Les petites filles – Julie Ewa

Albin Michel, Collection Suspense, 2016, 416 pages
Livre reçu en service-presse.

 

La première phrase :
Pousser, souffler, crier, pousser.

 

L’histoire :
(résumé de l’éditeur légèrement remanié par mes soins)
2013. Bénévole dans une association qui s’occupe d’enfants hospitalisés, Lina Soli, vingt-trois ans, part poursuivre ses études de chinois à Canton. Elle rencontre Thomas Mesli, qui enquête pour une ONG sur les disparitions d’enfants (principalement des petites filles) qui sévissent depuis plusieurs décennies dans la région de Mou di, petit hameau reculé de la province du Guangxi. La jeune femme accepte de lui servir d’espionne sur place, où elle découvre vite les ravages de la politique de l’enfant unique. Mais ses questions vont semer le trouble dans le village. Quand un mystérieux assassin se met à éliminer un à un tous ceux qui semblaient savoir quelque chose, elle comprend que le piège est en train de se refermer sur elle…

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Julie Ewa est une jeune romancière française de 24 ans, qui signe là son tout premier roman, dont le résumé très prometteur m’a tout de suite intriguée. Songez donc ! Une intrigue policière se déroulant (presque) intégralement en Chine, dans un petit village perdu au milieu des rizières… Dépaysement géographique et culturel garanti ! Je suis particulièrement friande de ce type de récits, et grande amatrice de cultures asiatiques en général, aussi me suis-je précipitée sur le livre dès réception.J’ai été très agréablement surprise, malgré quelques bémols que j’évoquerai en fin de billet (rien de rédhibitoire de mon point de vue). Julie Ewa impressionne par sa maturité : son sens du rythme et la finesse de son écriture font mouche, tout au long d’une intrigue habilement construite et rondement menée. Celle-ci alterne deux époques, et nous invite à suivre le parcours de deux jeunes femmes de vingt-trois ans. Sun Tang, paysanne chinoise, remue ciel et terre pour retrouver sa fille de six ans, tandis que Lina Soli, étudiante française, mène l’enquête pour élucider le mystère de la disparition de cette même Sun Tang, que personne n’a vue depuis vingt-deux ans.
 

J’ai souvent du mal avec les chapitres courts, qui génèrent la plupart du temps un suspense parfaitement artificiel, mais ce format m’a cette fois semblé parfaitement adapté (les chapitres ne font que trois ou quatre pages chacun, mais n’en demeurent pas moins très denses, et riches en informations). Le croisement des deux histoires entremêlées permet à l’auteur de développer un thème cher à son coeur, à savoir celui de l’enfance bafouée. Lina découvre sur le terrain les ravages de la politique de l’enfant unique, plus particulièrement en zone rurale. Ses recherches l’amènent à prendre conscience de terrifiantes réalités, et lui permettent d’envisager la Chine actuelle dans toute sa complexité. La jeune étudiante découvre un pays fortement contrasté, écartelé entre modernité et traditions archaïques, encore rongé par la corruption, la censure et l’omniprésence de la mafia

 

Julie Ewa évoque le sort terrible réservé aux petites filles, dont on n’hésite pas à se débarrasser de diverses manières pour pouvoir élever un héritier de sexe masculin, ainsi que la détresse des mères auxquelles on arrache leur progéniture, finement restituée tout au long de l’ouvrage. Le fait que Sun Tang soit enceinte de plus de huit mois lorsqu’elle part à la recherche de sa petite Chi-Ni ajoute au côté poignant de la chose (et me touche particulièrement en ce moment, comme vous pouvez vous en douter). L’intrigue sans concession ne cède pas à la facilité, évitant notamment l’écueil du happy-end. Le dénouement est glaçant mais lucide, et m’a pleinement satisfaite.

 

Le roman semble bien documenté, ce qui est évidemment appréciable. Rien d’exceptionnel en soi (je n’ai rien appris que je ne savais déjà), mais l’ensemble tient la route, et j’ai apprécié les citations de la journaliste et romancière chinoise Xinran (elle-même grande spécialiste du sort des femmes de son pays) placées en exergue de chaque partie. Julie Ewa ne s’est rendue qu’une seule fois en Chine (elle raconte ce voyage sur son blog), mais a de toute évidence effectué des recherches sérieuses pour étayer son propos. On peut d’ailleurs regretter l’absence de bibliographie en fin d’ouvrage (je suis toujours frustrée lorsque les écrivains n’indiquent pas leurs sources).

 

Venons-en maintenant aux quelques points faibles du roman (cela n’engage que moi, et vous êtes tout à fait en droit de ne pas être d’accord). J’ai le regret de vous dire que je n’ai pas du tout été convaincue par le personnage de Lina, dont les réactions m’ont semblé peu crédibles, et surtout très naïves. J’irais même jusqu’à dire que la jeune femme ne sert à rien, si ce n’est à s’indigner en permanence, ce qui devient à la longue un peu lassant. Amatrice de dessins animés de Walt Disney, Lina est constamment “révoltée” par ce qu’elle découvre, et passe son temps à enfoncer des portes ouvertes. Elle s’imagine qu’elle va à elle seule régler tous les problèmes de la Chine, et possède un petit côté “donneuse de leçons” qui m’a passablement agacée… Certes, elle n’a pas eu une adolescence facile, puisqu’elle a assisté à quinze ans au suicide de sa mère. On peut comprendre que cela laisse des traces, mais il n’empêche que je n’ai pas été très emballée par sa personnalité.

 

J’ai également été gênée par le côté totalement surréaliste de sa première rencontre avec Thomas à l’aéroport de Canton. Je vous résume brièvement la situation : Lina s’apprête à rejoindre tranquillement son auberge de jeunesse, fermement décidée à visiter la ville pendant quelques jours avant la rentrée universitaire ; elle n’a jamais entendu parler de Thomas avant que celui-ci ne l’aborde dans le hall des arrivées, et se demande dans un premier temps ce que ce séduisant inconnu peut bien lui vouloir… Et bim, voilà que la jeune femme, épuisée par le décalage horaire, décide contre toute-attente d’aller prendre un café avec lui, acceptant sur un coup de tête la “mission” qu’il souhaite lui confier ! Pourquoi pas, mais cela me semble tout de même un peu tiré par les cheveux… L’intrigue n’échappe d’ailleurs pas à quelques “grosses ficelles”, la partie “contemporaine” du récit étant de façon générale nettement plus faible que celle consacrée à Sun Tang, ce qui crée un léger déséquilibre.

 

Ces quelques réserves mises à part, je dois néanmoins reconnaître avoir pris un réel plaisir lors de la lecture de ce polar d’excellente facture, meilleur que bien des parutions actuelles. La plume de l’auteur est très agréable, les personnages chinois sont bien développés, et l’intrigue bénéficie qui plus est d’un solide arrière-plan culturel, ce qui donne du corps aux événements mystérieux se produisant dans le village de Mou di. On devine rapidement qui tire les ficelles, mais peu importe, car là n’est pas le coeur du sujet.

 

Premier roman réussi d’une jeune française férue de culture chinoise. A découvrir !

 

3 thoughts on “Les petites filles – Julie Ewa

    1. Bonsoir,
      Votre article correspond parfaitement à mon idée primaire.
      Je suis une des personnes,chanceuses,qui ont lu le manuscrit.
      Certes certains passages sont :un peu tiré par les cheveux mais une construction aboutie, un gros travail de nuits blanches, d'incertitude. Oui,pas parfait,évoquer son âge, oui on peut comme dans tous les articles actuellement.Je la connais, très bien. Juste Julie, timide, qui s'excuse tout le temps et qui s'éclate, qui se découvre dans l'écriture . VAl

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