Le treizième conte – Diane Setterfield

Titre original : The thirteenth tale
Traduction : Claude et Jean Demanuelli
Editions Pocket, Plon, 2006, 563 pages

 
Les premières phrases :

On était en novembre. Il n’était pas encore très tard, et pourtant le ciel était déjà sombre quand j’empruntai Laundress Passage. Père avait fini sa journée : il avait éteint les lumières du magasin et fermé les volets ; mais, de manière que je ne rentre pas dans l’obscurité la plus totale, il avait laissé allumée l’ampoule éclairant l’escalier qui menait à mon appartement.

 

L’histoire :
Margaret Lea a grandi dans la librairie de son père, spécialisé dans l’achat et la vente de livres anciens. Devenue biographe, elle reçoit un jour une lettre de Vida Winter, célèbre auteur de romans à succès, retirée depuis de nombreuses années dans une vaste propriété isolée du Yorkshire. Rongée par une maladie incurable, cette dernière souhaite engager la jeune femme pour écrire l’histoire de sa vie mouvementée. Margaret accepte, à condition que la romancière s’engage à lui raconter la vérité sur son passé mystérieux, sans recourir aux mensonges et autres faux-fuyants dont elle use habituellement pour satisfaire la curiosité du public et des journalistes. Commence alors la confession de Vida, qui se révèle être une créature des plus étranges. Son récit déterre de terribles secrets familiaux, et lève peu à peu le voile sur un passé tragique et peuplé de fantômes, lesquels semblent encore hanter la vieille femme à l’article de la mort. Margaret, qui a elle-même vécu un traumatisme lorsqu’elle était enfant, se retrouve alors confrontée à ses propres démons, et se sent peu à peu tomber dans un abîme sans fond, sur le chemin de sa propre vérité.

 

“Revenez ! cria-t-elle. Je vais vous raconter une histoire… une histoire merveilleuse.”
Je ne m’arrêtai pas.
“Il était une fois une maison hantée…”
J’avais atteint la porte. Mes doigts se refermèrent sur la poignée.
“Il était une fois une bibliothèque…”
J’ouvris la porte, m’apprêtant à plonger dans le vide qui béait devant moi, quand, d’une voix chargée de quelque chose qui ressemblait à de la peur, elle lança les mots qui m’arrêtèrent net.
“Il était une fois des jumelles…”
(page 72)

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Voici un roman dont je n’avais jamais entendu parler il y a encore un mois, et que je n’arrête pas de croiser partout depuis ! J’ai réalisé qu’il avait bénéficié de critiques très élogieuses sur la plupart des blogs au cours des quatre dernières années, une majorité de lectrices allant même jusqu’à classer ce livre parmi leurs coups de coeur. Je l’ai donc acheté sans état d’âme… et je ne le regrette pas, puisque j’ai passé un très agréable moment en compagnie de Margaret et de Vida. J’ai cependant un certain nombre de réserves à formuler, et je reste sur un avis mitigé,  au risque de passer pour la rabat-joie de service !

 

Premier constat : Le treizième conte est un page turner efficace, qui se lit vite et bien. L’histoire de Vida Winter est captivante et nimbée de mystère, et l’on tourne frénétiquement les pages du roman dans le but d’en connaître le dénouement, attendant des révélations qui ne surviennent que dans la toute dernière partie. Le récit de la vieille romancière dévoile des éléments très durs de son enfance et de celle de ses parents. Nous assistons en même temps que Margaret à la déchéance d’une famille matériellement aisée, qui sombre peu un peu dans le malheur et la folie. Viol(s), inceste, morts suspectes, décadence physique et psychologique… Tout y passe, et l’existence de Vida, marquée par les drames, semble inexorablement vouée à la catastrophe.

 

Le roman séduit par son ambiance vaguement gothique, mais surtout par l’amour des livres et des bibliothèques qui s’en dégage. On notera quelques clins d’oeil sympathiques, comme ce médecin qui prescrit à une Margaret alitée la lecture des Aventures de Sherlock Holmes pour se remettre de sa maladie, et l’on se réjouira en découvrant les très nombreuses références littéraires qui émaillent le récit. Les soeurs Brontë, Austen, Dickens, Collins, Braddon… Autant d’auteurs que Margaret apprécie, et qui ont de toute évidence inspiré Setterfield ! L’intrigue du Treizième conte évoque celle de Jane Eyre ou du Tour d’Ecrou, et l’on pense aussi parfois à Wuthering Heights. Un manoir perdu dans la lande, des secrets de famille dissimulés, d’étranges apparitions fantômatiques, des personnages unis par d’indéfectibles liens fraternels… Tous les ingrédients du roman gothique victorien sont ici réunis, pour notre plus grand bonheur.

 

Comme dans Le Tour d’Ecrou de James, une jeune gouvernante est dépêchée au manoir d’Anglefield pour s’occuper de deux enfants au comportement étrange. Ce sont ici deux jumelles malfaisantes qui sèment la terreur sur leur passage, et semblent avoir quelque difficulté à communiquer avec autrui. Une présence inquiétante, donc, qui m’a rappelé les deux charmantes petites filles du Shining de Stanley Kubrick. “Come and play with us, Danny !”  Le thème de la gémellité est d’ailleurs au coeur de ce roman, et se trouve exploité de bien des manières, de façon plutôt habile au demeurant.

 

Shining (Stanley Kubrick)

 

[Aparté] J’ai pu lire que Le treizième conte était parfois comparé à Rebecca. Je n’ai personnellement pas trouvé de ressemblance entre les deux oeuvres, en dehors du nom de famille du personnage principal ! [Fin de l’aparté]

 

Si le personnage de Vida est intéressant et attachant, on ne peut hélas pas en dire autant de Margaret Lea, qui m’a semblé bien fade. Après une entrée en matière plutôt réussie, dans laquelle la jeune femme évoque ses relations avec les livres et sa vie dans la librairie de son père (un séduisant labyrinthe d’étagères remplies de livres poussiéreux …. *beurk*), force est de constater que sa quête personnelle n’est pas des plus intéressantes. J’ai un problème avec la structure du roman, qui alterne le récit de Margaret et celui de Vida. On sent que l’auteur a voulu donner à son récit une ossature originale, en imbriquant deux époques et deux intrigues, mais cet aspect n’est malheureusement pas totalement maîtrisé (du moins de mon point de vue). J’ai trouvé les retours au présent trop longs, souvent bâclés, et j’ai senti mon intérêt flancher à plusieurs reprises, notamment lors des visites de Margaret à Anglefield. La jeune femme y fait la connaissance d’Aurelius, personnage grotesque et hautement improbable, auquel je n’ai pas cru un seul instant. Les passages consacrés aux doutes et aux interrogations de Margaret ne sont quant à eux ni les plus intéressants ni les plus pertinents du roman, et ont surtout pour effet de casser le rythme, ce qui est tout à fait regrettable.

 

D’autre part, si l’intrigue est prenante, elle n’en demeure pas moins assez convenue. Bref, rien de franchement révolutionnaire, et je suis légèrement restée sur ma faim. Le treizième conte est certes un premier roman intéressant, mais Diane Setterfield n’a pas (encore) le talent des “grands” auteurs victoriens auxquels elle rend hommage. Son style est très quelconque, et son récit pâtit de trop nombreuses longueurs.

 

 

Mais bon, comme je l’ai dit plus haut, il s’agit malgré tout d’une lecture “facile”, qui vous procurera quelques heures d’agréable divertissement. Ne boudons donc pas notre plaisir !

 

Un premier roman plutôt réussi, qui ravira les amateurs de secrets familiaux et de littérature victorienne. Pas de quoi crier au chef d’oeuvre cependant…

 

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Première participation au challenge British Mysteries, organisé par Lou et Hilde.

 

27 thoughts on “Le treizième conte – Diane Setterfield

  1. Je l'ai dans ma PAL et j'ai l'intention de le lire prochainement, notamment à cause de tous les billets élogieux lus sur les blogs. C'est intéressant que ton point de vue differe, je n'attends rien de spécial si ce n'est un éloge de la lecture, c'est déjà pas si mal

  2. J'avais bien ce roman pour, comme tu le soulignes les références littéraires (en plus elle cite George Sand!!!)mais aussi pour l'intrigue qui se tient bien et nous garde en haleine ! Mais bon ça ne vaut pas un bon Wilkie !

  3. Sur le moment, je me souviens que j'avais beaucoup aimé (malgré le côté convenu que tu notes et qui m'avait également dérangée) mais retrospectivement, je ne garde presque aucun souvenir de l'histoire (et c'est mauvais signe …)

  4. Je me souviens avoir particulièrement aimé cette ambiance que l'auteur maitrise très bien. On se laisse facilement emporter et on passe un très bon moment même si ce n'est pas inoubliable.

    1. Je suis allée lire ton billet. L'ambiance est effectivement l'un des points forts de ce roman, et j'ai moi aussi passé un moment agréable, malgré quelques longueurs.

  5. Je l'ai dans ma PAL depuis un certain temps il m'avait attiré sans que je ne lise de critiques. J'espère qu'il me plaira et que je ne ressentirais pas les points négatifs que tu soulèves. Enfin on verra bien 😉
    Bonne journée !

    1. Je suis peut-être un peu trop sévère avec ce roman, qui m'a tout de même procuré de très bons moments de lecture (le fait d'avoir lu autant de critiques élogieuses m'a probablement rendue moins indulgente). J'espère qu'il te plaira !

  6. Je suis comme toi assez étonnée qu'on ai pu comparer ce livre à Rebecca… Cela dit, il ne me laisse pas un grand souvenir (je parle de 13ème conte…)

  7. Je suis d'accord avec toi, un livre plaisant notamment grâce à ses références littéraires mais on est effectivement loin des chefs-d’œuvre victoriens.

    1. Certes, mais j'ai tout de même ressenti quelques longueurs, notamment lors des retour au présent et à l'histoire de Margaret. Ce qui ne m'a néanmoins pas empêchée de poursuivre ma lecture pour en connaître le dénouement !

  8. Cela fait plusieurs fois que je croise ce livre sur les blogs et je crois que je vais me laisser tenter ne serait-ce que pour les références littéraires, chose dont je raffole dans un roman ! 😉

    1. Beaucoup de blogueuses l'ont adoré ! Il est tout de même agréable à lire, mais ce n'est pas de la grande littérature, et il n'en reste pas grand chose après coup.

  9. Hum je rechigné déjà à le lire! Je vais attendre encore un peu avant de me plonger dedans. Je l'ai en français et j'ai plutôt envie de le lire en V.O tant qu'à faire si l'écriture est accessible et le style quelconque. En tout cas ton billet m'a intétessé. J'aime bien le rapprochement que tu as fait avec Shining (un film qui m'a donné des cauchemars).

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