Actes Sud, 2009, 192 pages
Les premières phrases :
J’ai lu ce matin le premier article de fond sur la mort d’Anna. Il est allé rejoindre les autres, découpés et collés par mes soins dans le grand carnet de moleskine. Le journaliste avait raison de dire qu’elle n’avait conservé aucune revue de presse. Il oubliait seulement de préciser que je m’en étais chargé – à l’insu d’Anna, il est vrai.
L’histoire :
(je manque de temps pour écrire, et vais donc piller la quatrième de couverture, qui me paraît pour une fois assez convaincante)
Anna Song, “la plus grande pianiste vivante dont personne n’a jamais entendu parler”, laisse derrière elle une oeuvre discographique sans précédent. Malgré la maladie, et dans un engagement du corps et de l’âme proche de la ferveur, elle a voué ses dernières années à arpenter, avec une indéfectible justesse, un territoire musical des plus vastes. Gardien du temple et architecte de la légende : Paul Desroches, son mari et producteur. Mais tandis que celui-ci raconte la femme aimée, de l’émerveillement enfantin aux patientes années d’une vie partagée dans une sorte de culte de la beauté, le scandale éclate. Anna Song n’aurait pas enregistré une seule note de sa discographie, pillée ailleurs par l’amoureux démiurge. Imposture, falsification, trahison : au concert de louanges nécrologiques succède le tapage de l’opprobre, relayé par des médias d’autant plus féroces que bernés.
L’opinion de Miss Léo :
J’ai enchaîné plusieurs lectures plaisantes au mois de septembre, mais aucune ne m’avait autant séduite que ce superbe roman, que je classe sans hésitation parmi mes coups de coeur. Après quelques pavés, j’ai eu envie de revenir à des oeuvres plus courtes, que je pourrais lire d’une traite plutôt que de façon fragmentée. Mon choix s’est porté sur le deuxième roman de la jeune française d’origine vietnamienne Minh Tran Huy, dont le titre et la couverture me plaisaient beaucoup, et sur lequel Karine et Jostein (entre autres) avaient publié des avis très positifs. Qui plus est, je suis rarement déçue par les éditions Actes Sud, lesquelles m’ont déjà procuré de bien beaux moments de lecture par le passé.Eh bien figurez-vous que je suis une nouvelle fois séduite ! La double vie d’Anna Song est en effet un roman d’amour bouleversant, porté par la plume délicate et poétique de Minh Tran Huy, dont la sensibilité illumine chacune des pages de ce récit dense et admirablement construit. Le témoignage de Paul Desroches, mari dévoué et dévasté par la mort de son épouse Anna, est entrecoupé de fausses coupures de presse, lesquelles s’émeuvent dans un premier temps du talent de la pianiste prodige, avant de s’acharner à dénoncer la supercherie, entraînant ainsi l’effondrement du “mythe Anna Song”.
Anna… Un prénom que j’adore, que je trouve très mélodieux, sensuel et plein de mystère. Nous découvrons la jeune femme à travers le regard éperdu d’amour de Paul, narrateur masculin dont l’auteur traduit pourtant les réactions et les sentiments avec beaucoup de justesse. Celui-ci évoque leur vie commune, de leur première rencontre à l’âge de huit ans jusqu’à leurs tous derniers instants de complicité. On comprend vite que Paul est prêt à tout pour assurer le bonheur de sa moitié, laquelle lutte vaillamment contre un redoutable cancer des ovaires.Inspiré d’une histoire vraie (celle de la pianiste Joyce Hatto et de son mari William Barrington-Coupe), le texte de Minh Tran Huy est cependant bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. A travers le parcours d’Anna resurgit en effet l’histoire de sa famille vietnamienne, qui donne une toute autre dimension au roman. L’auteur évoque le déracinement, le poids des souvenirs, et les mutations subies par un pays meurtri, qui évoluera jusqu’à en devenir méconnaissable. J’ai aimé les passages consacrés aux grands-parents d’Anna, qui tous luttèrent pour leur survie et leur dignité dans un Vietnam en guerre contre les occidenaux.
“J’aimais beaucoup la grand-mère d’Anna. Son pas silencieux, son élégance, les soins dont elle nous entourait tous deux. Le muet apprentissage qu’elle nous prodiguait dans sa cuisine. Après les pâtés impériaux, elle nous a enseigné la confection de beignets à la farine de lotus fourrés d’un mélange de porc et de crevettes. Tout s’est passé par gestes, sans qu’Anna ait besoin de traduire : sa grand-mère nous a montré comment faire la pâte et la travailler pour la rendre aussi lisse que possible, avant de la disposer en petits tas compacts qu’elle étalait jusqu’à ce qu’ils prennent la forme de disques d’une blancheur opaline.” (page 77)
Née en France, Anna peine quant à elle à trouver sa place dans cette famille à l’histoire riche et mouvementée. Le Vietnam n’est pour elle qu’un fantasme, nourri par les histoires de son enfance. Elle semble avoir du mal à construire son identité, et trouve dans la musique un refuge, une raison d’être. Son piano devient alors son seul rempart contre le monde.
“Jusque là, et c’était une impression qui la poursuivait depuis qu’elle avait posé le pied sur le sol vietnamien, Anna n’était pas parvenue à se défaire du sentiment de glisser sur la surface lisse et chatoyante d’une carte postale, quand bien même elle en entrevoyait régulièrement l’envers grâce aux récits de ses parents qui s’efforçaient, en s’appuyant sur leurs souvenirs, de donner une coloration personnelle à tous les lieux qu’ils visitaient.” (page 127)
Last but not least : la fin du roman est absolument remarquable ! L’expression “aimer à la folie” prend alors tout son sens. Je me suis pour ma part laissée surprendre par un dénouement totalement inattendu, d’une force et d’une violence rares. J’ai presque envie de relire le livre pour en saisir toute la portée.
“J’aimais beaucoup la grand-mère d’Anna. Son pas silencieux, son élégance, les soins dont elle nous entourait tous deux. Le muet apprentissage qu’elle nous prodiguait dans sa cuisine. Après les pâtés impériaux, elle nous a enseigné la confection de beignets à la farine de lotus fourrés d’un mélange de porc et de crevettes. Tout s’est passé par gestes, sans qu’Anna ait besoin de traduire : sa grand-mère nous a montré comment faire la pâte et la travailler pour la rendre aussi lisse que possible, avant de la disposer en petits tas compacts qu’elle étalait jusqu’à ce qu’ils prennent la forme de disques d’une blancheur opaline.” (page 77)
Née en France, Anna peine quant à elle à trouver sa place dans cette famille à l’histoire riche et mouvementée. Le Vietnam n’est pour elle qu’un fantasme, nourri par les histoires de son enfance. Elle semble avoir du mal à construire son identité, et trouve dans la musique un refuge, une raison d’être. Son piano devient alors son seul rempart contre le monde.
“Jusque là, et c’était une impression qui la poursuivait depuis qu’elle avait posé le pied sur le sol vietnamien, Anna n’était pas parvenue à se défaire du sentiment de glisser sur la surface lisse et chatoyante d’une carte postale, quand bien même elle en entrevoyait régulièrement l’envers grâce aux récits de ses parents qui s’efforçaient, en s’appuyant sur leurs souvenirs, de donner une coloration personnelle à tous les lieux qu’ils visitaient.” (page 127)
Last but not least : la fin du roman est absolument remarquable ! L’expression “aimer à la folie” prend alors tout son sens. Je me suis pour ma part laissée surprendre par un dénouement totalement inattendu, d’une force et d’une violence rares. J’ai presque envie de relire le livre pour en saisir toute la portée.
Pas encore convaincu ??? Procurez-vous vite un exemplaire de La double vie d’Anna Song, et lisez-le sans plus tarder. Vous me remercierez… ou pas !
Coup de coeur ! Un superbe deuxième roman, d’une beauté envoûtante.
Nous avons décidément des goûts communs : si je t'avais rejoint dans tes réticences pour Miel et vin par exemple, La double vie d'Anna Song a été mon premier coup de cœur de cette année en janvier ! Comme toi, je l'avais adoré ! J'en retiens surtout la construction en poupées russes, tout à fait remarquable, et le final absolument parfait. Je n'ose pas en parler plus, mais je le trouve vraiment brillant : surprenant, tout en étant très bien amené, une réflexion très intéressante, des émotions bien dosées. Bref, parfait ! Je me souviens aussi que la récurrence de la Pavane pour une infante défunte m'a fait associer cette très belle mélodie à ce roman.
Je ne peux que me joindre à toi pour encourager à lire ce très beau roman !
Je voulais parler de la Pavane dans mon billet, mais j'ai oublié !! Je suis contente de savoir que tu as toi aussi apprécié ce roman remarquable.
Il m'attend en biblio également et je ne vais pas tarder à l'emprunter (lorsque j'aurai diminué ma pile à lire : objectif premier 2012).
Il présente l'avantage d'être court. N'hésite pas à l'emprunter !
Bonjour Miss Léo, et merci pour cette belle note de lecture dans le Dragon 2012. J'ai noté ce roman, mais je ne savais pas que c'était d'après une histoire vraie. Bonne continuation du challenge et bon weekend, à bientôt.
Merci ! Je ne savais pas non plus qu'il était inspiré d'une histoire vraie, mais l'auteur le signale à la fin de l'ouvrage.
J'ai du mal à m'intéresser au thème malgré les avis élogieux. Pourtant cet été, j'ai eu l'occasion d'écouter Daniel Mesguish lire un extrait de ce roman, en présence de l'auteur, mais je n'ai pas craqué.
Dommage ! Il m'a vraiment beaucoup plu, mais s'il ne te tente pas plus que ça, il est effectivement inutile de se forcer. D'un autre côté, il est assez court, et se lit donc rapidement.
J'avais remarqué ce roman grâce à sa superbe couverture mais je ne l'ai finalement pas acheté.
La couverture est effectivement magnifique. J'espère que tu te laisseras tenter !
j'ai beaucoup aimé ce livre, et quel dénouement !
J'en suis encore toute émue !
Bonsoir, La couverture est belle mais je laisse l'histoire pour un autre moment. Tu dévoiles certaines choses que je n'ai pas envie de lire. Mais le titre est noté.