Loup, y es-tu ? – Henri Courtade

Editions Folio SF, 2010, 390 pages

 

Les premières phrases :
La feuille était posée sur le siège en cuir de la limousine blindée. La femme s’en saisit et la contempla quelques instants, relisant pour la centième fois les quatre noms inscrits dessus. Sa décision était prise : elle devait agir sans attendre.

 

La quatrième de couverture :

Et si les personnages maléfiques des contes de notre enfance existaient réellement ? Sans doute ces créatures vampiriseraient-elles notre planète. Sans doute ces créatures vampiriseraient-elles notre planète. Elles seraient de tous les génocides, manipuleraient les plus grands dictateurs. Bref, tapies dans l’ombre d’Hitler ou sous le feu des projecteurs des plateaux télé, elles auraient entre leurs mains expertes le devenir de l’humanité. Sinistre tableau ! Si de tels êtres vivaient, il serait à souhaiter que leur alter ego bienfaisant existe également. Qu’en ce début du XXIe siècle ces personnages merveilleux s’éveillent et décident de se battre. Et alors… qui sait de quel côté la balance pencherait ?

 
L’histoire :

11 septembre 2001 : la jeune Cindy Vairshoe se trouve dans la Tour Nord du WTC lorsque celle-ci est percutée par un avion de ligne. A des milliers de kilomètres de là, Marilyn Von Sydow, jeune beauté brune et ténébreuse,intervient devant le gratin de la pègre mondiale, qu’elle semble tenir en son pouvoir. Elle est accompagné du Loup, arrogant individu de sexe mâle, avec lequel elle évoque les années passées aux côtés d’Hitler.Janvier 2011 : Isabelle de Boisjoly s’engage comme infirmière dans une ONG humanitaire du Sud Soudan. Elle décédera quelques jours après son arrivée, piquée par une mouche Tsé-Tsé.

Printemps 2011 :  à New York City, le nain Franz Schüchtern aborde la jeune Albe Snösen, et l’emmène voir le ballet Blanche Neige. Il lui achète des pommes, et promet de la revoir très vite.

Eté 2011 : Virginia Woolf, jeune créatrice de vêtements noirs (jamais de rouge !) participe aux défilés de haute couture londoniens ; elle est “kidnappé” par un étrange individu, qui dit être là pour lui sauver la vie. Le Traqueur (c’est son nom) la conduit jusqu’au port. Destination : New-York !

Il va de soi que tous ces événements sont intimement liés !

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’ai choisi ce titre dans la sélection proposée par les éditions Folio, avec lesquelles j’entame mon tout premier partenariat (aparté : je ne cours pas après les partenariats et autres SP, mais j’étais cependant ravie de me voir contacter par cet éditeur, au catalogue particulièrement éclectique). Autant le dire tout de suite : Loup, y es-tu ? n’est pas un livre vers lequel je me serais tournée spontanément si j’avais dû l’acheter en librairie. J’ai néanmoins souhaité profiter de l’occasion qui m’était offerte pour plonger dans un univers à mille lieues de mes lectures habituelles, intriguée par la quatrième de couverture et par une ribambelle de critiques élogieuses.

 

Je suis assez partagée concernant ma lecture. On ne peut pas dire que ce roman ne m’ait pas intéressée : je l’ai lu très rapidement, et l’histoire m’a paru plutôt séduisante dans les grandes lignes. Il n’en demeure pas moins que certaines choses m’ont déplu, et que je ne garderai probablement pas un souvenir impérissable de ce texte, lequel possède pourtant d’indéniables qualités narratives et stylistiques.

 

Commençons justement par en évoquer les aspects positifs.

 

On entre rapidement dans le vif du sujet, et j’ai beaucoup aimé l’efficacité des premiers chapitres, très incisifs, qui règlent définitivement leur compte à deux des quatre “princesses”. Henri Courtade annonce d’emblée la couleur : sa fable fantastique sera teintée d’humour, celui-ci se manifestant sous différentes formes, allant de l’ironie à un humour plus référencé (l’image de la pomme croquée, fatale à Blanche Neige, servant de logo à une célèbre marque de matériel informatique), quand l’auteur se contente pas tout simplement de jouer avec les mots et la langue. Je me suis pour ma part régalée avec les noms des personnages du roman. Cindy Vairshoe, Albe Snösen et Virginia Woolf (!) y côtoient les nains Franz Schüchtern et Albert Mürrisch. C’est bête, mais amusant (il faut dire que je suis très réceptive aux jeux de mots, surtout lorsque ceux-ci sont mauvais et honteusement capillotractés). Les titres des chapitres sont également très évocateurs.

 

Les personnages sont un peu creux (n’est-ce pas là l’apanage des héros de contes de fées ?), mais j’ai malgré tout été agréablement surprise par Albe et Virgina, certes superficielles, mais pas aussi niaises que je le craignais au départ. Ma préférence va cependant aux nains, très intéressants, qui apportent une très appréciable touche d’humanité au récit. Je n’ai en revanche pas été convaincue par la méchante sorcière Marilyn Von Sydow, abordée de façon bien trop manichéenne, et finalement assez peu présente dans le roman. Dommage.

 

Venons-en maintenant au contenu. Henri Courtade exploite intelligemment le contexte politico-économique actuel, qui se révèle intimement lié aux agissements de la machiavélique Marilyn Von Sydow, experte en manipulation de politiciens, mafieux et autres chefs d’entreprise. Celle-ci joue sur les peurs collectives, et sait pouvoir compter sur la cupidité de l’espèce humaine pour asseoir son pouvoir et sa domination. On comprend rapidement que cette âme maléfique est à l’origine de toutes les guerres et les catastrophes de l’histoire de l’humanité. Seuls les moyens évoluent. Sa dernière arme ? Un gigantesque groupe médiatique, véritable fléau des temps modernes, capable de retourner l’opinion en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Blanche Neige !

 

L’auteur introduit plutôt habilement des références à la Seconde Guerre Mondiale et aux camps de concentration, allant même jusqu’à créer un sinistre personnage de médecin SS officiant à Mauthausen, où furent jadis incarcérés les nains de Blanche Neige (!). On le sent cultivé et intéressé par son sujet, et le roman compte de belles idées, dont la principale consiste à apporter un nouvel éclairage sur les contes de fées de notre enfance. Henri Courtade en propose ici une réécriture plutôt intelligente, le passé d’Albe et de Virginia étant peu à peu révélé au cours de longs flash-backs reprenant la trame de base de Blanche-Neige et du Petit Chaperon Rouge.

 

Les personnages merveilleux, bons ou mauvais, sont donc au coeur de ce roman, qui développe cependant des situations très réalistes : Albe vend des places de musicals à tarif réduit dans le kiosque TkTS  de Times Square et vit dans un minuscule appartement du Queen’s, tandis que Virginia, devenue créatrice de vêtements, assiste à des défilés de mode et se saoûle en compagnie de ses (nombreux) amants. C’est le postulat de base de l’oeuvre : et si les créatures féériques n’avaient jamais cessé de vivre parmi nous, adoptant les us et coutumes de chaque époque ?

 

Un petit mot du style de l’auteur : celui-ci utilise un vocabulaire recherché, qui contraste avec la syntaxe, très froide, à base de phrases courtes et sans fioriture. Ce ton détaché est la principale caractéristique d’une écriture par ailleurs très fluide, qui se lit facilement, et derrière laquelle perce une grande érudition.

 

 

Mais alors, me direz-vous, pourquoi n’ai-je pas été davantage conquise par ce roman ??

 

Loup y es-tu ? possède malheureusement les défauts de ses qualités. Il arrive que les effets de style (parfois maladroits) et les traits d’humour (parfois un peu lourdingues) tombent à plat, et le récit n’échappe pas à certains clichés. J’ai trouvé la référence au 11 septembre un peu facile (celle-ci intervient au tout début de l’ouvrage), et l’allégorie consistant à voir le Mal absolu s’incarner sous les traits d’une méchante sorcière symbolisant tous les maux de notre époque, dont certains blogs ont vanté l’audace et l’intelligence, me semble au contraire manquer de subtilité. C’est tellement énorme que cela en deviendrait presque ridicule.

 

Je n’ai pas cru un instant aux personnages du Loup et du Traqueur, que je trouve assez mal exploités (et la révélation finale ne m’a pas bouleversée plus que ça). Mon intérêt est par ailleurs nettement retombé au cours des quelques scènes d’action du roman, franchement pas terribles. C’est d’ailleurs l’un des reproches que l’on peut faire lui faire : le récit est trop dilué, en dehors des premiers chapitres évoqués plus haut. L’intrigue traîne un peu en longueur, et aurait gagné à être davantage resserrée, d’autant plus qu’il ne se passe pas grand chose pendant une bonne partie du livre (l’essentiel de l’action résidant dans les flash-backs). La fin est également un peu bâclée, et le dénouement ne tient pas toutes ses promesses. J’ai par ailleurs noté une incohérence de taille : la sorcière sait tout, anticipe tout, mais n’est pas fichue de reconnaître Albe Snösen lorsque celle-ci se présente à elle (sans même avoir songé à modifier son prénom) ??? Ce n’est pas très crédible…

 

Peut-être ne suis-je pas la meilleure juge pour évaluer les qualités de ce roman. Je ne suis pas familière du genre fantastique, et ce que l’on a coutume d’appeler “Littérature de l’Imaginaire” est malheureusement un domaine qui demeure pour moi relativement opaque. Je suis malgré tout amatrice de contes en tout genre (j’ai appris à lire à quatre ans et demi avec un exemplaire de Blanche Neige et les sept nains), et je suis également fan inconditionnelle des univers fantastiques du SDA ou des Harry Potter. Cette découverte aurait donc pu se transformer en coup de coeur… ce qui n’a pas été le cas ! Je ne nie cependant pas la démarche fort sympathique de l’auteur, qui a su donner à son roman un côté décalé et attachant. On sent un fort potentiel chez cet écrivain, même si Loup y es-tu ? ne tient selon moi pas toutes ses promesses.

 

Dans le genre “réécriture de contes célèbres”, je crois que je préfère les versions plus décalées et plus ouvertement humoristiques, comme Les contes à l’envers de Philippe Dumas, que j’adorais quand j’étais enfant (j’avais beaucoup ri en lisant l’histoire du Petit Chaperon Bleu Marine, que j’avais même illustrée à l’école).

 

Un dernier bémol concernant la couverture, que je trouve assez laide, et surtout en décalage complet avec le contenu du livre (on a l’impression d’avoir affaire à une oeuvre de Bit Lit-Young Adult, ce qui est loin d’être le cas) ! Je la trouve un peu racoleuse…
 
Bref, je reste sur un avis mitigé, et le plaisir immédiat ressenti à la lecture s’est quelque peu estompé lorsque j’ai commencé à réfléchir au contenu du roman dans son ensemble. Celui-ci est divertissant, bien documenté, mais je ne suis malheureusement pas aussi enthousiaste que Melisende ou Evy, qui semblent pour leur part totalement conquises.
 
Alice est elle aussi restée perplexe, tout en reconnaissant les qualités de l’oeuvre.

 

Un roman sympathique et travaillé, auquel il manque cependant un petit supplément d’âme et de profondeur pour être totalement séduisant.
 
Merci à Lise et aux éditions Folio pour cet envoi.

 

10 thoughts on “Loup, y es-tu ? – Henri Courtade

  1. C'est vrai qu'il y a beaucoup de commentaires pour le moins positifs de ce livre. J'ai lu (et relu) avec beaucoup de plaisir les "Contes à l'envers" que j'ai adoré 🙂

  2. Merci pour cette belle critique très bien argumentée, Miss Léo. Loup, y es-tu ? est un roman qui plaît à la folie, ou bien laisse dubitatif d'autres lecteurs au contraire. Mieux vaut cela que de laisser indifférent, vous ne trouvez pas ? 😉
    J'aimerais toutefois relever un point sur lequel vous avez été déçue : la sorcière ne reconnaît pas Albe. Bien sûr : elle est tellement narcissique qu'elle est incapable de voir à deux pas d'elle sa proie. Notez que c'est à Albe qu'elle demande qui est la plus belle, pas au miroir. Albe n'est qu'un objet dans lequel l'obsession de beauté de Marilyn se reflète, incapable de voir au-delà, contrairement aux hommes dont elle exploite si bien les travers depuis la nuit des temps, car elle n'attend rien d'eux. Euh, je ne sais pas si je suis très clair, enfin bref, je suis ravi tout de même que vous ne vous soyez pas ennuyée à sa lecture 🙂

    Henri Courtade

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire. Il est appréciable de pouvoir échanger de façon aussi sympathique avec les auteurs. Rassurez-vous, votre explication est parfaitement claire et tout à fait pertinente. Je reconnais d'ailleurs l'avoir moi-même envisagée (j'ai donc été un peu de mauvaise foi dans mon billet). Une vraie tête à claques, cette Marilyn !
      Bonne continuation à vous, et merci pour ce sympathique roman, qui m'aura tout de même procuré quelques bons moments.

  3. Je découvre ce roman grâce à ton billet Miss Léo (j'ai parfois l'impression de vivre dans une grotte !) et malgré ton avis en demi teinte je suis assez tentée et curieuse … (sûrement mon faible pour les contes de fées !).
    En tout cas, j'ai été fort surprise, en ouvrant ton blog, de voir un commentaire sur un livre qui semblait être (à première vue) de la bit-lit lol !!

    1. Je suis moi-même assez peu au courant des nouveautés, et je découvre souvent après tout le monde des livres dont tout le monde parle ! Il est vrai que la couverture de celui-ci ne m'aurait pas du tout attirée au premier abord…
      Ce roman pourrait t'intéresser, malgré les quelques points négatifs que j'ai évoqués. Je serais curieuse d'avoir ton avis.

  4. Je n'étais déjà pas tentée par la 4ème de couv., je ne vais pas noter ce titre. Mais l'auteur est charmant !

  5. Bravo pour ce billet très bien développé. Je ne suis pas fan des contes, mais parfois j'aime la façon dont ils sont revisités. Je lirai peut-être ce roman à l'occasion. En plus, l'auteur a l'air sympa et ça, c'est vraiment positif !

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