Quatre romans islandais (première partie)

 

J’ai lu plusieurs romans islandais ces derniers mois, dans des genres très différents qui plus est. Il s’agit d’un pur hasard, mais vous m’en voyez ravie ! Cette diversité témoigne en effet de la grande vitalité de la création littéraire de ce petit pays méconnu, dont la production romanesque originale se démarque par sa capacité à insuffler une couleur typiquement locale à des thèmes universels.


Ce billet sera découpé en deux parties (cela vous évitera peut-être l’indigestion). Vous aurez la suite demain (si Miss Léo le veut bien).

Illska. Le Mal, de Eirikur Örn Norðdahl

 

Titre original : Illska
Traduction (islandais) : Eric Boury
Points, Editions Métailié, 2012/2015, 694 pages
Livre lu dans le cadre de ma participation au Prix du Meilleur Roman des Lecteurs de Points.
 

 

La première phrase :
 
Environ deux mille personnes ont trouvé la mort pendant l’écriture de ce livre.
 
L’opinion de Miss Léo :Quel roman ! On suit en fil rouge l’histoire d’amour d’Omar et d’Agnes, thésarde trentenaire obnubilée par l’Holocauste, dont la route croise celle du néonazi Arnor. Illska ne se limite cependant pas au parcours de vie de ces trois personnages, et s’inscrit dans une démarche bien plus ambitieuse. Eirikur signe une oeuvre dense, intelligente et remarquablement construite, qui traite du fascisme sous toutes ses formes, et dont l’intrigue se déroule à cheval sur plusieurs pays et plusieurs époques (un pogrom en Lituanie dans les années 40, une rupture amoureuse dévastatrice à l’époque contemporaine, une enfance chaotique dans l’Islande d’avant la crise économique…). Les commentaires avisés d’un observateur extérieur au récit (l’auteur ?) viennent régulièrement entrecouper des passages à la narration plus traditionnelle, ce qui donne de l’originalité et de la hauteur à ce roman énergique et remarquablement cohérent, malgré les longueurs et la structure éclatée du récit.

Quoiqu’universel, Illska adopte un point de vue “islandais” qui m’a fortement intéressée. Eirikur Örn Norðdahl porte un regard plein d’acuité sur le monde dans lequel évoluent ses personnages, et embrasse aussi bien la situation politique que les évolutions sociologiques ou économiques. Il remet les faits en perspective, interrogeant notre passé pour mieux le confronter à la montée des extrémismes actuelle. Les partis pris narratifs audacieux risquent de rebuter certains lecteurs, mais j’ai pour ma part été totalement emportée par cette fresque moderne et intense, dont les sept-cents pages se lisent avec une facilité déconcertante (saluons au passage l’excellente traduction d’Eric Boury, désormais bien connu des amateurs de littérature islandaise).

 

Un roman fascinant, brillant, limpide et très addictif. 
A découvrir !
 
J’ai maintenant envie de lire Heimska, du même auteur, également publié chez Métailié (mais pas encore sorti en poche).

 

LoveStar, de Andri Snaer Magnason

 

Titre original : LoveStar
Traduction (islandais) : Eric Boury
Zulma, 2002/2015, 432 pages

 

La première phrase :

Lorsque les sternes arctiques ne retrouvèrent plus le chemin qui les menait chez elles, mais apparurent comme des nuages d’orage au-dessus du centre de Paris et vinrent piailler à la tête des passants, bien des gens crurent que la fin du monde approchait et qu’il s’agissait là de la première catastrophe d’une longue série.
 
L’opinion de Miss Léo :Changement de style complet, puisque je vous présente maintenant un roman d’anticipation, à mi-chemin entre utopie grinçante et dystopie. Je n’en attendais rien de particulier, mais j’ai accroché dès le début, et je l’ai finalement lu d’une traite pendant les vacances de Pâques. Je craignais un essoufflement du récit, après un démarrage plus que prometteur, mais il n’en a fort heureusement rien été, l’auteur maîtrisant parfaitement son sujet, et offrant juste ce qu’il faut de rebondissements pour maintenir l’intérêt du lecteur.J’ai été séduite d’emblée par le ton décalé du roman, dont le côté absurde et l’humour sont bien rendus par la traduction d’Eric Boury (encore lui !). Andri Snaer Magnason signe une fable futuriste et ludique, dont le ton badin et la bonne humeur offrent un saisissant contrepoint à la triste réalité des évolutions sociétales décrites dans le récit. Société de consommation ultra-connectée, publicité omniprésente, négation de l’individu ne laissant plus aucune place au libre arbitre, marchandisation de la mort et de l’amour par une multinationale toute puissante : rien de nouveau sous le soleil, mais ces thèmes “classiques” sont ici plutôt bien exploités. L’auteur n’invente rien de révolutionnaire, mais trouve un juste équilibre entre les différents éléments du récit : les personnages sont sympathiques, les enjeux dramatiques clairement définis, les spécificités de l’univers dystopique plutôt malignes et bien trouvées… J’ai souri à plusieurs reprises, mais je me suis également laissé prendre au jeu d’une intrigue bien menée, qui m’a par certains côtés rappelé un épisode de la série Black Mirror (à la fois très absurde, et en même temps terriblement plausible). Le fait que l’histoire se déroule en Islande apporte par ailleurs une fraîcheur indéniable, et contribue à faire de ce LoveStar un objet littéraire atypique, qui ravira les amateurs d’intrigues dépaysantes et originales.
 
Un (bon) roman d’anticipation au ton décalé : je le recommande !

 

La suite au prochain numéro !
(ben oui, j’ai encore deux romans à vous présenter)

 

3 thoughts on “Quatre romans islandais (première partie)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *