Titre original : Shtol un ayzn
Traduction (yiddish) : Monique Charbonnel-Grinhaus
Denoël & D’ailleurs, 1927/2015, 400 pages
La première phrase :
Benyomen Lerner, un soldat grand et solidement bâti, la tempe barrée d’une cicatrice irrégulière depuis la masse noire des cheveux jusqu’à l’épais sourcil, se dirigeait vers le pont de Praga équipé de tout son harnachement.
L’histoire :
(extrait de la quatrième de couverture)
Pologne, Première Guerre mondiale. Le soldat Benyomen Lerner a décidé de s’enfuir du front pour revenir dans sa ville natale, Varsovie. C’est en qualité de spectateur qu’il assiste désormais aux ravages de la guerre. Personnage ambigu et complexe, constamment tiraillé entre la peur et le goût de l’action, Lerner erre de nombreuses journées dans la ville qui l’a vu grandir, une ville ravagée par la pauvreté et les combats incessants, [puis] travaille d’arrache-pied à la reconstruction du pont de Praga dans un camp où les conditions de travail sont terribles.
L’opinion de Miss Léo :
Dans la famille Singer, je demande le frère. Je n’avais curieusement jamais lu Israël, moi qui suis pourtant grande amatrice de l’oeuvre d’Isaac (Prix Nobel de littérature 1978), formidable conteur dont les écrits inspirés par le folklore juif mêlent harmonieusement le merveilleux au quotidien (ses recueils de nouvelles sont formidables, de même que son roman Shosha). C’est donc avec une réelle curiosité que je me suis tournée vers ce roman de 1927, encore inédit en France, dont le thème avait il est vrai tout pour me séduire. Je serai amenée à “révéler” des éléments de l’intrigue dans mon billet, mais il ne s’agit pas de spoilers à proprement parler, dans la mesure où l’intérêt du roman va bien au delà d’une simple accumulation de péripéties.De fer et de sang nous conte avec réalisme les errances d’un déserteur juif polonais de l’armée russe pendant la Première Guerre Mondiale. D’abord réfugié chez son oncle et sa tante qu’il n’apprécie guère, il ne tarde pas à partir chercher ailleurs son salut, abandonnant de ce fait sa cousine et amie d’enfance Gnendel, que son oncle ruiné (et pas très futé) veut marier à un vieil escroc. Les temps sont durs pour tout le monde, et Benyomen survit tant bien que mal, jusqu’au jour où l’armée allemande entre dans Varsovie. Il se fait alors engager sur le chantier de reconstruction du pont de Praga, que les russes ont fait sauter pour couvrir leur retraite, devant la progression inéluctable de leurs adversaires germaniques.
Le travail y est d’une difficulté extrême, et les ouvriers doivent faire face à une violence de tous les instants, quant ils ne doivent pas tout simplement lutter contre l’épuisement, la malnutrition et les épidémies. Les humiliations sont monnaie courante, et les soldats allemands attisent les haines entre prisonniers de guerre russes et ouvriers polonais, qui doivent également cohabiter avec les travailleurs Juifs, lesquels constituent un groupe à part, mais ne valent guère mieux que leurs collègues… Tout cela crée les conditions propices à un embrasement, et c’est Benyomen qui endosse tout naturellement le rôle de leader charismatique, aux côtés du médecin opérant dans le mouroir l’hôpital de fortune installé sur le chantier. Polyglotte et réfléchi, l’ancien soldat parvient à déclencher une mutinerie contre l’envahisseur allemand, et doit à nouveau fuir et se terrer comme une bête (nous sommes alors en 1916).
Il croise ensuite la route du propriétaire terrien Aaron Lvovitch, qui accueille les réfugiés juifs en haillons pour les faire travailler sur ses terres, leur offrant ainsi la possibilité de gagner de quoi assurer leur subsistance. Tous oeuvrent pour le bien de la collectivité, ce qui semble annoncer les Révolutions russes à venir, sur lesquelles se clôture d’ailleurs le roman. La dernière partie du récit est consacrée au rôle joué par Benyomen Lerner au sein de cette toute jeune colonie (je ne vous en dirai pas plus).
Le travail y est d’une difficulté extrême, et les ouvriers doivent faire face à une violence de tous les instants, quant ils ne doivent pas tout simplement lutter contre l’épuisement, la malnutrition et les épidémies. Les humiliations sont monnaie courante, et les soldats allemands attisent les haines entre prisonniers de guerre russes et ouvriers polonais, qui doivent également cohabiter avec les travailleurs Juifs, lesquels constituent un groupe à part, mais ne valent guère mieux que leurs collègues… Tout cela crée les conditions propices à un embrasement, et c’est Benyomen qui endosse tout naturellement le rôle de leader charismatique, aux côtés du médecin opérant dans le mouroir l’hôpital de fortune installé sur le chantier. Polyglotte et réfléchi, l’ancien soldat parvient à déclencher une mutinerie contre l’envahisseur allemand, et doit à nouveau fuir et se terrer comme une bête (nous sommes alors en 1916).
Il croise ensuite la route du propriétaire terrien Aaron Lvovitch, qui accueille les réfugiés juifs en haillons pour les faire travailler sur ses terres, leur offrant ainsi la possibilité de gagner de quoi assurer leur subsistance. Tous oeuvrent pour le bien de la collectivité, ce qui semble annoncer les Révolutions russes à venir, sur lesquelles se clôture d’ailleurs le roman. La dernière partie du récit est consacrée au rôle joué par Benyomen Lerner au sein de cette toute jeune colonie (je ne vous en dirai pas plus).
Fascinant et flamboyant, ce roman foisonnant l’est à plus d’un titre ! Israël Joshua Singer restitue à merveille l’ambiance de cette Varsovie ravagée par la guerre et la pauvreté, dans laquelle erre une population contrastée, malmenée par la misère et les tensions sociales. La communauté juive y est représentée dans toute sa diversité, mais la prose réaliste de Singer (lui même libre-penseur, rationaliste et cartésien) ne laisse aucune place pour la victimisation ou l’auto-apitoiement. Les portraits qu’il dresse de ses coreligionnaires sont finalement assez peu flatteurs, et le romancier n’hésite pas à décrire des personnages pleurnichards, fainéants, passifs, râleurs ou tout simplement stupides. Point d’entraide chez les ouvriers Juifs du pont de Praga, dès lors condamnés à subir le joug de l’occupant. On ne peut pas dire non plus que les réfugiés oeuvrant sur les terres d’Aaron Lvovitch soient des modèles de professionnalisme ou d’abnégation… Ajoutez à cela les querelles de famille observées chez Borekh Josef, et vous obtiendrez un panorama assez peu reluisant ! Le regard critique et sans complaisance porté par Singer sur ses contemporains était sans doute courant chez les artistes et intellectuels juifs polonais de l’époque (j’avoue toutefois que mes connaissances en la matière sont trop parcellaires pour me permettre d’en juger). Benyomen Lerner se révèle par contraste un héros très attachant, qui se prend en main pour survivre et échapper à la médiocrité ambiante. Son parcours est loin d’être linéaire, mais il a le mérite de forcer sa destinée, avec intelligence et opportunisme.
Pour résumer : l’aîné de la fratrie Singer signe un récit très fort et d’une immense richesse, dont l’indéniable intérêt historique est renforcé par une langue inventive et lumineuse, dont la diversité est merveilleusement restituée par la superbe traduction de Monique Charbonnel-Grinhaus. Le roman est pour l’essentiel rédigé en yiddish, mais le texte original utilise également d’autres langues, certains personnages ne s’exprimant qu’en polonais ou en allemand. J’ai été très sensible à l’univers et à la plume d’Israël Joshua Singer, moins poétique mais tout aussi efficace que celle de son cadet Isaac, dont l’oeuvre a été écrite plus tard, après la Shoah et l’expatriation aux Etats-Unis. Il me reste encore de très nombreux romans des deux frères à découvrir, et je m’en réjouis d’avance !
Un roman dynamique et passionnant, que je recommande vivement.
Livre chroniqué dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Denoël.
Je n'ai pas donné suite à cette proposition, j'aurais peut être dû! J'ai pas mal lu de romans du frère, j'aimais beaucoup.
Isaac Bashevis Singer, mon idole ! 😉
Celui-ci est vraiment intéressant et surprenant, qui plus est très plaisant à lire.
Léo, déjà je dois te dire que j'arrive à peine à déchiffrer ta nouvelle police. Est-ce mon ordi, ou mon absence de lunettes en ce moment, mais c'est écrit tout petit (c'est moi ou toi qui a changé un truc?)
Sinon, parlons sérieusement, j'ose à peine dire que je ne connaissais aucun des deux frères (shame on me), je suis très tentée par un roman de 1927, même si je ne te cache pas que je crains beaucoup un certain côté désespéré dans la description d'une période assez terrible en Europe de l'Est, mais j'aime l'idée de voir poindre la Révolution Russe pendant le carnage de la Premiere guerre mondiale.
Je note le nom puisque visiblement, tu es super fan des deux frères Singer maintenant.
Je n'ai pas changé la police ! Il arrive parfois (mais rarement) que le blog s'affiche mal, avec une police complètement différente. Dans ce cas, il suffit généralement de rafraîchir la page.
Pour en revenir au roman : la période est effectivement terrible, et le constat assez pessimiste, mais le ton n'est pas désespéré. Le récit n'est donc pas totalement plombant., malgré le réalisme des situations décrites.
Quant à Isaac Bashevis Singer, je ne peux que t'encourager à le découvrir, en commençant peut-être par l'un de ses recueils de nouvelles (Yentl, Le Blasphémateur etc…).
Un titre dur, mais je le note tout de même.