Titre original : Killers of the Flower Moon – The Osage Murders and the Birth of the FBI
Traduction (américain) : Cyril Gay
Editions Globe, 2018, 360 pages
La première phrase :
En avril, des millions de petites fleurs se répandent à travers les Blackjack Hills et les vastes prairies du comté d’Osage en Oklahoma.
La quatrième de couverture :
1921. Les guerres indiennes sont loin. Leurs survivants ont, pour la plupart, été parqués dans des réserves où ils végètent, misérables, abandonnés à leur sort. Une exception à cette règle : le peuple osage. Il s’est vu attribuer un territoire minéral aux confins de l’Oklahoma. Or ces rochers recouvrent le plus grand gisement de pétrole des États-Unis. Les Osages sont millionnaires, roulent en voitures de luxe, envoient leurs enfants dans les plus prestigieuses universités et se font servir par des domestiques blancs.
Un jour, deux membres de la tribu disparaissent. Un corps est retrouvé, une balle dans la tête. Puis une femme meurt empoisonnée. Et une autre. Plus tard, une maison explose. Trois morts. Qui commet ces assassinats ? Qui a intérêt à terroriser les riches Osages ? Les premières enquêtes, locales, sont bâclées, elles piétinent. C’est pourquoi, après une nouvelle série noire, ce dossier brûlant est confié au BOI (Bureau of Investigation), qui deviendra le FBI en 1935. À sa tête, un très jeune homme. Son nom est Edgar J. Hoover. Il veut deux choses. La première : faire toute la lumière sur cette sombre affaire, et il s’en donne les moyens – enquêteurs hors pair, méthodes rigoureuses de police scientifique, mise en fiche de la moindre information. La seconde : le pouvoir. Surtout le pouvoir.
L’opinion de Miss Léo :
C’est en lisant la critique publiée dans Télérama que j’ai découvert l’existence de ce passionnant documentaire à la sauce true-crime, un genre littéraire que j’affectionne tout particulièrement (voir mon billet sur In Cold Blood de Truman Capote, qui demeure l’une des principales références en la matière). La note américaine est un récit non-fictionnel basé sur une série de meurtres commis dans le comté d’Osage en Oklahoma, dont la plupart des victimes étaient issues de la tribu indienne éponyme. Il s’agit apparemment d’un épisode connu de l’histoire des Etats-Unis, dont je n’avais pour ma part jamais entendu parler.
David Grann a compulsé des centaines de documents d’archives, mais s’est aussi rendu sur place, pour s’imprégner de l’ambiance des lieux et rencontrer les descendants des protagonistes du drame. Au-delà de l’aspect policier (qui a tué ? le coupable a-t-il été arrêté ? jugé ?), c’est évidemment la richesse du contexte historique qui fait tout le sel de ce type d’ouvrages. Les événements décrits sont révélateurs des mentalités de l’époque, et sont prétexte à développer divers aspects de la vie américaine.
Mariée à un Blanc, Mollie Burkhart perd ses trois soeurs et sa mère en l’espace de quelques mois seulement. On croit d’abord à un simple fait divers… mais la réalité est bien plus complexe ! Il semblerait en effet que le meurtre d’Anna Brown, sur lequel s’ouvre le premier chapitre, ne constitue qu’une infime portion d’un plan machiavélique aux multiples ramifications, visant à priver les indiens de leurs ressources liées au pétrole. Car les Osages sont riches, très riches (et se distinguent en cela de la plupart de leurs compatriotes amérindiens). Un peau-rouge, roi du pétrole ? Quelle horreur ! Voilà de quoi heurter la sensibilité de plus d’un américain blanc. D’ailleurs, pourquoi ne pas placer ces sauvages sous la tutelle d’un curateur, chargé d’administrer la fortune des bécassons qu’il chapeaute ? Les Osages auraient pu connaître une prospérité durable, n’eussent été le racisme et la cupidité de certains Blancs sans scrupule.
La note américaine se lit comme un roman. Les tragédies vécues par Mollie Burkhart servent de point de départ à l’enquête menée par David Grann, laquelle se déploiera par la suite dans de multiples directions. Celui-ci s’intéresse non seulement à l’affaire en elle-même, mais aussi à l’histoire du peuple Osage, ainsi qu’à la destinée improbable et fascinante de Gray Horse, l’une des plus anciennes réserves amérindiennes. On apprend moult détails intéressants concernant les puits de pétrole, le système des parcelles ou la course aux terrains de 1893, ainsi que d’autres faits plus anecdotiques (par exemple, je ne connaissais pas la ballerine Maria Tallchief, originaire de Fairfax, une danseuse amérindienne de renommée internationale). On découvre également le fonctionnement du BOI (le futur FBI), le tout sur fond de Prohibition (les Osages boivent de l’alcool de contrebande, le moonshine).
Les avant-postes de Fairfax et Pawhuska (la capitale osage) servent de cadre à “l’intrigue”.
“Les rues grouillaient de cow-boys, de chercheurs d’or, de contrebandiers, de voyants, de guérisseurs, de bandits, de marshals, d’hommes d’affaires venus de New-York et de magnats du pétrole. Des automobiles roulaient en trombe sur des sentiers tracés par le passage des chevaux et l’odeur du carburant l’emportait sur le parfum de la Prairie.”
(page 12)
Le décor est planté… Tout cela est terriblement glauque, et en même temps très romanesque, avec un côté western fin de race qui n’est pas pour me déplaire (bienvenue dans l’envers du Rêve Américain). Certaines descriptions m’ont évoqué la ville-champignon représentée par Hergé dans Tintin en Amérique (oh, le beau souvenir d’enfance que voilà !).
Les bourgades frénétiques d’autrefois, peuplées d’aventuriers en tout genre, se transformeront toutefois bien vite en villes-fantômes, frappées de plein fouet par la crise économique et le tarissement des gisements pétrolifères. Seuls subsistent aujourd’hui dans le Comté quelques milliers d’indiens Osages, attachés à la préservation de leur culture, quoique très occidentalisés depuis la fin du XIXème siècle.
On croise dans La note américaine une grande variété de personnages, tous décrits avec minutie : voyous et truands, riches propriétaires, directeurs de pénitenciers, Texas Rangers et autres détectives privés du cru, sans oublier les Indiens, ni les agents du BOI recrutés pour faire la lumière sur cette série noire qui défraya la chronique. On prend le temps de faire connaissance avec les familles indiennes qui nous sont présentées, ainsi qu’avec l’agent Tom White, dépêché sur place par J. Edgar Hoover himself, et dont la rigueur et l’intégrité se révèleront décisives pour la résolution de l’affaire. On frémit devant la suffisance et la médiocrité cupide d’Ernest Burkhart et de son oncle William K. Hale, un gardien de troupeau autoritaire jouissant d’un certain prestige au niveau local.
David Grann développe la biographie de chaque personnage, ce qui lui permet d’élargir les thématiques abordées dans le roman, lequel couvre en réalité plusieurs décennies. On découvre un pays en pleine mutation, dont certaines institutions se modernisent, mais dont les velléités progressistes se retrouvent parfois confrontées à de vieux réflexes barbares. Le récit est extrêmement violent (pas dans la forme, mais dans le fond), et les victimes du Règne de la Terreur se comptent par dizaines : empoisonnements, “accidents”, assassinats, mais aussi chantage ou corruption, sans parler des répercussions sur les générations futures… Nombreux sont ceux qui subissent encore aujourd’hui les conséquences de ces années noires.
Pour résumer : David Grann signe une enquête brillante et rigoureuse, illustrée de nombreuses photographies d’époque. L’intérêt historique est rehaussé par la profonde humanité qui se dégage de ce récit admirablement construit, et les faits reconstitués grâce aux (nombreuses) archives sont analysés avec recul et intelligence, sans en négliger les enjeux moraux. L’auteur parvient qui plus est à installer un vrai suspense quant au dénouement, ce qui contribue à maintenir l’intérêt du lecteur (bien sûr, il ne s’agit en aucun cas d’un thriller haletant, mais les questions sont habilement posées, et finissent par trouver une réponse).
Une belle réussite, que je recommande aux amateurs de true-crime et d’Histoire nord-américaine.
Il y a trèèèèèèès longtemps que je veux le lire (electra l’a lu en anglais), mais j’attendrai le poche ou la vO, on verra.
Tu donnes vraiment envie. Je vais le proposer à mon club de lecture IRL je pense . Merci Léo !
Ce livre est pour moi. Merci du conseil.
ohhh, je n’en avais pas du tout entendu parlé, de ce livre, et il me tente évidemment ^^
Je l’attends avec impatience, celui-là…
Je viens de le noter suite à l’avis de Keisha, tout aussi enthousiaste que le tien… il me tarde de le découvrir !
et hop, au programme de juin 🙂
A garder précieusement dans un coin de ma tête.