Titre original : Mudbound
Traduction : Michèle Albaret-Maatsch
10-18, 2008, 361 pages
Les premières phrases :
Henry et moi, on a creusé jusqu’à deux bons mètres de profondeur. Un peu moins et le cadavre aurait risqué de remonter à la prochaine grosse crue.
L’histoire :
Memphis, 1939 – Laura Chappell épouse à trente-et-un ans Henry McAllan, fils aîné d’une riche famille de Greenville, Mississippi. Un mariage inespéré pour cette jeune enseignante au physique quelconque et à la vie bien rangée, que tous voyaient déjà finir vieille fille. Quelques années et deux enfants plus tard, la famille déménage pour une ferme boueuse et délabrée du Delta du Mississippi. Henry rêve depuis toujours de posséder sa propre terre pour y mener une vie de fermier prospère, sur les traces de ses ancêtres planteurs. La vie de Laura change alors du tout au tout. Adieu, raffinement citadin. Bienvenue dans le Mississippi rural, rongé par la haine, le racisme et les préjugés. Négligée par son mari qui ne pense qu’à cultiver son coton, privée des commodités les plus élémentaires, coupée des siens et tyrannisée par son beau-père irascible, la jeune femme ne parvient pas à s’adapter à sa nouvelle existence. Le retour inattendu de Jamie McAllan, petit frère d’Henry, et du jeune Ronsel Jackson, fils d’un couple de métayers noirs, vient bouleverser l’équilibre de la petite communauté. Tous deux ont combattu en Europe aux côtés des Alliés, oubliant pour un temps la dure réalité de la vie dans le Mississippi…
L’opinion de Miss Léo :
Merci Les 12 d’Ys ! Ce challenge m’aura une nouvelle fois permis de faire une belle découverte, quelques jours à peine après notre formidable escapade à Belfast. Je ne regrette aucun de mes choix, et je me réjouis d’avoir encore 137 (!) auteurs à découvrir (je compte bien continuer à puiser dans la liste après la fin du challenge). Voici donc venu le temps de vous présenter mon “Jeune auteur américain”. J’avais prévu de lire La physique des catastrophes, de Marisha Pessl (qui attend toujours bien au chaud dans ma PAL). Je vous parlerai donc de Mississippi, de Ms. Hillary Jordan (c’est d’une logique implacable). Je me suis cette fois laissée tenter par Sharon et Val, qui en disaient le plus grand bien sur leurs blogs respectifs. Je ne saurais leur en vouloir, car ce premier roman est effectivement excellent, d’une maturité et d’une maîtrise étonnantes. J’ai adoré !
Il ne m’aura fallu qu’une (petite) après-midi pour lire la totalité de ce très beau récit, fluide et romanesque à souhait, par ailleurs très intelligemment construit. Six narrateurs différents se relaient, apportant des points de vue complémentaires sur les événements relatés. Cela crée une dynamique intéressante, qui sert efficacement le propos de l’auteur.
Hillary Jordan situe son intrigue dans un Mississippi qui semble n’avoir guère évolué depuis la guerre de Sécession. Les plantations ont perdu depuis belle lurette leur lustre et leur magnificience d’antan, mais les mentalités sont restées celles du siècle dernier. On ressent le poids de la terre et des traditions, dans ce Vieux Sud boueux et arriéré, qui porte encore les stigmates de l’esclavage. Plus de quatre-vingt ans se sont écoulés depuis l’abolition, mais les populations noires souffrent encore et toujours de ce racisme latent, dont sont victimes les membres de la famille Jackson (libre et affranchie, mais néanmoins exploitée par la famille MacAllan). Et si d’aventure il leur prenait l’envie de vouloir se comporter comme des blancs et d’outrepasser leurs droits, qu’à cela ne tienne : le Ku Klux Klan se tient près à intervenir et à punir, tapi dans l’ombre bienveillante des autorités. Le roman ne cherche pas à atténuer la réalité. Certaines scènes sont très dures, mais nécessaires. Hillary Jordan suscite le trouble chez son lecteur, sans jamais tomber ni dans l’excès ni dans le voyeurisme.
La violence est de façon plus générale au coeur du roman, qui évoque ouvertement les atrocités de la deuxième Guerre Mondiale. Nul ne peut échapper à la sauvagerie des hommes. Henry s’est battu en France en 1918, tandis que son frère Jamie, qui se rêvait artiste, largue des bombes sur les nazis. D’une guerre à l’autre, combien de vies seront à jamais marquées par cette folie meurtrière ? Mississippi aborde un autre aspect méconnu et follement sympathique de l’armée américaine : noirs et blancs étaient en effet affectés dans des régiments séparés. C’est ainsi que Ronsel Jackson échoue dans le 761ème bataillon blindé, premier régiment blindé exclusivement afro-américain débarqué à Omaha Beach (sous les ordres du Général Patton).
“Ils nous appelaient les “nègres d’Eleanor Roosevelt”. Ils disaient qu’on se battrait pas, qu’on se sauverait comme des lapins dès l’instant qu’on serait vraiment au combat. Ils disaient qu’on n’avait pas la discipline nécessaire pour faire de bons soldats, qu’on n’était pas assez intelligent pour servir un char ; que notre nature nous poussait à toutes sortes de turpitudes – mensonge, vol, viol de Blanches.” (p.53)
Les noirs vont paradoxalement accéder à un semblant d’égalité grâce à la guerre, et seront accueillis en libérateurs par des anglais(es) et des français(es) indifférent(e)s à leur couleur de peau. Le retour au pays est alors vécu comme une régression. Ronsel, qui a été conducteur de char, qui a assisté à la libération de Dachau, et qui s’est battu pour la Patrie avec autant d’énergie et de courage que n’importe quel soldat blanc, voit ses désirs d’émancipation brisés net par la violence de ses compatriotes. Triste Mississippi…
Et puis il y a Laura, une héroïne attachante et un très beau personnage de femme, qui évolue d’un bout à l’autre du roman. Pauvre Laura, issue d’une famille d’intellectuels citadins, et condamnée à vivre dans une vieille bâtisse délabrée, au milieu d’un champ boueux, à des kilomètres de la ville la plus proche. Un cauchemar ! En bonne épouse soumise, Laura suit son mari en Enfer, et se voit réduite à jouer les femmes au foyer. Elle s’accroche à son piano, dernier rempart avant la bestialité. Le personnage est assez ambigu : elle m’a un peu agacée parfois, se montrant elle-même un peu raciste, en phase avec les préjugés de son époque. J’ai cependant été séduite par son parcours, ses épreuves, et son histoire m’a finalement beaucoup touchée.
Les nombreux thèmes entremêlés et la qualité de la narration font de Mississippi un grand roman, qui m’a tenue en haleine jusqu’à son dénouement. Je suis séduite.
Superbe et passionnant ! Un coup de coeur.
J’en arrive une nouvelle fois à cette inévitable conclusion : je dois absolument lire To kill a mockingbird !
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Septième participation aux 12 d’Ys, catégorie “Jeune auteur américain”.
Très intéressants les thèmes de ce roman, je note.
Il est passionnant ! J'espère que tu l'aimeras.
Merci pour ta participation je viens de t'inscrire et de noter les liens des biographies déjà lu, j'adore S. ZWeig et je note la bio de Magellan . Bonne journée.
Merci. A bientôt.
Youpi ! Un auteur de plus approuvé ! Bon, mais c'est pas tout ça : je commence à faire ma "petite" liste à emporter en vacances, mais trois cartons, ça va faire trop… comment choisir alors que j'ai envie de tout lire ?!
J'ai le même problème : trop de choix, trop d'envies. Je suis frustrée, j'aimerais pouvoir tout lire en même temps !
Celui-ci m'attend dans ma PAL, offert par Valérie, et il a tout du grand roman américain qui va me faire vibrer !
Lis-le vite !
Oh chouette! Moi aussi, je l'ai adoré et moi aussi, il faut que je lise To kill a mocking bird.
Ce fut vraiment une belle découverte, alors que je n'en attendais pas grand chose à priori. Quant à To kill a mockingbird, j'espère avoir bientôt le temps de le sortir de ma PAL.
Moi je suis frustrée de tout ce que j'accumule dans ma PAL et que je ne parviens pas à lire ! Mississipi, recommandé par une libbraire, en fait partie et j'espère ne pas tarder à le sortir de la PAL !! Et le défi d'Ys stagne pas mal chez moi…
J'accumule moi aussi plus de livres que je ne peux en lire. Il y en a tellement qui me tentent ! J'espère que tu aimeras Mississippi, et je ne peux que te conseiller de le sortir rapidement de ta PAL.
Oh là là, qu'est ce que ton billet donne envie, surtout que je suis un peu dans ma période "Southern literature" en ce moment. Je note donc la référence !
Et sinon, je ne peux que t'appuyer, il faut que tu lises To Kill a Mockingbird ! 🙂
Contente de t'avoir tentée. J'espère qu'il te plaira !
je suis ravie de lire ton billet et ton enthousiasme pour ce roman !
Merci. J'espère que tu l'apprécieras tout autant !
J'ai hésité à le commander il y a quelques jours, tu as achevé de me convaincre !
Jolie chronique, même si je ne partage pas tellement ton avis: je suis bien plus circonspect que toi sur ce roman, que j'ai trouvé longuet, déprimant (mais sur ce point c'est une question de goût), et auquel il manque une réelle intrigue. Bref, je n'ai pas été conquis.