Challenge Alfred Hitchcock : Fenêtre sur Cour/Rear Window (1954)

 

Nouvelle incursion dans l’univers du Maître, avec un long-métrage considéré à juste titre comme étant l’un de ses chefs d’oeuvre : j’ai nommé l’indémodable Fenêtre sur Cour, adapté d’une nouvelle de Cornell Woolrich (que je crois avoir lue dans une vie antérieure, mais dont je n’ai absolument aucun souvenir). Celui-ci fait indéniablement partie de mes films préférés, toutes catégories confondues. Je l’ai regardé en boucle pendant une bonne partie de mon adolescence, et vous serez ravis d’apprendre que je le connais encore par coeur, bien que certains de mes neurones trentenaires soient déjà victimes des effets précoces d’Alzheimer.

 

Je l’ai donc revu hier soir avec une pointe de nostalgie. C’était pour la bonne cause, mon amoureux ne l’ayant encore jamais vu ! 😉

 

L’histoire :
 
L.B. Jeffries, photoreporter, la jambe dans le plâtre, est immobilisé chez lui depuis plusieurs semaines. Désoeuvré, il passe ses journées à observer avec amusement le comportement de ses voisins à travers la fenêtre ouverte. Ce qui n’était jusque là qu’un passe-temps anecdotique et éthiquement discutable prend une tournure inattendue lorsque Jeff en vient à soupçonner un homme d’avoir tué sa femme. Il se confie à son ami Doyle, détective, qui ne le prend pas au sérieux. Jeff n’aura alors de cesse de prouver la véracité de ses soupçons. Il pourra compter sur le soutien enthousiaste de sa fiancée, la charmante et sophistiquée Lisa Fremont, ainsi que sur l’aide de sa caustique infirmière Stella.

 

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Quel film admirable ! Celui-ci supporte sans peine de nombreux visionnages, qui n’altèrent en rien le charme et le sentiment de perfection qui se dégagent de cette histoire. Perfection du scénario, du montage et de l’interprétation, renforcés par une subtile utilisation de la musique pourtant anecdotique de Franz Waxman (n’est pas Bernard Herrmann qui veut). Fenêtre sur Cour est une oeuvre riche et passionnante à bien des égards.

 

Source : Hitchcock – Truffaut (éd. Gallimard)

 

James Stewart est ici en position de spectateur. Devant sa fenêtre se jouent une multitude de mini-drames humains, tour à tour cocasses et émouvants. Hitchcock met en place une belle galerie de personnages, qui n’existent pourtant que par ce que Jeff peut en voir. Parmi les plus mémorables, citons par exemple Miss Torso, jeune danseuse de ballet courtisée par des requins sans scrupules ; Miss Lonelyhearts, coeur solitaire en mal d’amour (un personnage bouleversant) ; un vieux couple sans enfant, dont toute l’affection s’est reportée sur leur petit chien ; un pianiste de jazz, dont la musique se révélera salvatrice ; Lars Thorwald enfin, le tueur présumé, à qui son épouse alitée ne formule que des reproches à longueur de journée.

 

Ce petit monde prend vie sous nos yeux, avec une surprenante économie de dialogues et de moyens (le film a été tourné dans un décor unique, avec le regard de Jeff pour seul point de vue). La réussite du film tient pour beaucoup au montage, et réside surtout dans le talent de ses interprètes principaux. James Stewart, l’un des deux acteurs fétiches d’Hitchcock avec Cary Grant (entre les deux, mon coeur balance), est comme toujours formidable. Son jeu précis et subtil se teinte parfois de noirceur et d’ambiguité. Je suis à chaque fois émerveillée par le regard admiratif et éperdu d’amour qu’il jette à Lisa lorsque celle-ci revient d’une “mission” périlleuse dans l’appartement d’en face. Son visage en est transfiguré : du grand art !

 

Lisa est quant à elle interprétée par Grace Kelly, actrice préférée d’Hitchcock et future princesse de Monaco. Celle-ci apporte toute la fraîcheur et la sophistication nécessaires au personnage, avec un petit quelque chose en plus. Stella est incarnée par Thelma Ritter, qui jouera plus tard dans les Misfits, et dont le côté très pince-sans-rire s’accorde parfaitement avec l’humour noir de cette sympathique infirmière qui ne mâche pas ses mots. L’excitation grandissante des deux femmes et leur acharnement à résoudre l’énigme de la disparition de Mrs Thorwald renforcent le sentiment de connivence du spectateur, qui aurait pu être gêné par le côté voyeuriste du personnage principal.

 

Source : Hitchcock – Truffaut (éditions Gallimard)

 

Le montage insiste d’ailleurs sur cet aspect voyeuriste, très bien résumé par Hitchcock lui-même :

 

“Prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l’on descend dans la cour dans un panier ; on revient à Stewart, il sourit. Maintenant, à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace le même gros plan de James Stewart souriant et, maintenant, c’est un vieux salaud !” (Hitchcock-Truffaut, éditions Gallimard, page 179)
 

Autre atout du film (last but not least) : le suspense, très bien orchestré, notamment lors de la scène où la pétillante Lisa s’introduit dans l’appartement de Lars Thorwald pour y débusquer des preuves de sa culpabilité. Jeff, immobilisé sur sa chaise, est aussi impuissant que le spectateur, et ne peut que se mordre le poing d’angoisse en voyant sa bien-aimée courir de tels risques. Un procédé redoutablement efficace.

 

La progression de l’intrigue est doublée d’un sous-texte sur la perte de liberté occasionnée par le mariage. Lisa veut épouser Jeff. Jeff ne souhaite pas s’engager dans cette voie, croyant Lisa incapable de s’adapter à sa vie de baroudeur. A sa décharge, on ne peut pas dire que les couples qu’il observe par la fenêtre offrent une image heureuse et épanouie du bonheur conjugual… Au contraire, ils semblent  tous dysfonctionnels, à des degrés divers (tous les mariages ne finissent pas forcément par un meurtre). Il est probable que Jeff et Lisa finiront par se marier, leur aventure les ayant rapprochés. La fin du film est néanmoins assez pessimiste, et l’on imagine mal Lisa quitter l’univers des défilés de mode et des boutiques de luxe pour accompagner Jeff dans ses périples autour du globe…

 

Vous l’aurez compris, je n’ai que du bien à dire de ce film, qui devrait faire partie de la DVDthèque de tout cinéphile averti. En guise de conclusion, je vous propose une reproduction de cette photo de tournage, que j’ai longtemps gardée au mur de ma chambre :

 

 

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Un grand merci à Titine et Sabbio, organisatrices du Challenge Alfred Hitchcock, auquel je participe pour la deuxième fois.

 

 

5 thoughts on “Challenge Alfred Hitchcock : Fenêtre sur Cour/Rear Window (1954)

  1. Moi aussi j'adore ce film. Ca me donne envie de le revoir ! Et j'ai aussi le coeur qui balance entre James Stewart et Cary Grant 😉

  2. Merci pour ton billet enthousiaste et je partage ton avis en tous points. J'adore ce film et son dispositif génial. Les acterus sont tous absolument parfaits. Je dois quand même avouer une nette préférence pour Cary… 😉

    1. Cary a peut-être un peu plus de charme. Tous deux sont néanmoins des acteurs formidables et éminemment sympathiques, à la filmographie extrêmement variée. J'aime James Stewart dans les films de Capra, Lubitsch, Borzage, Mann. Cary Grant est exceptionnel chez Howard Hawks. Tous deux ont été sublimés par Hitchcock.
      As-tu vu The Philadelphia Story, de George Cukor ? James et Cary y jouent ensemble aux côtés de Katharine Hepburn. Je n'ai pas réussi à les départager ! 😉

  3. Il fait partie des hichtcock que je n'ai pas vu ! Mais j'ai vu d'autres remakes… moins bien apparemment ! J'espère que j'airai l'occasion de le voir car je suis inscrite au challenge

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