Le Pingouin – Andreï Kourkov

Titre original : Smert postonnorevo
Traduction (russe) : Nathalie Amargier
Points, 1996, 272 pages

 
La première phrase :

Ce fut d’abord une pierre qui tomba à un mètre de son pied.
 
L’histoire :

Kiev, 1995. Victor Alexeïevitch mène une existence solitaire en compagnie de son pingouin Micha, animal mélancolique et dépressif dont le zoo municipal a dû se séparer pour cause de restrictions budgétaires. Ecrivain raté et journaliste au chômage, Victor est cependant embauché par le rédacteur en chef des Stolitchnyé vesti, journal pour lequel il devra désormais rédiger des “petites croix”, notices nécrologiques destinées à être publiées le jour du décès de personnalités encore bien vivantes à l’heure où Victor écrit ses chroniques !  Celui-ci s’acquitte à merveille de sa tâche qui lui est confiée, celle-ci se révélant par ailleurs fort bien rémunérée. Or voici que ces victimes toutes désignées se mettent à mourir les unes après les autres, tandis qu’un mystérieux inconnu rend visite à Victor, pour lui demander d’écrire d’autres notices. Notre homme et son pingouin se retrouvent alors embarqués dans une inquiétante aventure burlesque, au cours de laquelle vont s’enchaîner d’innombrables péripéties, impliquant notamment un policier, une petite fille de quatre ans, une jeune garde d’enfants ainsi qu’un vieux scientifique bougon, spécialiste des manchots.
(Ce résumé vous semble complètement absurde et décousu ? C’est parfaitement normal !)

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je ne crois pas avoir jamais lu d’auteur ukrainien avant Kourkov. J’aurais cependant eu tort de me priver de ce Pingouin, que j’ai dévoré avec un immense plaisir et un brin de fascination amusée.

 

De ce roman riche en péripéties et plein d’humour se dégage pourtant une atmosphère mélancolique et contemplative (un cocktail typiquement soviétique, si vous voulez mon avis). Victor est une âme solitaire à la dérive, et se laisse doucement porter par les événements, tandis que sa vie se trouve durablement affectée par de sordides règlements de compte entre mafieux, dont nous ne seront cependant jamais témoins, ceux-ci étant généralement relatés par un tiers. La violence de la société ukrainienne en déréliction est régulièrement évoquée, mais les scènes “d’action” sont rares, et le ton du livre demeure plutôt léger, malgré un climat général oppressant. C’est là tout le talent de Kourkov, qui privilégie les tranches de vie, s’attachant à décrire le quotidien de Victor et de son entourage, organisé autour de la rédaction de ses “petites croix” et de la préparation des repas.Le roman met en scène des personnages ordinaires, qui tentent de survivre dans un pays sinistré, à l’image du pingouin, déboussolé et dépressif, lequel incarne à lui tout seul le mal-être de Victor et du peuple ukrainien. Kourkov dresse un portrait peu amène de son pays, où l’argent l’emporte le plus souvent sur l’éthique et la morale, et où l’alcool soigne bien des maux (NDLA : tiens, et si je me servais une petite vodka pour l’apéro ??). Le constat est amer…

 

“Victor tendit son verre.
Après cent grammes de vodka au poivre et une brochette chacun, ils sentirent la fatigue les envahir et allèrent se coucher.” (page 114)Victor lui-même n’est pas un personnage particulièrement sympathique : il subit la situation avec mollesse, et ne paraît pas plus perturbé que ça par les décès entourant la publication de ses notices nécrologiques. S’il apprécie la compagnie de la petite Sonia ou de son ami Sergueï, il semblerait que le pingouin soit le seul être vivant pour lequel il éprouve une réelle affection ! Ce dernier devient rapidement un personnage à part entière, probablement le plus attachant du livre. La description de ses réactions nous vaut quelques moments mémorables, distillés avec subtilité tout au long du roman. L’apparition soudaine d’une petite fille de quatre ans donne également un tour inattendu au récit, Victor devant s’adapter aux exigences de cette enfant surgie de nulle part. Le roman noir prend alors des allures de chronique familiale, et le lecteur privé de repères n’a plus qu’à se laisser porter le long des méandres d’une intrigue imprévisible et originale, tendant parfois vers le burlesque.
 
Il y a bien quelques petites longueurs par endroits, mais j’ai plutôt apprécié le style de l’auteur, dont j’ai également beaucoup aimé l’humour pince sans rire, très noir, doublé d’un délicieux sens de l’absurde. Certaines scènes sont très cocasses (je pense par exemple aux passages évoquant les pique-niques de Victor et de son ami Sergueï sur les berges du Dniepr, au cours desquels le pingouin Micha s’ébroue et batifole gaiement dans les eaux glacées du fleuve). Le ton adopté est en constant décalage avec la noirceur des événements relatés, ce qui n’est pas pour me déplaire.

 

 

Un roman amer et atypique, qui se révèle pourtant tout à fait réjouissant. Lisez-le : vous ne verrez plus jamais les pingouins de la même façon !

 

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Première participation à l’Hiver Russe organisé sur les blogs de Cryssilda et Titine.

 

Et une nouvelle contribution au challenge Voisins, voisines d’Anne, session 2013.

 

 

18 thoughts on “Le Pingouin – Andreï Kourkov

  1. Qu'est-ce que j'aime ce livre ! C'est clair que je ne vois plus les pingouins de la même façon, ils s'appellent tous Micha maintenant pour moi 🙂 tu sais qu'il y a une suite à ce livre ? 😉

  2. Je l'ai dans ma PAL et je compte bien le lire pour le challenge Un hiver en Russie alors j'ai juste lu le début de ton billet et j'espère qu'il va me plaire autant qu'à toi

  3. Il y a un certain temps, j'ai voulu essayer la littérature russe. J'ai lu ce pingouin : m'a même pas fait rire…

    1. Quel dommage ! Je reconnais qu'il s'agit d'un humour et d'un style assez particuliers, auxquels j'ai bien adhéré, mais qui peuvent laisser totalement hermétique.

  4. Un livre un peu improbable. Je doutais un peu, mais finalement, sans être la lecture du siècle, je l'ai apprécié pour son humour et son extravagance.

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