Othello – William Shakespeare

Lecture commune avec Shelbylee

Edition bilingue
Traduction  : Léone Teyssandier
Bouquins, Robert Laffont, 1604, 85 pages environ

 
Les premières phrases :

RODERIGO – Tush, never tell me ! I take it much unkindly
That thou, Iago, who hast had my purse
As if the strings were thine, shouldst know of this.
IAGO – ‘Sblood, but you’ll not hear me !
If ever I did dream of such a matter, abhor me.

 

L’histoire :
(Est-ce bien la peine de la raconter ??)

 

Venise…
Trois garçons, une fille, un enseigne.
Lui, c’est Othello. Le Maure de Venise pour les intimes.
Othello, un brave homme à qui tout réussit. Songez donc : non content d’avoir pécho la très convoitée Desdémone, qui l’épouse contre l’avis de son sénateur de père, le voici nommé gouverneur de Chypre, après une glorieuse campagne militaire contre les Turcs.
Un grain de sable va cependant s’inviter dans la mécanique parfaitement huilée de ce destin exemplaire. Le vil Iago, qui brigue la position de lieutenant, voit d’un mauvais oeil les succès du général Maure, lequel a eu l’audace de lui préférer Cassio, jeune homme sérieux et bien sous tous rapports.
Un plan machiavélique germe alors dans l’esprit du fourbe Iago, dont la vengeance sera terrible. Terriiiiiiible !
Du sang… De la trahison… Des larmes…
Et ça fait plus de cinq cents ans que ça dure !
(un demi-millénaire, rendez-vous compte !!!)

 

NDLA : Je précise que non, je n’étais pas bourrée ou sous l’emprise de substances illicites lorsque j’ai rédigé ce “résumé”. J’ai probablement été inspirée par l’orage, ainsi que par la beauté diaprée de cette obscure clarté estivale. 17h30, et il fait déjà nuit. Monsoon is coming !!

 

L’opinion de Miss Léo : 

 

Avertissement préalable : je n’aurai pas la prétention de me livrer ici à une analyse critique et littéraire pompeuse et grandiloquente de ce qui reste à ce jour l’une des plus célèbres tragédies du grand William. Je me contenterai donc d’évoquer en vrac quelques réflexions futiles, forcément associées à mon ressenti personnel.

 

“Othello, Othello, why art thou Othello ?”

 

Ah non, zut, je me trompe de pièce ! Encore un coup de l’orage . . .

 

Je disais donc :
“Villainy, villainy, villainy !”

 

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais cette unique réplique, somme toute assez basique, suffit à déclencher chez moi des élans de plaisir jubilatoire, lesquels me ramènent encore et toujours au même constat : Shakespeare, c’est trop de la boulette atomique (cette expression m’a été gentiment prêtée par mon cher F. à l’âme de poète, que j’aime et que je remercie) !! Tragédie, pièce historique ou comédie : chaque lecture, représentation ou visionnage d’adaptation cinématographique provoque invariablement le même enthousiasme, n’en déplaise à certains esprits chagrins, qui jugeraient le théâtre élisabéthain trop ardu, et par là-même inaccessible au plus grand nombre. Eh bien non, je ne suis pas d’accord ! Les pièces de  Shakespeare incarnent au contraire la quintessence de ce que devrait être un divertissement grand public de qualité, et se dégustent avec passion. Intrigues captivantes et personnages débordant d’humanité y sont sublimés par une langue d’une beauté incomparable, vivante et poétique, qui exprime à merveille les tourments des différents protagonistes, qu’ils soient fourbes ou naïfs, cruels ou innocents, comploteurs ou amoureux transis. La plus grande partie du texte est rédigée en vers, mais ceux-ci cèdent parfois la place à des échanges en prose, notamment lorsque Iago ourdit et expose ses plans machiavéliques à ses comparses.  Signalons également quelques passages assez “crus”, qui pimentent harmonieusement le récit : le sexe n’est pas un tabou, et Shakespeare en parle de façon très “nature” ! Les cinq actes se lisent en tout cas avec une relative facilité (il faut dire que l’intrigue d’Othello n’est pas aussi dure à suivre que ne peuvent l’être celles de certaines pièces historiques, au contenu nettement plus hermétique).

 

Il serait d’ailleurs bien dommage de se priver de la VO, laquelle nécessite certes un bon niveau de langue anglaise, mais dont la lecture se révèle particulièrement réjouissante. J’ai un peu peiné lors de la première scène, effectuant de nombreux allers-retours entre le texte original et la version française, mais je me suis peu à peu affranchie de la traduction, pour ne plus lire que l’anglais à partir du deuxième acte. Donc c’est possible !! Je vous conseille l’édition bilingue publiée chez Bouquins, qui propose une bonne traduction, ainsi qu’un commentaire pour chaque oeuvre présentée (à savoir l’intégrale des pièces de Shakespeare en huit volumes). Du bon boulot, à la mise en page claire et aérée.

 

Et Othello, dans tout ça ??

 

J’adooore cette pièce, que je n’avais curieusement jamais lue, mais qui figurera sans nul doute parmi mes préférées de l’auteur. J’en ai goûté chaque mot, chaque tirade, chaque acte, ne parvenant plus à interrompre ma lecture, tant j’étais captivée par le jeu de tromperie et de duplicité mis en place par l’inénarrable Iago. Car c’est bien lui la véritable star de la pièce ! Avouons-le sans détour : Othello est un personnage hautement influençable, qui manque cruellement de charisme et de profondeur, bien qu’il soit également l’un des rouages essentiels de l’intrigue. C’est un bon chef de guerre, mais le fait est qu’il est un peu épais, voire même un peu con-con sur les bords… Il est atterrant de constater avec quelle facilité il se laisse embobiner par Iago, dont tous les stratagèmes semblent devoir fonctionner au-delà de ses propres espérances. Manipulé par son enseigne, en laquelle il s’obstine à ne voir qu’un ami dévoué aux intentions bienveillantes (et le lecteur de s’esclaffer !), le Maure de Venise cède inexorablement aux démons de la jalousie, scellant ainsi son destin, en même temps que de celui de sa tendre épouse. Pathétique !

 

Un héros de tragédie, aussi fade soit-il, est cependant renforcé par la présence d’un puissant arch-enemy, dont la méchanceté et la cruauté font beaucoup pour la qualité de la pièce. Celui-ci prend parfois la forme de “two households, both alike in dignity”, dont les haines ancestrales empêchent l’épanouissement des amours naissantes de deux adolescents. C’est ici Iago qui s’y colle, dans une somptueuse incarnation de “über-méchant” obsessionnel et machiavélique, qui se révèle également misogyne, envieux et redoutablement hypocrite. Cela fait beaucoup de qualités pour un seul homme ! Shakespeare crée un personnage délicieusement mauvais, que je classe sans hésitation parmi les meilleurs méchants de toute l’histoire de la littérature.

 

La pauvre Desdémone ne peut lutter, et ne comprend d’ailleurs rien à ce qu’il lui arrive. Elle devient malgré elle l’instrument de la vengeance de Iago, tout comme Cassio et Emilia, témoin incrédule des agissements de son mari. Les personnages féminins sont peu présents, mais sont finalement les seuls à conserver un semblant de dignité, ce qui les rend plutôt attachantes et sympathiques. Il est intéressant de constater que la jalousie, thème central de la pièce, est ici présentée comme un trait de caractère typiquement masculin : jalousie de Iago envers Cassio et Othello ; jalousie de Roderigo envers Othello ; jalousie d’Othello envers Cassio et Desdémone . . . Dieu, que les hommes sont sots ! 😉

 

Bref, vous l’aurez compris, je suis totalement fan de Shakespeare en général, et de cette pièce en particulier. Il va falloir que je me replonge dans l’oeuvre du dramaturge, dont je suis loin d’avoir tout lu. J’ai également envie de voir ou de revoir certaines adaptations : Hamlet, de Laurence Olivier, que m’a gentiment offert Shelbylee lors de notre swap ; Othello, d’Oliver Parker (j’ai particulièrement hâte de découvrir Iago sous les traits de Kenneth Branagh) ; Le Roi Lear, version RSC 2008. Sans oublier mes chouchous : Henry V et Beaucoup de bruit pour rien, de Kenneth Branagh ; Looking for Richard, d’Al Pacino ; Ran et Le château de l’araignée, de Kurosawa.

 

Enfin, ami(e)s parisienn(e)s, n’hésitez pas me prévenir si vous découvrez qu’une pièce de Shakespeare se monte dans l’un des nombreux théâtres de la capitale. Je suis toujours preneuse ! A bon entendeur . . .

 

Une superbe tragédie aux thèmes universels. Coup de coeur !

 

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Pièce lue dans le cadre du Mois anglais, comptant également pour le challenge Thursday Next de notre amie Alice.

 

 

6 thoughts on “Othello – William Shakespeare

  1. C'est vrai que ce n'est pas facile de faire un billet sur Shakespeare tellement il a été disséqué par plus compétents que nous mais j'adore la forme du tien. Je suis d'accord avec toi, je suis team Iago (et j'ai hâte de le voir interprété par Kenneth). Vive Shakespeare !
    PS : je pense relire Macbeth avant d'aller à Londres parce que c'est la pièce qui passera au Globe quand j'y serai et je compte bien aller la voir ! Si ça te dit…

  2. Comme je te l'avais dit, c'est une de mes pièces préférées du grand Will. Iago est un méchant parfait et j'adore cette terrible histoire de jalousie.

  3. je n'ai pas lu celle-là et c'est vrai que la VO est utile, je l'ai à la maison pour l'intégralité de son œuvre mais c'est difficile pour moi
    j'ai lu "les joyeuses commères de Windsor" très agréable

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