Leurs enfants après eux – Nicolas Mathieu


Babel, Actes Sud, 2018/2020, 554 pages

La première phrase :

Debout sur la berge, Anthony regardait droit devant lui.


L’histoire :

Heillange, 1992 à 1998. Errance et émois adolescents sur fond de réalité sociale, au cours de quatre étés ensoleillés mosellans. Les jeunes héros échapperont-ils à leur destin désenchanté ?


L’opinion de Miss Léo :


J’aurais plutôt tendance à fuir les récipiendaires du Prix Goncourt, mais celui-ci m’attirait, d’autant plus que j’avais beaucoup aimé le superbe Aux animaux la guerre, premier roman (noir) de Nicolas Mathieu.Les cent premières pages m’ont toutefois semblé très laborieuses : je trouvais les personnages peu attachants, et je ne parvenais pas à m’intéresser à ma lecture. Et puis le déclic est arrivé. J’ai fini par y croire, et je n’ai plus vu le temps passer.

Le jeune écrivain vosgien (oui, il a mon âge, à peu de choses près) évoque une jeunesse désoeuvrée, aux perspectives d’avenir bien étriquées. Le lecteur suit une poignée de personnages au cours de quatre étés, de la découverte des premiers émois amoureux à l’entrée sur le marché du travail. Leurs enfants après eux, ce sont des adolescents qui errent, se dragouillent, s’ennuient, se battent, font la fête et trainent leurs guêtres entre la base de loisirs et l’hypermarché du coin, tout en cherchant à s’affranchir du modèle offert par leurs propres parents. Le tout sur fond de Nirvana et de Coupe du Monde 98 (mais oui, c’est pile ma génération !).

Nicolas Mathieu dresse un fascinant portrait sociologique de la France des années 90. L’intrigue se déroule dans une petite ville de province, zone sinistrée par la fermeture progressive et inéluctable des hauts-fourneaux de l’Est. Il y est beaucoup question de déterminisme social : les filles de notables côtoient parfois les fils d’ouvriers immigrés de première ou deuxième génération, mais les trajectoires des uns et des autres finissent généralement par diverger à l’âge adulte. Les personnages se retrouvent malgré eux confrontés à la violence endémique du monde dans lequel ils ont grandi, et peu nombreux sont ceux qui réussissent à s’extraire de leur condition sociale. Nicolas Mathieu parvient à installer une ambiance poisseuse, et évoque sans tabou une réalité sociale parfois peu reluisante, dépourvue de tout vernis superficiel de bien-pensance ou d’angélisme. Les longues ellipses temporelles qui séparent les différentes parties du livre lui permettent par ailleurs d’accéder à une forme de vérité universelle, laquelle réside autant dans les non-dits que dans ce que l’auteur consent à nous montrer. Le dénouement mi-figue mi-raisin est à l’image du reste du roman : sobre et sans excès, mais d’une grande justesse.

Certains reprocheront sûrement à ce récit du quotidien son manque de flamboyance ou d’empathie… ce qui n’est pas pour me déplaire. À titre personnel, j’ai été plutôt séduite par le livre, que j’ai trouvé touchant à sa manière. J’aurais donc tendance à le recommander, bien qu’il ne soit pas exempt de défauts.



Un Goncourt qui vaut le détour.



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