Le dévouement du suspect X – Keigo Higashino

 
Lecture commune avec Adalana et Shelbylee
 

Titre original : Yogisha X no Kenshin
Traduction (japonais) : Sophie Refle
Babel noir, Actes Sud, 2005 (2011), 314 pages

 
La première phrase :

Comme à son habitude, Ishigami sortit de chez lui à sept heures trente-cinq.
 
L’histoire :

Ishigami est professeur de mathématiques dans un lycée de la banlieue de Tokyo. Taciturne et solitaire, il est aussi amoureux de sa voisine Yasuko, qui élève seule sa fille adolescente depuis son divorce. La jeune femme, ancienne entraîneuse, désormais serveuse chez Bententei, où Ishigami achète chaque jour ses repas, est harcelée par son ex-mari, lequel décide un soir de lui rendre visite à son domicile. La conversation dégénère en pugilat, et Yasuko n’a d’autre solution que de le tuer, avec l’aide de sa fille Misato. Ishigami, dont l’intelligence et la logique ne sont surpassées que par l’amour qu’il porte à Yasuko, met alors au point un plan machiavélique, pour dissimuler le meurtre et disculper ses deux voisines. Un adversaire de taille se dresse cependant sur la route d’Ishigami, en la personne de Yukawa, brillant physicien et ancien camarade d’université, qui se trouve être ami avec l’inspecteur chargé de l’enquête… Yukawa parviendra-t-il à démonter les engrenages de la brillante mécanique mise en place par le mathématicien ?

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Le dévouement du suspect X est le deuxième des trois romans de Keigo Higashino, tous publiés en France chez l’un de mes éditeurs fétiches (je ne résiste pas à la beauté des livres et des couvertures Actes Sud, le contenu se révélant par ailleurs souvent à la hauteur de l’emballage). Il s’agissait pour moi d’une grande première, et je n’ai pas eu à regretter mon choix, puisque j’ai découvert un roman policier bien ficelé et séduisant, comme je n’en avais pas lu depuis longtemps.

 

J’ai aimé le côté “scientifique” du récit, d’une logique implacable jusqu’au (terrible) dénouement. Le coupable étant connu dès les premières pages, il s’agit ici de suivre l’évolution de l’enquête, et de déterminer si Ishigami parviendra à berner les inspecteurs. Son plan est-il réellement infaillible ? Comment a-t-il pu dissimuler le meurtre et faire en sorte que sa voisine ne puisse être accusée ? Comme la police, le lecteur est entraîné sur de fausses pistes, et tenu à l’écart de la vérité, qui ne sera révélée que dans les toutes dernières pages.
J’ai entrevu la solution aux deux tiers du roman, mais Higashino ne nous laisse pas vraiment le temps d’y réfléchir, et il est de toute façon bien plus amusant de suivre le cheminement des pensées de Yukawa, qui tente de résoudre le mystère en se glissant dans le cerveau de son ami mathématicien. Leurs face-à-face sont savoureux, et figurent parmi les meilleurs moments du livre.
 
“- Qu’est-ce qui est le plus difficile : élaborer un problème que personne ne peut résoudre, ou résoudre ce problème ? En supposant que la réponse existe nécessairement. Tu ne trouves pas l’idée intéressante ?
– Très, répondit Ishigami en regardant Yukawa. Je vais y réfléchir.
Yukawa hocha la tête et lui tourna le dos. Il continua à marcher vers la rue.” (page 135)

 
Ishigami est un personnage très touchant, malgré sa froideur. Peut-être ai-je un faible pour les individus brillants, capables tout à la fois d’une grande rigueur et d’une capacité d’invention sans limite… Il n’empêche que le professeur se révèle également capable de sentiments exacerbés, bien que sa façon de les exprimer soit pour le moins curieuse. Cette incapacité à communiquer normalement, combinée à une intelligence hors du commun, rappelle les symptômes du syndrome d’Asperger.
 
Yukawa apporte quant à lui un peu d’humanité à un roman qui en est par ailleurs totalement dépourvu (c’est l’un des principaux reproches que l’on peut faire à l’auteur). Il incarne un rationalisme sain et équilibré, par opposition à la folie de son alter-ego. C’est le seul personnage un tant soit peu sympathique !
 
Yasuko se révèle en revanche creuse et peu attachante, et l’on se moque pas mal de découvrir le sort qui lui sera finalement réservé. On se demande comment Ishigami peut être attiré par cette dinde, certes jolie, mais totalement inintéressante sur le plan intellectuel ! Je serais curieuse de savoir si les personnages féminins sont aussi peu travaillés dans les autres romans de l’auteur, ou bien s’il s’agit d’une faiblesse volontaire, permettant de recentrer le récit sur l’affrontement des deux scientifiques.
 
“Kusanagi le salua d’un mouvement de tête et revint sur ses pas. Ishigami le regarda s’éloigner en ressentant une inquiétude indéfinissable.
Elle ressemblait à celle qu’il éprouvait lorsqu’une formule qu’il croyait parfaite se déformait progressivement en une inconnue.” (page 166)
 
Je n’ai pas grand chose à ajouter en ce qui concerne la forme : le style est simple et rigoureux, à l’image de l’intrigue (du moins en ce qui concerne la traduction). On oublierait presque que l’action se déroule au Japon, en dehors de quelques passages faisant référence à des spécificités locales, comme les tatamis et les portes coulissantes en papier, ou encore la consommation quotidienne de bentos. J’ai cependant relevé quelques remarques intéressantes sur l’enseignement des mathématiques, ainsi que sur le système scolaire japonais. Tout cela est loin d’être stupide.
 
On peut par ailleurs regretter que le roman traîne un peu en longueur dans la dernière partie. La conclusion tarde à arriver, et j’ai ressenti une petite baisse d’intérêt, heureusement compensée par les révélations finales, plutôt bien amenées au cours d’un dénouement magistral et riche en émotions. Je n’aurai finalement pas mis bien longtemps à lire ce texte, l’auteur ayant réussi à me captiver d’un bout à l’autre. Je songe d’ailleurs à me procurer assez rapidement ses deux autres ouvrages, La maison où je suis mort autrefois et Un café maison.
 
Un dernier mot concernant la couverture, assez belle dans son genre (un homme masqué protégeant une jeune femme démunie de son ombrelle), mais qui met pourtant très mal à l’aise quand on la regarde d’un peu plus près. Merci Babel Noir !

 
Un très bon roman policier, à l’intrigue originale et bien ficelée. Fascinant, malgré quelques longueurs.
 
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Première participation au superbe Challenge Ecrivains Japonais, organisé chez Adalana.
 
Ce billet compta également pour le challenge Dragon 2012 de Catherine, du blog La Culture se partage.

 

 

 

23 thoughts on “Le dévouement du suspect X – Keigo Higashino

    1. Je l'avais vaguement repéré en librairie, mais j'aurais hésité à l'acheter si Adalana ne l'avait pas mis au programme de son challenge.

  1. J'avais juste compris pour l'alibi mais je n'avais pas compris comment il avait fait pour le corps.
    Moi aussi Yasuko m'a énervée par son aveuglement. J'ai lu La maison où je suis mort autrefois et l'héroïne est quand même plus complexe.

  2. j'ai aussi découvert cet auteur grâce au challenge et ce livre semble bien intéressant
    j'ai choisi "la maison àù je suis mort autrefois", superbe intrigue en huis-clos dans une maison désaffectée, une belle enquête que j'ai présentée sur mon blog aujourd'hui

  3. Lien noté, Miss Léo, merci ! C'est marrant, beaucoup de mes participants au Dragon 2012 lisent cet auteur en ce mois de janvier car ils participent aussi au challenge Auteurs japonais ! Je l'ai d'ailleurs lu aussi, mais pas ce titre, dommage car j'aurais fait la lecture commune avec vous.

  4. Eh oui, nous lisons tous la même chose en même temps ! Cela manque un peu de variété, mais ces lectures communes ont tout de même un côté bien sympathique.

  5. Très alléchant ! J'ai justement La maison où je suis mort autrefois dans ma PAL. A sortir d'urgence (ce mot étant relatif pour nous pauvres LCA !)

  6. Ton article est vraiment super intéressant 😉 je l'ai aussi dans ma PAL, mais je le lirai plus tard, j'ai beaucoup d'autres lectures de prévues avant 🙂
    Bonne soirée 🙂

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