Titre original : Zigzag
Traduction (espagnol) : Marianne Millon
Actes Sud, 2007, 515 pages
Les premières phrases :
J’aurais pu m’accommoder de ces quelques redondances, n’eût été une accumulation d’effets narratifs maladroits, destinés à entretenir le suspense de façon artificielle. Je m’explique : on nous répète à la fin (et au début) de chaque chapitre que quelque chose de terrible va arriver, qu’Elisa vit ses derniers instants de tranquillité, que les événements vont basculer dans l’horreur absolue, que si elle avait su, elle aurait pas venu… mais rien ne se passe (du moins au début) ! Le procédé devient vite lassant, et vient parasiter la lecture de cette longue entrée en matière, qui agace davantage qu’elle ne séduit. J’étais donc légèrement en colère après Somoza, qui m’avait habituée à davantage de finesse. Petite brouille passagère, ou désaccord durable ?
La suite fut heureusement conforme à mes attentes, et j’ai finalement retrouvé toutes les qualités que j’apprécie chez l’auteur espagnol : scénario captivant, fluidité narrative, originalité du propos. L’intrigue démarre réellement avec le premier flash-back, qui nous ramène dix ans en arrière, au moment même où la très prometteuse Elisa se voit offrir la possibilité de rejoindre l’équipe du physicien David Blanes, auteur de la (fictive) théorie du Séquoïa (variante de la très ardue et très abstraite théorie des cordes, dont les bases sont ici clairement exposées par Somoza, lequel s’est de toute évidence bien documenté sur le sujet). Le postulat de départ est fascinant, et donne le tournis : figurez-vous que ce petit malin de Blanes a trouvé le moyen d’ouvrir les cordes de temps pour voir dans le passé (une caméra, un petit accélérateur de particules, et hop, le tour est joué) ! N’avez-vous jamais rêvé d’assister à l’extinction des dinosaures (siiiii !), ou à la crucifixion du Christ (personnellement, je m’en cogne un peu, mais il y a des gens qui vendraient père et mère pour cela) ?
L’arrière-plan scientifique est complexe (bienvenue dans le monde du temps de Planck, des trous de vers et des dimensions multiples), mais les enjeux dramatiques demeurent quant à eux simples et redoutablement efficaces. Le romancier bâtit une intrigue hautement fantaisiste et cependant profondément rationnelle, qui soulève nombre de questions intéressantes, et s’inscrit dans le cadre d’une réflexion d’ordre éthique et métaphysique. On ignore en effet quel seront les conséquences de ces recherches pour le moins hasardeuses, qui pourraient se révéler dangereuses pour l’Humanité. Les scientifiques et philosophes qui participent au projet souffrent d’ailleurs d’étranges hallucinations, ainsi que d’un désordre psychique prenant des proportions variables selon l’individu et la nature des images observées : c’est ce que l’auteur appelle l’Impact (création typiquement somozienne).
Somoza utilise son érudition à bon escient, et ne perd jamais de vue l’essentiel, à savoir le plaisir ressenti par le lecteur. La vulgarisation scientifique est parfois grossière, mais l’essentiel n’est-il pas d’en tirer une bonne histoire ? La Théorie des cordes bénéficie ainsi d’un sens du rythme et d’une intensité dramatique exemplaires, et il devient bien difficile de lâcher le roman dès lors que l’auteur se décide (enfin !) à entrer dans le vif de sujet. L’intrigue sort peu à peu de son cadre purement scientifique pour revêtir des atours de thriller horrifique, les protagonistes étant sauvagement assassinés les uns après les autres. Les meurtres sont-ils l’oeuvre d’un vulgaire psychopathe, ou bien faut-il y voir la manifestation d’un châtiment divin ? L’écrivain crée un univers dérangeant, dans lequel les personnages sont en proie à d’étranges rêves érotiques, et où la violence se manifeste de façon inattendue. Tout cela ne doit cependant pas faire oublier le côté purement ludique de ce jeu de massacre, dont on attend le dénouement avec avidité (celui-ci ne m’a pas surprise, mais j’ai aimé les étapes qui conduisent à la résolution de l’énigme).
La Théorie des Cordes est donc un texte profondément intelligent et reposant sur de solides bases scientifiques, qui souffre toutefois de quelques imperfections. Je pense que certains lecteurs seront gênés par la froideur mécanique qui se dégage parfois du récit, ainsi que par l’absence totale d’empathie envers les personnages (c’est souvent le cas chez Somoza, et je dois avouer que cela ne me gêne pas le moins du monde). L’écrivain espagnol signe un roman hybride et inclassable, sans doute desservi par quelques maladresses stylistiques (on est parfois proche du cabotinage), qui ne m’ont cependant pas empêchée d’être conquise par cette oeuvre singulière, engloutie en quelques heures comme une fournée de cookies faits maison. Je suis peut-être bon public, mais j’adore !
Je vais évidemment poursuivre mon exploration des romans de Somoza. Un grand malheur se profile toutefois à l’horizon, puisqu’il ne m’en reste plus que deux à lire (snif !) : La clé de l’abîme et La Dame n°13.
Un formidable thriller fantastique mâtiné de physique quantique. Jouissif et intelligent, malgré quelques imperfections.
La couverture espagnole |
Post Scriptum
J’aimerais profiter de ce billet pour adresser un reproche aux éditions Actes Sud, que j’apprécie énormément, mais dont je ne comprends pas la stratégie vis à vis des romans de Somoza. Il me semble en effet que l’éditeur trompe les lecteurs potentiels sur la marchandise, ce qui est bien dommage. Pourquoi ce thriller SF est-il vendu en France comme une oeuvre ultra-sérieuse, à la couverture repoussante et au titre austère (qui en ont sûrement rebuté plus d’un), alors qu’il ne s’agit que d’une brillante fantaisie ludique au rythme haletant, susceptible d’intéresser un large public ?? N’aurait-il pas mieux valu garder le titre espagnol (ZigZag) ? Et pourquoi avoir choisi une illustration aussi laide ? Je m’interroge…
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Nouvelle participation au Challenge 1 pavé par mois de Bianca.
J'aime beaucoup cet auteur mais je ne connais pas ce titre! J'ai lu La clé de l'abime et L'appât. Je note celui-ci
Si tu aimes Somoza, tu ne devrais pas être déçue !
Ooh, tu me rappelles que je l'ai dans ma PAL. J'ai découvert Somoza avec "La caverne des idées" qu'on m'avait offert et que j'avais ouvert un peu dubitative avant de me laisser totalement emporter !
"La caverne des idées" est effectivement un petit bijou ! Je suis contente qu'il t'ait plu, et j'espère que celui-ci te plaira également.
Tu me donnes envie de le lire ! J'ai adoré Clara et la pénombre et La dame n°13 (ah quel bonheur) J'ai encore L'appât dans ma PAL.
J'ai hâte de lire La dame n°13 !! Tu passeras sûrement un bon moment avec L'appât.
Voilà un auteur que je n'ai jamais lu mais je t'avoue que le sujet ne me parle pas, je passe mon tour mais je te remercie pour cette nouvelle participation Miss !
Je comprends tes réticences !
A bientôt pour de nouveaux pavés. 😉
Mâtiné de physique quantique ? Brrrr…..
Mais non, Alex, ne crains rien ! Somoza parvient à captiver avec n'importe quel sujet. 😉
Effectivement, les grands esprits se rencontrent ! Quelle chance, tu as encore la dame n°13 à découvrir. Je l'avais englouti aussi vite que celui-ci.
Je te trouve sévère avec Lara Croft, après tout, il nous explique bien pourquoi toutes les dames du labo sont sexy et provocantes 🙂
Et sinon, je suis comme toi, je me demande s'il existe d'autres romans aussi sympa et malsains et érudits et fantaisistes etc. par d'autres auteurs… Les suggestions sont les bienvenues !
J'ai acheté un de ses livres au dernier salon du livre à Paris. Je ne l'ai encore jamais lu. Je ne devrais pas être déçue apparemment.