Point Zéro – Antoine Tracqui

Editions Critic, 2013, 878 pages

 

La première phrase : 
La voix du pilote dans le haut-parleur cabine t’arrache à la somnolence dans laquelle tu avais doucement sombré : “On passe la frontière dans cinq minutes, monsieur. C’est le moment, si vous êtes toujours décidé.”

 

L’histoire :
(je mets la quatrième de couverture, ce sera plus simple !)
1938. Italie. Dans les rues de Palerme, un jeune fuyard tente d’échapper à la police secrète de Mussolini. Dans sa main, une mallette dont le contenu semble exciter bien des convoitises.
1944. États-Unis. Sur une route poussiéreuse du Middle West, trois hommes d’exception jettent les bases d’un projet qui pourrait bien changer l’issue de la guerre.
2018. Caleb McKay, un ex-SAS reconverti dans les missions de sauvetage à risque maximal, est recruté par un milliardaire excentrique pour rejoindre un point bien précis du littoral Antarctique où, quelques jours auparavant, un satellite espion a fait une incroyable découverte. Très loin de là, au fin fond de la Russie, un vieil homme interrompt prématurément sa partie de chasse pour se mettre lui aussi en route…
Du tréfonds du sous-sol africain aux pentes de l’Etna en passant par les côtes désolées du continent austral s’enclenche une course contre la montre à la recherche d’un des secrets les mieux gardés de l’Histoire.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Voici typiquement le genre de roman auquel je n’aurais jamais prêté la moindre attention si je n’en avais eu vent au préalable par l’intermédiaire de blogueuses enthousiastes. Ce sont les billets élogieux de Sandrine et Arieste qui m’ont donné envie de découvrir Point zéro, publié il y a un peu plus d’un an par les toutes jeunes Editions Critic. J’étais quelque peu dubitative, redoutant sans doute de tomber sur un navet façon Dan Brown (oui, je sais, j’y tiens, mais ce n’est quand même pas de ma faute si j’ai été traumatisée par le Da Vinci Code !) ; l’excellent bouche à oreille suscité par ce roman, le résumé intrigant de la quatrième de couverture ainsi que le côté scientifique de l’intrigue ont cependant fini par avoir raison de mes réserves initiales. J’ai par ailleurs eu l’occasion d’échanger quelques mots avec Antoine Tracqui lors du dernier Salon du Livre, et je l’ai trouvé très sympathique (modeste et accueillant, avec en plus le petit grain de folie nécessaire pour écrire un pareil OLNI*).* Objet Littéraire Non Identifié

 

Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps : Point Zéro fut une bien belle surprise, et je me suis délectée de la lecture de ce pavé dense et ô combien réjouissant. On a du mal à croire qu’il s’agisse d’un premier roman, tant celui-ci semble maîtrisé et totalement abouti, si l’on excepte quelques maladresses dans les dialogues, parfois un peu “naïfs”. L’auteur est de toute évidence un brillant individu : médecin légiste aux multiples centres d’intérêt, il manie la langue française à la perfection, et allie une grande rigueur formelle à une imagination foisonnante. Antoine Tracqui s’aventure sur les terres du techno-thriller, effectuant ainsi le choix audacieux d’un genre littéraire très inhabituel en France, qui demeure la plupart du temps la chasse-gardée des auteurs américains. Son projet se révèle qui plus est particulièrement ambitieux, de par son nombre de pages et sa structure narrative complexe, mêlant plusieurs histoires et effectuant de constants allers-retours entre différentes époques. Le résultat se révèle bluffant, car totalement réussi !

 

Je ne me suis pas du tout ennuyée, et il ne m’aura fallu que trois jours pour venir à bout de ce pavé de 880 pages au rythme haletant, constitué de courts chapitres alternant les points de vue et relatant le déroulement des événements heure par heure, parfois même minute par minute ! Le procédé peut agacer, et certains lecteurs trouveront peut-être le récit trop fragmenté (je conçois parfaitement que cela puisse être un frein à la lecture). Les scènes d’action et les actes de bravoure s’enchaînent, ce qui ne m’a étonnamment pas du tout gênée, moi qui ne suis pourtant pas friande de ce type de récits en règle générale. Il est vrai que l’auteur ménage un vrai suspense, et que l’intrigue suscite nombre d’interrogations.L’histoire se déroule dans notre futur proche, en l’an de grâce 2018. Ce choix se révèle particulièrement judicieux : les personnages évoluent en effet dans un monde semblable au nôtre, cependant marqué par des progrès scientifiques et techniques notables, qui se manifestent notamment dans le domaine de l’armement, ainsi que dans celui des soins médicaux. Les personnages utilisent par exemple des combinaisons de combat ultra-performantes, et communiquent avec des intelligences artificielles dont l’expertise se révèle bien souvent indispensable. Ces évolutions semblent parfaitement crédibles, et l’on appréciera la poésie “lunaire” de certaines inventions sorties de nulle part, telles ces deux chercheuses arrosant leur bégonias dans un laboratoire en orbite basse (quarante-sept kilomètres d’altitude).

 

Le roman d’Antoine Tracqui repose sur une documentation scientifique rigoureuse, point très positif me concernant (je lui en aurai voulu si cela n’avait pas été le cas) ! Je n’ai pas été rebutée par la place accordée au matériel et aux véhicules militaires (armes, torpilles, navires etc…), décrits avec moult détails tout au long du roman (ben oui, c’est le principe d’un techno-thriller). Bien au contraire, cet aspect technologique m’a beaucoup plu, et l’apparition soudaine (et quelque peu inattendue) d’un hydravion Dornier 10 en parfait état de marche m’a fait frétiller d’excitation (non, je ne suis pas une petite fille comme les autres) !

 

Dornier Do-X
Regardez comme il est beau !!
(Source : http://www.laboiteverte.fr/)

 
Le romancier crée une galerie de personnages improbables et attachants, qui frôlent parfois la caricature, mais que l’on prend néanmoins plaisir à suivre dans leurs aventures. La petite équipe hétéroclite recrutée par le vieux milliardaire Kendall Kjölsrud et son inénarrable acolyte Poppy Borghese tente de faire la lumière sur de mystérieux événements ayant eu lieu en Antarctique quelques soixante-dix années auparavant, impliquant (peut-être) une redoutable arme secrète, ainsi qu’une poignée de scientifiques pilotés par le gouvernement américain. Les russes sont aussi sur le coup, et vont évidemment tout mettre en oeuvre pour contrecarrer les plans de nos héros (ouh, les méchants !).
 
L’un des points forts du roman réside dans la capacité de l’auteur à intégrer des faits historiques avérés à une intrigue totalement fictive, néanmoins basée sur des événements bien réels et parfois inexpliqués. Les retours dans le passé convoquent le souvenir du nazisme, de la Guerre Froide ou du Projet Manhattan, tandis que défilent des personnalités telles que Mussolini, Enrico Fermi ou… Vladimir Poutine ! Ajoutez une pointe de recherche fondamentale sur l’antigravité et les trous noirs, un soupçon de violence, un zeste de mystère, plus quelques expériences douteuses menées sur des êtres humains, et vous obtiendrez le cocktail parfait pour un thriller réussi, estampillé “Miss Léo compliant” ! Antoine Tracqui s’attire la sympathie du lecteur en multipliant les clins d’oeil, et en truffant son récit de références littéraires (Jeeves !!!) et cinématographiques (Le Parrain n’en finit pas d’inspirer les auteurs contemporains, pour mon plus grand bonheur).

 

Alors bien sûr, il s’agit d’un premier roman, et celui-ci souffre évidemment de quelques maladresses (mineures au regard de la virtuosité du reste de l’ouvrage). On relève ça et là quelques tics narratifs destinés à relancer le suspense, ainsi que des dialogues au ton légèrement pompeux, qui peuvent parfois prêter à sourire. L’accumulation de cliffhangers peut également agacer, tout en contribuant à maintenir intacte la curiosité du lecteur. On regrettera par ailleurs le déroulement souvent trop prévisible des batailles et autres scènes d’action : les russes échouent systématiquement, tandis que les “gentils” finissent toujours par s’en sortir, même lorsque leur situation paraît lourdement compromise ! Le roman évolue parfois à la limite du grotesque, mais on sent que l’auteur exploite avec un plaisir non dissimulé les clichés du genre, qu’il se réapproprie avec humour. Son enthousiasme est communicatif, et on lui pardonne volontiers ces quelques petites imperfections !

 

Point Zéro séduit, et tient toutes ses promesses : le rythme ne faiblit pas, les révélations sont bien amenées, et la construction narrative se révèle très efficace. Petit bémol concernant le dénouement : j’ai trouvé que le roman se terminait un peu en eau de boudin, et que certaines questions étaient laissées en suspens… Une suite est-elle prévue ? Cela ne m’étonnerait pas le moins du monde !

 

J’ai quoi qu’il en soit passé un excellent moment avec ce texte, et j’ai bien envie de partir à la découverte d’autres titres du catalogue des éditions Critic, spécialisées dans le thriller et la littérature de l’imaginaire (SF et fantasy). Je suis particulièrement tentée par Dominium Mundi de François Baranger, un roman dont j’ai entendu le plus grand bien !

 

Un excellent divertissement, rare dans le paysage littéraire français. Coup de coeur !

 
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challenge-un-pave-par-mois
 
Un pavé de l’été pour Brize, qui est aussi mon pavé du mois de juin pour Bianca. Je l’inscris également comme une participation supplémentaire à mon challenge Mélange des genres, catégorie “Thriller”.
 
Pavé 2014   
 

10 thoughts on “Point Zéro – Antoine Tracqui

  1. Eh bien ! Dans le genre, il a l'air particulièrement réussi, ce roman ! Très bon choix pour ce premier pavé de l'été 🙂 !

    1. Ce roman est peu connu, mais bénéficie toutefois d'un excellent bouche à oreille sur les blogs. Après, c'est sûr qu'il faut accrocher à ce genre d'histoires !

    1. Et tu as bien raison ! Bon, après, il faut accrocher au côté technologique (les armes et tout ça), mais il s'agit d'un roman très distrayant, pour peu qu'on accroche au style et à l'intrigue.

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