La chute de Berlin – Antony Beevor

Titre original : Berlin. The Downfall. 1945
Traduction (anglais) : Jean Bourdier
Editions de Fallois, 2002, 456 pages (sans les annexes)

 

La première phrase :
Amaigris par la modicité de leurs rations alimentaires et la tension nerveuse, les Berlinois avaient peu de motifs de réjouissance en ce Noël 1944.

 

L’histoire :
1945. La Wehrmacht est en déroute, et recule sur tous les fronts, anéantie par la progression impitoyable des Alliés à l’ouest et de l’Armée Rouge à l’est. Antony Beevor retrace avec une impressionnante rigueur documentaire les derniers mois de la Deuxième Guerre Mondiale en Europe, jusqu’à l’effondrement final du IIIème Reich, symbolisé par la chute de sa capitale exsangue : Berlin.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Après avoir vainement tenté de m’intéresser à quelques lectures plus “girly” (voir mon précédent billet), je reviens enfin à mes premières amours avec ce remarquable récit historique de près de cinq cents pages, consacré à la chute du régime nazi. J’ai découvert Antony Beevor sur le blog d’Argali, et j’ai tout de suite su que nous étions faits pour nous entendre : historien et ancien officier de carrière, ce dernier est en effet l’auteur de plusieurs ouvrages documentaires sur la Deuxième Guerre Mondiale, réputés pour leur efficacité narrative et leur rigueur historique.La Chute de Berlin ne déroge pas à la règle, et relate avec précision l’avancée des armées Alliées dans les mois qui précédèrent l’Armistice du 8 mai 1945. La première partie décrit la progression des opérations militaires, tandis que la deuxième s’attarde plus particulièrement sur la Bataille de Berlin, qui mena l’Allemagne à la capitulation après deux semaines de combats acharnés.
 
Je tiens à rassurer celles et ceux d’entre vous que le nombre de pages et l’aspect martial de l’ouvrage pourraient rebuter : Antony Beevor est un conteur talentueux, qui ne néglige pas l’aspect purement humain du conflit. Le style est fluide, et le récit retrace avec rigueur et précision les faits marquants de cette ultime offensive, sans que cela ne devienne jamais indigeste ou ennuyeux pour le lecteur. Le propos est parfois redondant, mais toujours pertinent, et La chute de Berlin doit avant tout être considéré comme un drame humain, l’auteur mêlant habilement chiffres et données techniques à une description particulièrement poignante du sort réservé aux populations. La reconstitution repose sur une documentation minutieuse, basée sur de multiples témoignages et archives (la bibliographie est à cet égard impressionnante), et illustrée par de nombreuses cartes et photographies. J’ai apprécié cette débauche d’informations purement factuelles, qui m’a considérablement intéressée. J’ai également eu l’excellente surprise de trouver au début de l’ouvrage un lexique présentant les grades militaires des armées en présence, ainsi que leur équivalent chez les Waffen-SS. J’aimerais vous dire que je suis désormais incollable sur la hiérarchie des Obersturmführer, Generaloberst et autres Generalfeldmarschall, mais je crois que ma mémoire laisse quelque peu à désirer…
 
Cette dernière campagne européenne est envisagée selon trois angles : celui de la stratégie militaire (quelle route emprunter pour déstabiliser au mieux les allemands et rallier Berlin au plus vite?) ; celui de la stratégie politique (qu’adviendra-t-il une fois la victoire acquise ?) ; celui, enfin, de l’impact sur les civils, premières victimes des effets conjugués du rouleau compresseur russe, des bombardements Alliés et des derniers sursauts d’orgueil de l’armée allemande en déroute. L’aspect militaire n’est pas le plus intéressant ici, la stratégie de l’Armée Rouge consistant principalement à marcher sur l’ennemi, au cours d’une offensive rapide et déséquilibrée. Les enjeux politiques sont en revanche passionnants, et lourds d’implications pour l’avenir. Antony Beevor rend palpable la compétition sauvage qui faisait alors rage à tous les niveaux : compétition entre les Russes et leurs alliés occidentaux (c’est à qui atteindra le premier la capitale allemande, et libérera un maximum de territoires occupés), mais aussi compétition et rivalité entre les maréchaux soviétiques Joukov et Koniev, tous deux désireux de marquer la fin de la guerre de leur empreinte héroïque. Il est intéressant de noter que les dernières semaines de la Deuxième Guerre Mondiale portent en germe les prémices de la Guerre Froide : si l’on en croit Beevor, les américains sous-estimaient totalement les ambitions de leurs alliés de circonstance, à la différence de Churchill, qui ne voyait en Staline qu’un dictateur sanguinaire et avide de conquêtes. La prise de Berlin devient dans ce contexte un enjeu majeur, les soviétiques s’étant d’ores et déjà emparé de tous les pays d’Europe de l’Est anciennement sous occupation nazie.

 

A des années lumières de ces considérations stratégiques, les populations civiles, à l’agonie après plusieurs années de privations, souffrent le martyr dans des villes et des campagnes ravagées par de violents affrontements. Ceci est particulièrement vrai en Allemagne, où famine et pillages sont désormais monnaie courante. L’aviation Alliée pilonne sans relâche les grandes agglomérations, et les soldats de l’Armée Rouge se vengent des crimes commis sur leur sol par la Wehrmacht et les Einsatzgruppen en se livrant au viol systématique les femmes allemandes. La bêtise humaine se trouve alors portée à son paroxysme, dans un déferlement de violence et de folie meurtrière qui n’épargnent rien ni personne, y compris dans le camp des vainqueurs. Comble de l’absurde : les prisonniers de guerre soviétiques libérés seront ensuite déportés dans leur propre pays pour trahison, ainsi que nombre de soldats mutilés ; Joukov et Koniev, héros de guerre à la popularité jugée inquiétante par Staline, seront quant à eux relégués à des postes inférieurs une fois les hostilités terminées…

 

La deuxième partie de l’ouvrage (captivante !) se focalise sur la bataille de Berlin. On est frappé par l’aveuglement et l’obstination des dirigeants nazis, qui envoient leurs derniers (jeunes) réservistes à l’abattoir, pour défendre une cause depuis longtemps perdue, refusant la capitulation prônée par certains généraux. Parmi les combattants défendant la ville avec acharnement se trouvent même des français du STO, engagés auprès des SS. La propagande orchestrée par Goebbels s’efforce de convaincre une population lasse et désabusée de l’imminence de la victoire, tandis que Berlin se transforme peu à peu en champ de ruines ; on assiste enfin aux dernières heures d’Hitler, retranché dans son bunker aux côtés d’Eva Braun et de la famille Goebbels. Je n’ai rien appris de nouveau, mais j’ai trouvé le panorama très complet, et le récit d’Antony Beevor a indéniablement contribué à renforcer ma fascination pour le destin tragique de la capitale allemande !

 

Je terminerai ce billet en saluant le formidable esprit de synthèse de l’auteur britannique, qui brasse une somme impressionnante d’informations, en parvenant à rendre captivant le moindre détail. Il n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, puisque chacun de ses ouvrages nous invite à revivre de l’intérieur les épisodes les plus marquants de ce chaos planétaire que fut la Deuxième Guerre Mondiale. Il paraît que son Stalingrad est encore meilleur que celui-ci (j’ai hâte de le lire) ! J’ai également commencé (et bien avancé) son pavé La Seconde Guerre Mondiale, que j’ai dû rendre à la bibliothèque, mais que j’emprunterai à nouveau pour pouvoir le terminer.
 

 

Un formidable document historique. Passionnant de bout en bout !

 

Les derniers jours de Berlin ont également été évoqué dans des oeuvres de fiction. Je vous recommande L’hiver du monde de Ken Follett (pas encore chroniqué), ainsi que Deux dans Berlin de Birkefeld et Hachmeister, thriller historique dont je vous invite à lire la critique sur mon blog.
 
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Nouvelle participation au challenge Seconde Guerre Mondiale organisé par Ostinato.
 

5 thoughts on “La chute de Berlin – Antony Beevor

  1. J'ai fait quelques lectures sur la seconde guerre mondiale et j'ai repéré "la seconde guerre mondiale"… J'attends ton avis, mais là pour cette année, avec une dizaine de livres sur le sujet, je ne peux plus en lire d'autres…

  2. Ton billet est plus que complet. Bravo !
    J'ai aussi été secouée par le sort des civils dans ce conflit (même si je savais tout ça) Le lire est toujours plus bouleversant.
    Tu pourrais t'inscrire à mon challenge sur Berlin avec ces titres (challenge illimité) 😉
    Billet le 8 mai ! Joli timing !

  3. Ton billet est vraiment impressionnant, je ne crains pas trop les pavés, mais en ce moment je fais une pause sur les récits et documents, je crois que j'ai besoin de fiction.

  4. Merci pour ta participation ! Je dois avouer que celui-ci ne me tente pas en ce moment, peut-être un peu plus tard lorsque j'aurais l'esprit plus clair…

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