Goat Mountain – David Vann

Titre original : Goat Mountain
Traduction (américain) : Laura Derajinski
Editions Gallmeister, 2013/2014, 247 pages

 
La première phrase :

La poussière comme une poudre recouvrant l’air, faisant du jour une apparition rougeâtre.

 

L’histoire :
(tiens, et si je me mettais aussi à utiliser des phrases sans verbe ?)
Californie, 1978. Ouverture de la chasse. Le père, le grand-père, le fils de onze ans. La nature sauvage. Sans oublier Tom, un ami de la famille. Le gosse, fusil sur l’épaule. Un braconnier solitaire. Et bim ! Un coup qui part, un cadavre qui s’écroule, cinq vies qui basculent. Première chasse à l’issue tragique pour le jeune garçon inconscient, confronté aux conséquences de son acte barbare. Le Bien et le Mal. Etouffant parcours initiatique, entre inconscience et culpabilité.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je souhaitais depuis longtemps découvrir l’oeuvre de David Vann, écrivain américain dont la renommée ne cesse de croître depuis quatre ans, auteur du célèbre Sukkwan Island. Pour être honnête, j’aurais préféré commencer par un autre roman que celui-ci, mais je me suis tout de même laissée tenter lorsque j’ai vu qu’il était proposé dans la sélection des Matchs de la Rentrée Littéraire organisés par Price Minister, auxquels je participe pour la troisième année consécutive. Après lecture, je me dis que j’aurais mieux fait de choisir un autre titre…Je n’ai pas du tout, mais alors pas du tout été séduite par ce huis clos familial en pleine nature, dont les thématiques me semblaient pourtant très attractives sur le papier. Sur le papier seulement, car je n’ai absolument pas adhéré aux partis pris stylistiques et narratifs du romancier, qui échoue selon moi à déclencher les réactions recherchées. C’est terrible à dire, mais le résumé de la quatrième de couverture me paraît bien plus intéressant que le roman lui-même, auquel je n’ai tout simplement pas cru. Je n’ai pas ressenti la tension, et je ne me suis à aucun moment sentie concernée par l’intrigue, décidément bien mince et souvent invraisemblable. David Vann force le trait, et frôle parfois le grotesque, à force d’insistance et d’exagération. Sérieusement : qui aurait l’idée de garder pendant plusieurs jours le cadavre d’un mort abattu “accidentellement”, de l’exposer au coin du feu, de vivre et manger en sa compagnie ?? Il s’agit de tout évidence d’un artifice narratif peu crédible, planté là pour les besoins de la démonstration de l’auteur.
 
Les personnages sont inexistants. Réactions stéréotypées, personnalités à peine effleurées : aucune figure marquante n’émerge de cette interminable partie de chasse, dont l’enjeu moral s’étiole progressivement au fil des pages. Plus grave : à aucun moment je n’ai réussi à visualiser ce gamin de onze ans, pourtant au coeur de l’intrigue. Les événements sont racontés par le gamin meurtrier devenu adulte, qui porte un regard (soi-disant) éclairé sur ce drame du passé. Ce choix narratif pose un problème de taille : on ne ressent aucune émotion, aucune peur, aucun effroi, aucun doute, et le récit devient alors purement factuel. J’apprécie pourtant la froideur, la sobriété et le détachement en littérature, et je suis fondamentalement opposée aux débordements d’émotion, mais tout m’a ici semblé plat, voire profondément ennuyeux.

 

Le parcours initiatique du jeune garçon (probablement inspiré d’événements vécus par l’auteur lui-même durant son enfance) véhicule pourtant un questionnement métaphysique intéressant, qui nous invite à une réflexion sur la responsabilité et le côté bestial de l’homme, lequel cède parfois à des instincts primitifs violents et dépourvus de toute empathie. La violence de la société américaine et son usage immodéré des armes à feu sont au coeur de l’intrigue de Goat Mountain, dont les protagonistes ne sont que des barbares mal dégrossis. La scène où le gosse abat un cerf et assiste à sa lente agonie avant de le dépecer est terrible, et se prolonge jusqu’à l’écoeurement. David Vann se montre toutefois trop insistant pour convaincre, et nous assomme de références bibliques, convoquant tour à tour Jésus, Caïn et Abel pour illustrer son propos. Pourquoi pas, mais l’aspect redondant de ce message asséné sans subtilité devient franchement lourdingue après quelques chapitres, d’autant plus que le romancier apporte des réponses prémâchées à des interrogations qui auraient mérité d’être laissées à la libre appréciation du lecteur.

 

Je suis tout aussi mitigée en ce qui concerne l’écriture. Le style est recherché, la plume âpre et dense, et le texte nous offre quelques belles descriptions de la Nature hostile et souveraine, peuplée de redoutables prédateurs. J’ai en revanche été gênée, pour ne pas dire exaspérée, par la profusion de phrases nominales, un procédé dont je me suis très vite lassée (on  a parfois l’impression que l’auteur veut trop en faire, dans le seul but de choquer le lecteur). Il en résulte une prose sèche et artificielle, qui ne parvient pas à masquer les faiblesses du roman. Cela dit, et de façon totalement objective, David Vann possède à n’en pas douter un style très personnel, ambitieux et non dénué de qualités. Tout aussi objectivement : ce qu’il raconte dans Goat Mountain (c’est-à-dire pas grand chose) ne m’intéresse pas du tout ! J’aurais souhaité que le romancier ne se contente pas de rester à la surface des choses en accumulant les clichés. Je suis déçue, car le récit m’a laissée de marbre. Je n’y ai rien vu de provocant (voir la quatrième de couverture), et je ne l’ai trouvé ni dérangeant, ni bouleversant, ni choquant, ni quoi que ce soit. Juste creux et redondant à périr d’ennui !

 

J’ai lu plusieurs critiques négatives de Goat Mountain, pourtant écrites par des fans de l’auteur ; je ne suis donc pas la seule à avoir ressenti ces faiblesses. Ce dernier opus déçoit, même si certains lecteurs et autres critiques professionnels ont fait montre d’une certaine indulgence vis à vis de l’ouvrage, par respect pour les précédents romans de l’écrivain. Les quatre autres Vann me tentent quant à eux bien davantage, et je demeure impatiente de lire Sukkwan Island, et surtout Dernier jour sur terre, que je me suis d’ailleurs acheté la semaine dernière (comme quoi, je suis pleine de bonne volonté).
 
Une déception. Peut-être pas le meilleur choix pour découvrir l’auteur…

 

Livre chroniqué dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire 2014, organisés par Price Minister.Ma note : 2/5

 

 

36 thoughts on “Goat Mountain – David Vann

  1. Je n'étais pas suuuuper convaincue par les deux autres David Vann qui me laissent des années après, une impression d'étouffement. Du coup, je pense que je vais cesser là mon exploration.

  2. Je partage entièrement ton point de vue sur ce roman. J'ai dit la même chose sur mon blog en moins approfondi ! Je n'avais déjà pas beaucoup aimé Sukkwan Island, qui m'avait, comme cleui-ci, quelque peu écoeurée. En revanche, j'avais apprécié Désolations, davantage dans la tension et moins dans le gore.

  3. J'ai remporté son titre précédent lors d'un concours (je ne me rappelle même plus le titre) et je l'ai entamé juste après réception, pleine d'enthousiasme à l'idée, comme toi, de découvrir enfin l'auteur. J'ai lu 20 pages. Mon avis est similaire au tien. J'ai détesté la forme de l'écriture comme le fond du propos, de l'intrigue et des personnages. Je le garde quand même à tout hasard, histoire de retenter plus longuement un jour où je serai mieux lunée. Mais je ne risque pas d'acheter d'autres titres de l'auteur dans l'état actuel des choses. Tu es effectivement pleine de bonne volonté 😀
    PS : Ça y est, ça me revient. Le titre du bouquin en question est "Impurs"

  4. Je l'avais également choisi pour les matchs de la rentrée littéraire mais l'éditeur n'en avait plus et j'ai donc du choisir un autre roman. Finalement, ça n'est peut-être pas une mauvaise chose… Je le lirai sans doute malgré ton avis car j'aime beaucoup cet auteur. Je verrai bien si je suis déçue ou non.

  5. C'est terrible , j'ai l'impression de lire une chronique de Sukkwan Island, c'est quasiment la même chose et comme je te le disais sur FB, c'est l'un des livres les plus nases que j'aie eu l'occasion de lire. Je ne comprends pas la réputation positive et les critiques élogieuses sur cet auteur, quelque chose m'échappe…
    Tant mieux si ça lui permet de vivre et d'éviter d'aller passer des heures chez son psy mais maintenant il faudrait qu'il se passe à autre chose.
    Ta chronique est très argumentée et bien que très négative, elle me parait justifiée.

  6. super billet, très argumenté . Sans tomber dans l'explication autobiographique, Vann a souvent expliqué que son histoire familiale a été marquée par le tragique et le gore (un meurtre , plusieurs suicides). Au Festival America en Septembre , il disait penser en avoir fini avec cette veine noirissime. Je suis sceptique …

  7. Je suis d'accord, ce n'est pas son meilleur, mais j'ai quand même aimé. Par contre, tu fais bien de ne pas mettre l'auteur de côté, car effectivement, ce roman est assez différent des autres.

  8. et ben, déjà que Vann ne me tente pas du tout (les thèmes de la nature grandiose hostile et de l'Homme à la limite de barbarie ou de la folie me font du mal), mais alors là, on peut dire que tu le démontes point par point. Je te dis bravo. Maintenant je suis sûre de ne jamais le lire . Ceci dit, tu as raison de réitérer avec lui, car je pense vraiment que ce n'est pas son meilleur opus (cf Attila). Une belle année pour toi Miss Léo

    1. Celui-ci est vraiment trop excessif, et donc peu convaincant. Cela dit, je ne suis pas sûre non plus d'adhérer aux thèmes développés par Vann dans ses autres romans. Je n'insisterai pas si je ne suis pas davantage convaincue par ma prochaine tentative. Belle année à toi aussi !

  9. Ah ! Ce David Vann ne cessera donc jamais de diviser les lecteurs !! Je fais partie des fans absolus, ces romans sont aussi fascinants qu'ils sont beaux … mais je ne tenterai pas de te convaincre, je crois que Vann on adore ou on déteste !

    1. Tu fais partie des enthousiastes qui m'avaient donné envie de le lire ! Je pense sincèrement que le fait de diviser autant est le signe d'un talent certain. Au moins, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir de personnalité.

  10. Je n'ai lu que Sukkwan Island et je n'ai pas aimé donc je me retire sans regrets. J'en profite pour te souhaiter une magnifique année 2015 (ainsi qu'à ton amoureux qui prend de si jolies photos de toi)

    1. Bonne année à toi aussi !!! Je ne suis pas très présente sur les blogs des copines, mais je reviendrai quand mon emploi du temps sera plus calme.

  11. Je n'ai jamais fini "Sukkwan Island", trop glauque, trop poisseux à mon gout. Je ne pense pas relire cet auteur (et surtout pas ce titre donc 😉 )

  12. C'est aussi ce que j'en ai entendu par les copines, trop lourd et pesant comme style et comme univers … C'est définitif, je ne le lirai pas. J'attendrai quand même que tu te sois essayée à une autre de ses oeuvres ^^

  13. Jolie chronique!
    J'ai aussi découvert l'auteur via ce titre et l'opération des matchs de la rentrée littéraire. Et j'ai aussi pas adhéré du tout à l'histoire.
    Côté tension, j'ai trouvé qu'il y en avait… mais c'était très lourd, trop pesant et l'histoire ne m'intéressait pas.
    Tu as raison quand tu dis que le 4ème de couv avait l'air plus intéressant.
    Côté du style, j'ai quand même un peu aimé, mais c'est vrai que c'est pesant à la fin. (Enfin sans doute la conjugaison de l'histoire et du style).

    Bref je trouve que ta chronique est très bien faite. Ca reflète également mon sentiment. Et je trouve que tu l'as mieux écrit que moi 🙂

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