Mon territoire – Tess Sharpe


Titre original : Barbed Wire Heart
Traduction (américain) : Héloïse Esquié
Sonatine, 2019, 556 pages

Livre lu dans le cadre du Prix Elle 2020.

La première phrase :

J’ai huit ans la première fois que je vois papa tuer un homme.


La quatrième de couverture :

À huit ans, Harley McKenna a assisté à la mort violente de sa mère. Au même âge, elle a vu son père, Duke, tuer un homme. Rien de très étonnant de la part de ce baron de la drogue, connu dans tout le nord de la Californie pour sa brutalité, qui élève sa fille pour qu’elle lui succède. Mais le jour où Harley est en passe de reprendre les rênes de l’empire familial, elle décide de faire les choses à sa manière, même si cela signifie de quitter le chemin tracé par son père.


L’opinion de Miss Léo :


Une bien belle surprise ! Pour être honnête, je m’attendais à être déçue, mais l’originalité et l’énergie viscérale du roman ont eu raison de mon scepticisme initial.

Les Springfield et les McKenna sont des trafiquants de drogue, qui se disputent depuis plusieurs décennies la mainmise sur le marché local. Cette guerre impitoyable a déjà fait de nombreuses victimes, et nul ne semble en mesure d’apporter de solutions pacifiques à une situtation depuis longtemps explosive. Nous ne sommes cependant pas dans une banale histoire de règlement de comptes entre deux familles rivales, puisque les luttes de pouvoir sont ici abordées sous un angle totalement inhabituel, à travers le personnage d’Harley McKenna.

Harley, orpheline de mère, initiée très jeune au meurtre et à la duperie, destinée à reprendre plus tard les rênes de l’entreprise familiale, cherche à imposer son style et sa vision du monde. Cette jeune héroïne au caractère bien trempé, n’est pas un personnage angélique (loin s’en faut). Élevée dans un environnement violent, aux côtés de truands sans scrupule, elle ne rechigne pas à semer la destruction sur son passage, lorsque cela lui semble nécessaire à l’obtention d’un monde meilleur. Elle n’en tire cependant aucun plaisir, et n’agit que dans la mesure où cela lui permet de toucher du doigt l’espoir d’une amélioration de la qualité de vie de ses amis les plus fragiles. La jeune héritière se métamorphose ainsi en justicière impitoyable, dont la sensibilité à fleur de peau tranche avec la froideur machiavélique du plan qu’elle ourdit pour parvenir à ses fins. Harley gère les choses à sa manière, et n’a semble-t-il aucune leçon à recevoir des hommes de son entourage. La relation complexe que la jeune femme entretient avec son père, baron de la drogue inflexible et redouté de tous, se trouve d’ailleurs au coeur du roman. Harley cherche à s’émanciper du joug qui pèse sur elle depuis sa naissance, mais elle ne peut le faire sans trahir les idéaux de son géniteur, qui l’aime tout autant qu’il l’étouffe. Difficile d’exister dans ces conditions, mais la petite dernière du clan McKenna mène sa barque avec subtilité, au nez et à la barbe de tous ces hommes qui la sous-estiment. Elle construit son succès par la ruse, et cherche des alliances parmi les femmes de son entourage, amies ou ennemies, toutes victimes à des degrés divers de la mentalité patriarcale qui préside aux rapports de force à l’oeuvre dans cette petite ville. Girl power !

C’est par sa tonalité résolument féministe que Mon territoire se distingue de la plupart des autres romans noirs. Au-delà de la personnalité très forte de l’héroïne, il y est aussi question de violences conjugales, et plus généralement d’oppression ou de domination. Usant de la position privilégiée que lui offre la renommée de son père, Harley oeuvre pour l’émancipation de toutes les femmes, et se bat pour bouleverser l’ordre établi. Elle offre sa protection aux plus démunies, mais leur apprend également à se défendre, tout en les invitant à prendre leur destin en main.

Bien sûr, tout n’est pas parfait dans ce premier roman. Pour commencer, je ne suis pas fan de l’écriture au présent de l’indicatif, qui m’a semblé un peu forcée dans les premiers chapitres. J’ai néanmoins fini par m’y habituer, emportée par le rythme trépidant de la narration. Le récit propose par ailleurs une révélation finale qui ne m’a pas surprise, dont l’auteur aurait aisément pu se dispenser. Ces quelques bémols sont toutefois largement contrebalancés par l’enthousiasme que j’ai été amenée à ressentir au cours de ma lecture.

Pour résumer : Tess Sharpe réussit une entrée fracassante dans la cour des grands avec ce premier roman attachant, dont l’intrigue rythmée n’a rien à envier à celle d’oeuvres plus renommées. Dans un récit à la construction implacable, la jeune américaine développe avec aisance une fascinante histoire de vengeance, portée par un beau personnage féminin. Le roman se révèle paradoxalement très lumineux, malgré la noirceur et la violence de certaines scènes pour le moins crépusculaires. Je le recommande vivement !


On frôle les
5 étoiles !

2 thoughts on “Mon territoire – Tess Sharpe

  1. Je suis complètement d’accord avec toi. J’ai vraiment apprécié le côté féministe de ce roman et son héroïne énergique. Mon seul bémol portait sur la révélation finale qui effectivement, n’apporte rien et se laisse deviner rapidement. En tout cas, c’est un 1er roman très prometteur.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *