Denoël, Collection Empreinte, 1973, 2014, 268 pages (avec la préface et la postface)
La première phrase :
C’était un dimanche matin et comme chaque matin je m’étais réveillé à sept heures vingt.
L’histoire :
(ou plutôt la quatrième de couverture, qui a le mérite de proposer un résumé concis)
Du village où il vit, Maurice Pons raconte les étranges rumeurs qui entourent une certaine Mademoiselle B. : une créature sans âge, toujours vêtue de blanc, qui attirerait les hommes et les pousserait au suicide. Maurice Pons, alors en mal d’écriture, se retrouve pris au cœur de l’enquête. Tout aussi méfiant que fasciné, il se passionne pour le cas de Mademoiselle B.
L’opinion de Miss Léo :
Les éditions Denoël nous proposent ce mois-ci la réédition d’un roman de Maurice Pons, publié pour la première fois dans les années 70. Il convient de saluer comme il se doit cette belle initiative, d’autant plus appréciable que je n’avais encore jamais rien lu de cet écrivain, qui fut également dialoguiste pour Truffaut et traducteur de Tennessee Williams.
Maurice Pons se met lui-même en scène, dans un roman qui brouille volontairement la (mince) frontière entre réalité et fiction. L’intrigue tourne autour d’une effrayante et énigmatique figure féminine, qui vampiriserait les hommes pour mieux les conduire à leur perte (c’est en tout cas ce que l’on raconte au village, après la découverte macabre du corps d’un noyé dans les eaux de la Flanne). Mademoiselle B. est une créature maléfique et sans âge, qui alimente les fantasmes de l’écrivain, lequel devient vite obsédé par l’existence de cette femme fatale aux contours mal définis. Le village de Jouff baigne dans une atmosphère presque surnaturelle, et les disparitions inquiétantes se multiplient, ce qui ne semble pas inquiéter plus que ça le narrateur, dont le ton pince-sans-rire et désinvolte tranche avec la noirceur des événements relatés.
La mort est pourtant omniprésente, et Maurice Pons surprend par ses descriptions très réalistes de la mort et des cadavres en décomposition. Le récit ne se départit jamais de son humour grinçant, mais le fond devient parfois très glauque, voire franchement morbide. Le texte est loin d’être aussi léger et anodin que les premiers chapitres (non numérotés) ne pourraient le laisser penser, et l’intrigue évolue peu à peu vers un dénouement inattendu.
Le roman est très bien écrit. J’ai été séduite par la plume caustique de l’auteur, agrémentée d’un vocabulaire riche et fleuri, d’une drôlerie souvent irrésistible.
“Son père putatif, prénommé Antonin, était un ancien ouvrier maçon, célibataire, qui bien avant la fin de sa vie, à ce que l’on raconte, avait renoncé à toute espèce d’activité, pour s’adonner pleinement aux plaisirs solitaires de l’éthylisme. C’était un homme énorme et de petite taille, une espèce de Silène paysan à la face rougeaude, au nez camus, aux cheveux argentés. Les souvenirs les plus marquants qu’il a laissés dans l’esprit de ceux qui l’ont connu sont les titubations d’une boule de viande flasque, dépenaillée, roulant dans les fossés les soirs d’ivresse, empêtré dans les pans de la large ceinture de flanelle qui lui entourait le ventre.” (page 97)
Maurice Pons ne se contente évidemment pas d’amuser la galerie à coup d’expressions sorties de nulle part ; il parvient à installer une atmosphère envoûtante et nimbée de mystère, qui brise peu à peu les certitudes du lecteur, allant même jusqu’à distiller une pointe de malaise. Il n’en demeure pas moins que je n’ai pas réussi à m’intéresser à l’histoire ni aux personnages, et que j’ai parfois trouvé le temps long au cours de ma lecture (ce qui n’enlève rien à la valeur intrinsèque du roman, qui possède d’indéniables qualités littéraires). Peut-être ai-je été gênée par l’univers très masculin, ou par l’absence de réponses claires aux mystères soulevés dans la première partie ?
Peu importe, car l’essentiel n’est sans doute pas dans l’intrigue. Sous ses dehors de récit fantastique et de roman noir, Mademoiselle B. développe aussi (surtout ?) le thème de la création littéraire, et le travail de l’écrivain Maurice Pons est au coeur de l’ouvrage. Cette mise en abyme est probablement l’un des aspects les plus réussis du roman. Maurice Pons écrivain, Maurice Pons enquêteur, Maurice Pons personnage principal d’un drame campagnard… L’ambiguité demeure, et on ne sait plus très bien si l’histoire de Mademoiselle B. a été réellement vécue, ou simplement imaginée par le romancier en mal d’inspiration.
L’ambiance provinciale et campagnarde m’a par moments rappelé celle des films de Claude Chabrol (en moins bourgeois) : les villageois cancanent, les forces de l’ordre ramassent des cadavres, et les rumeurs vont bon train. N’oublions pas que le roman se déroule dans les années 70, à une époque sans internet ni téléphone portable : autre temps, autres moeurs !
Une dernière remarque concernant l’édition : pourquoi insister autant sur la préface rédigée par Hippolyte Girardot ?? OK, il a écrit quatre pages… La belle affaire ! Je ne vois personnellement pas l’intérêt de le signaler lourdement sur la première ET la quatrième page de couverture.
Un roman inclassable, au style incomparable. A découvrir.
Merci aux éditions Denoël pour cette jolie découverte.
J'avais lu Maurice Pons avec un petit bouquin qui mêle peintre et auteur de l'éditeur Invenit et j'avais aimé le style.
Pas déçue, ici, sur ce récit un peu fantastique et cocasse.
Un véritable dépaysement dans le temps que cette lecture.
Jamais entendu parler de cet auteur mais à te lire, je me dis qu'il a tout pour me plaire.