Un long moment de silence – Paul Colize

Folio policier, Gallimard, 2013, 508 pages

 

Les premières phrases : 
La sonnerie du téléphone retentit. Ses pas résonnent dans le couloir. Elle entre dans la pièce, me sourit, décroche.

 

L’histoire :
Le Caire, 1954. Trois hommes cagoulés pénètrent dans l’aéroport, et ouvrent le feu sur un groupe de passagers. Bilan : vingt-et-un morts, et presque autant de blessés. L’attentat ne sera jamais revendiqué.Bruxelles, 2012. Stanislas Kervyn publie un livre sur la désormais célèbre (et non élucidée) “Tuerie du Caire”, qui l’obsède depuis sa plus tendre enfance, et pour cause : son père faisait partie des innocentes victimes ! C’est alors que Stanislas reçoit un coup de téléphone d’un mystérieux individu, prétendant être en mesure d’apporter des informations nouvelles sur cette affaire. Le doute s’insinue, bouleversant les certitudes de l’écrivain. Qui était réellement Robert Kervyn ? Sa présence dans le terminal le jour de la fusillade était-elle totalement fortuite ?

Brooklyn, 1948. Nathan Katz, dix-huit ans, et son père Bernard, tous deux rescapés de Mauthausen, arrivent à New York pour s’y établir et débuter une nouvelle vie. Le jeune homme au tempérament bagarreur et au coeur empli d’une sourde colère est alors recruté par Le Chat, une organisation dont la principale activité consiste à venger les crimes commis par les anciens nazis ayant échappé aux grands procès de l’après-guerre.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

La littérature belge s’invite sur mon blog, au lendemain de la qualification des Diables Rouges pour les quarts de finale de la Coupe du Monde de football ! Je ne connaissais pas Paul Colize avant de découvrir ce titre, bien que celui-ci ait déjà plusieurs romans policiers à son actif. Il est vrai que j’ai parfois du mal avec les polars francophones, dont le style ne me convient pas toujours. J’ai néanmoins été séduite par ce texte ambitieux, qui me donne envie de tenter d’autres romans de l’auteur.Les premiers chapitres m’ont pourtant laissée dubitative : j’ai d’abord été rebutée par la narration au présent (je milite depuis toujours en faveur du passé simple !), ainsi que par le caractère hautement antipathique du personnage principal (et accessoirement narrateur de la partie contemporaine du récit). Il faut en effet s’accrocher pour supporter Stanislas Kervyn, odieux chef d’entreprise obsédé par le sexe, se montrant volontiers détestable avec la gente féminine, et faisant preuve de bien peu de reconnaissance envers ses (rares) amis, qu’il traite au mieux avec dédain. Cela se ressent dans son vocabulaire, et j’ai été profondément agacée par la répétition du terme “baiser” toutes les trois pages, qui colle certes à l’état d’esprit du personnage, mais dont l’utilisation trop fréquente n’en devient pas moins lourde et inutilement redondante.

 

Ces quelques réserves mises à part, j’ai vite été conquise par l’intrigue en elle-même, dense et habilement menée. Un long moment de silence est un roman (très noir) sur le deuil et l’absence, auxquels se retrouvent confrontés l’ensemble des protagonistes de cet ouvrage remarquablement construit. Paul Colize mène de front plusieurs trames narratives se déroulant à différentes époques, de Bruxelles à New York en passant par la Pologne et l’Egypte. On comprend rapidement que les comportements auto-destructeurs de Stanislas ne sont que le résultat d’une succession de drames personnels et de traumatismes familiaux non résolus, qui trouvent leurs racines dans les jours les plus sombres de la Deuxième Guerre Mondiale. Son enquête sur les circonstances de la tuerie du Caire l’amène à déterrer des secrets enfouis depuis des décennies, éclairant d’un jour nouveau la personnalité de ses parents. Que faisait son père en Egypte le jour de l’attentat ? Pourquoi  sa mère conservait-elle un pistolet ainsi que la photo d’un jeune officier SS dans une boîte en carton soigneusement dissimulée ? Que signifient ces lettres mystérieuses retrouvées par hasard dans la correspondance familiale ? Quel est le rôle joué par Nathan Katz dans cette histoire ??Autant de questions dont le lecteur découvre les réponses en même temps que le personnage principal. Le rythme est soutenu, et l’ambiance se fait de plus en plus pesante au fur et à mesure que s’enchaînent les révélations sur un passé décidément très tourmenté. Le romancier déroule avec une impressionnante maîtrise le fil d’une intrigue basée sur des personnages et des faits réels, rendant ainsi hommage à sa propre famille (il s’en explique d’ailleurs dans une très précieuse “Note au lecteur”). La dimension historique est évidemment une composante essentielle de ce très beau roman, et j’ai particulièrement apprécié les chapitres consacrés à la mystérieuse organisation à laquelle appartient Nathan, chargée d’exécuter d’anciens criminels nazis (euphémisme ?). Un long moment de silence est avant tout une histoire de vengeance, sur fond de Deuxième Guerre Mondiale et d’Holocauste. La violence est omniprésente (et pour cause !), mais l’auteur ne tombe jamais dans le voyeurisme ou la facilité, et réussit à générer une profonde émotion. La fin est bouleversante, et vient conclure en beauté un roman intense, aux enjeux dramatiques grandissants.
 
J’ai bien envie de lire Back Up, le précédent roman de Paul Colize.

 

Un polar historique dense et prenant. A lire !  

 

Merci à Anna de chez Folio pour cette jolie découverte.

 

10 thoughts on “Un long moment de silence – Paul Colize

  1. C'est plus que tentant ! Pourtant, je n'aime pas trop cette mode des récits policiers qui se déroulent presque systématiquement dans le passé et dans le présent. Mais vu ce que tu écris, je ferai un effort. En plus, je trouve la couverture très réussie (raison futile s'il en est d'acheter un livre^^)

    1. Ah, zut, j'ai oublié de parler de la couverture (qui me plaît beaucoup aussi, et qui possède en plus une vraie signification, révélée par l'auteur à la fin de l'ouvrage).
      J'ai moi aussi tendance à me méfier des romans tendance "secrets de famille et règlements de comptes sur plusieurs époques", qui se révèlent souvent convenus et très décevants. J'ai trouvé que celui-ci sortait un peu du lot. En tout cas, j'ai bien accroché, malgré mes réserves du début !

  2. Je ne peux que te recommander Back UP : c’est une lecture encore plus explosive et Paul Colize est un auteur de talent 🙂

  3. Je te conseille aussi Back Up (on dirait qu'il aime les constructions avec plusieurs époques)
    Et niveau écrivains belges, tu devrais peut-être aller voir du côté de Xavier Hanotte (pas du tout le même genre mais excellent !)

    1. Je ne connais pas Xavier Hanotte, mais je vais suivre ton conseil ! J'ai quelques lacunes en matière d'écrivains belges, ce qui est d'autant plus inexcusable que je suis moi-même à moitié belge…

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