on découvre des individus complexes, à la psychologie finement rendue. Il est de bon ton de critiquer la police, souvent associée à l’extrême-droite, au point que l’on oublie parfois que ce sont bel et bien des êtres humains qui se dissimulent sous l’uniforme ! Pourquoi tant de haine vis à vis de ces professionnels compétents, confrontés à toute la violence et la misère de la société, qui s’efforcent pourtant de remplir au mieux leur mission, dans des conditions matérielles souvent difficiles (euh, je ne sais plus si je parle des flics ou des profs, là) ? Bien sûr, il y a des cons dans la police, comme dans tous les métiers, mais les clichés dissimulent une réalité très contrastée, avec une multitude de parcours individuels.
 
Virginie est une jeune femme parfois un peu borderline, perturbée par de poignantes problématiques d’ordre personnel, qui tendent à brouiller sa perception des événements. La vie privée ne doit pas interférer avec le travail, mais il est difficile de rester lucide et concentré lorsqu’on est à ce point chamboulé émotionnellement, d’autant plus que la mission dont les policiers doivent s’acquitter présente pour eux un caractère fortement inhabituel, qui bouscule les certitudes de ces professionnels pourtant aguerris. Privés de repères, Virginie et ses deux comparses vont prendre des décisions pour le moins surprenantes au cours des quelques heures tumultueuses qui les conduiront des rues parisiennes désertes jusqu’au tarmac de l’aéroport de Roissy, en passant par un centre de rétention, une station-service et quelques échangeurs autoroutiers nimbés de lumière artificielle.

L’ambiance nocturne de Police m’a beaucoup plu ! L’auteur parvient à installer une atmosphère très particulière, qui voit le drame se nouer dans un environnement presque totalement silencieux. Les personnages parlent peu, mais se posent beaucoup de questions (on peut même dire que c’est le gros bordel dans leurs têtes). Flics en service, ou êtres humains déboussolés ? La frontière se brouille progressivement, ce qui crée un suspense à l’issue incertaine. Le roman n’est pas bien-pensant ni manichéen, comme j’ai pu le lire dans certaines critiques. Les policiers ne sont en aucun cas présentés comme des héros ou des modèles de bonté et de bienveillance : bien au contraire, on les devine capables de péter les plombs à tout moment, en raison de leur état de fatigue extrême. Il est par ailleurs intéressant de noter à quel point le réfugié tadjik est passif, pour ne pas dire inexistant. Hugo Boris crée un personnage totalement transparent, qui joue surtout le rôle de déclencheur, et dont la présence controversée entre en résonance avec les préoccupations d’ordre personnel des policiers (oh la jolie phrase qui ne veut rien dire !). Ceux-ci se posent certes la question du bien-fondé de leur mission, mais ne nouent aucun lien tangible avec le prisonnier qu’ils escortent, qui aurait aussi bien pu ne pas être là (ne lisez surtout pas Police en espérant découvrir un pamphlet politique contre l’expulsion des immigrés clandestins, vous risqueriez d’être fortement déçu).
 
Il s’agit donc d’une belle réussite, même si j’ai trouvé que les atermoiements de Virginie étaient parfois un peu répétitifs, et que le roman s’essoufflait légèrement dans son dernier tiers. Je n’ai pas été totalement convaincue par le dénouement, et la scène de l’avion m’a semblé quelque peu surréaliste et tirée par les cheveux (vous comprendrez de quoi je veux parler lorsque vous aurez lu le roman). L’ensemble demeure toutefois parfaitement maîtrisé, et je lirai avec plaisir d’autres ouvrages d’Hugo Boris (j’ai cru comprendre que Trois grands fauves et La délégation norvégienne étaient tout aussi enthousiasmants, quoique très différents).
 
Un roman percutant, intelligent et bien mené. A lire !
 
D’autres avis : Laure (qui n’a pas aimé), Une Comète, Fleur, Eva, Kathel, Delphine-Olympe
 
 
On en parle aussi dans l’émission de novembre des Bibliomaniacs !