La caverne des idées – José Carlos Somoza

Titre original : La Caverna de las ideas
Traduction (espagnol) : Marianne Millon
Babel, Actes Sud, 2000, 346 pages

 
La première phrase :

Le cadavre reposait sur de fragiles brancards en bois de bouleau.
 
L’histoire :

Grèce, 4ème siècle avant JC. Le corps sans vie d’un jeune éphèbe est retrouvé dans une rue d’Athènes, sauvagement mutilé par une meute de loups. Coeur arraché, ventre lacéré : c’est un bien macabre spectacle qui s’offre aux yeux des badauds, attirés par cette innommable boucherie sanguinolente. La mort de Tramaque semble toutefois bien suspecte, et le philosophe Diagoras, mentor de la victime à l’Académie, sollicite les services du Déchiffreur d’Enigmes Héraclès Pontor, afin de faire toute la lumière sur les circonstances de ce décès. Raisonnable et réfléchi, attentif au moindre détail, le détective se met alors en quête de la Vérité, aussi douloureuse soit-elle.
Le récit de l’enquête menée par Héraclès Pontor est régulièrement annoté de commentaires d’un mystérieux traducteur, lequel nous livre sa version de “La Caverne des idées”, oeuvre d’un auteur grec anonyme, dont le manuscrit sur papyrus fut tout récemment retranscrit pour la première fois dans sa langue d’origine par l’helléniste Montalo. Le traducteur décortique consciencieusement le texte, sans se douter un instant de ce qu’il va y découvrir…

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’avais envie de lire rapidement un deuxième roman de Somoza, quelques semaines à peine après avoir découvert le très original Clara et la pénombre, qui m’avait donné un séduisant aperçu de l’univers et du style de l’écrivain espagnol. J’ai choisi La Caverne des idées, premier roman de l’auteur, sur la base d’une quatrième de couverture alléchante, et aussi (tout simplement) parce qu’ils l’avaient à la bibliothèque. Autant le dire tout de suite : j’ai a-do-ré ! Je suis tout simplement épatée, encore sous le choc de ce roman envoûtant et savamment construit, érudit et en même temps profondément ludique, bref, en un mot, un roman brillantissime, qui m’aura tenue en haleine jusqu’à la toute dernière ligne du dernier chapitre.

 

Somoza apporte un soin tout particulier au cadre de l’intrigue, laquelle se déroule à Athènes, à l’époque de Platon et de l’Académie. Je ne suis pas du tout spécialiste de cette période, mais la reconstitution semble convaincante, de toute évidence basée sur un solide travail de documentation. On croit d’abord avoir affaire à un “simple” polar antique (ce qui n’est déjà pas banal), alors qu’il s’agit en réalité d’un formidable jeu de piste philosophico-littéraire, qui amuse autant qu’il interpelle. Le roman est un peu dur à lire au début, mais procure un plaisir jubilatoire dès lors que l’on s’habitue au procédé mis en place par l’auteur. Les notes de bas de page, de prime abord assez déroutantes, sont de mon point de vue totalement fascinantes, amusantes parfois, et offrent dès les premières pages un intrigant deuxième niveau de lecture. J’ai adoré ce personnage de traducteur obsédé par sa tâche, dont les interventions cassent le rythme du récit, pour le plus grand bonheur du lecteur, lui-même hypnotisé par la dynamique narrative interactive installée par Somoza.
 

Il est beaucoup question de philosophie dans La caverne des idées, dont le titre renvoie évidemment à la fameuse allégorie de Platon. (Je précise que la philo et moi, ça fait au moins deux, voire deux et demi ; je vous demanderai donc de bien vouloir excuser le simplisme de ce qui va suivre). Les personnages du roman consacrent leur vie à la recherche de la Vérité. Mais qu’est-ce que la Vérité ? Les Idées ont-elles une existence propre, comme les objets ? L’être humain peut-il prétendre accéder à un tel niveau de connaissance du monde ? Ce questionnement légitime tourne parfois à l’obsession, voire à la folie, et tous n’en sortiront pas indemnes… Le sous-texte philosophique du récit se double par ailleurs d’une passionnante réflexion sur la littérature, Somoza allant jusqu’à inventer (!) un procédé littéraire qu’il attribue aux auteurs grecs classiques, l’eidesis, technique consistant à dissimuler une idée cachée dans un texte, par la répétition d’une métaphore ou de mots apparemment sans rapport avec les événements relatés. Persuadé d’avoir affaire à un texte éidétique, le traducteur se focalise sur la recherche des clés qui lui permettront de découvrir la teneur du message dissimulé dans La caverne des idées. Cela crée une complicité avec le lecteur, qui s’amusera de son côté à repérer le champ lexical de l’eidesis dans le roman, construit autour des Douze Travaux d’Hercule (l’oeuvre comporte douze chapitres, centrés sur le personnage du détective Héraclès).
 
J’ai adoré la vertigineuse mise en abyme du récit, lequel prend parfois des allures de conte fantastique. Le traducteur semble en mesure de communiquer avec les personnages du texte qu’il traduit, et pense même pouvoir influer sur le cours de l’intrigue. Cela m’a rappelé certains passages de L’histoire sans fin, excellent roman jeunesse de Michael Ende, adapté au cinéma par Wolfgang Petersen dans les formidables années 80. L’auteur pose ainsi la question du rôle joué par le lecteur. Un même roman suscitera-t-il des pensées et des images similaires dans l’esprit de chaque lecteur ? Les idées véhiculées par le texte sont-elles uniques, ou bien dépendent-elle du vécu de celui qui interprète les mots à sa façon ?Somoza entremêle ces multiples thèmes avec intelligence, et l’on en ressort légèrement étourdi, bluffé par autant de maîtrise. L’auteur impressionne par sa capacité à se renouveler à chaque ouvrage, déployant des trésors d’imagination ingénieuse dans des domaines aussi différents que l’art (dans Clara et la pénombre), les sciences (dans La théorie des cordes), l’histoire de la Grèce antique ou la philosophie. Son univers est extrêmement personnel, étrange et déroutant, et en même temps terriblement attirant. L’intriguée est soutenue par une construction narrative et dramatique exemplaire, de nature à stimuler l’intérêt du lecteur, quelles que soient ses connaissances en matière de philosophie et de civilisation hellène (assez réduites en ce qui me concerne). La caverne des idées entretient d’un bout à l’autre un véritable suspense, et le lecteur attend avec impatience le dénouement, qui se révèle en l’occurrence particulièrement savoureux et surprenant.
 
Un récit maîtrisé, une intrigue passionnante, une réflexion intelligente, une fin franchement géniale… Peut-être ne suis-je pas totalement objective, mais ce roman me semble proche de la perfection ! Je ne sais pas encore quel sera mon prochain Somoza, mais il ne tardera sûrement pas à rejoindre ses petits copains dans mon Hydre de Lerne ma PAL (il s’agit là d’une certitude mathématique).

 

Enorme coup de coeur !!
 
D’autres avis chez : Lili (qui est aussi enthousiaste que moi), Stephie (un peu moins convaincue)
 
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Nouvelle participation au challenge Voisins, voisines, organisé par Anne (pour l’Espagne).
 

18 thoughts on “La caverne des idées – José Carlos Somoza

    1. J'ai craqué : j'ai emprunté "L'appât" à la bibliothèque ! Je peux le garder jusqu'en septembre, donc je pense que j'attendrai août pour le lire.

  1. Je me répète mais il faut absolument que je le découvre. Le premier qu'on m'avait conseillé était La théorie des cordes. Mais j'hésite entre ces deux-là et Clara. La vie est dure !

  2. Un auteur repéré mais jamais lu et, je dois dire que ton billet me donne très envie de commencer ma découverte par ce roman qui semble aussi original que riche, intéressant.

  3. Je l'ai croisé à la bouquinerie il y a quelques jours (il était comme neuf!). J'ai pensé à toi et à ton bel avis et j'étais prête à la prendre … mais lorsque je l'ai ouvert, c'était tellement écrit petit, l'ensemble faisait tellement étouffant que je l'ai reposé. Je regrette maintenant! Peut-être vais-je retourner le chercher!

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