Oui oui, c’est bien de la neige !
Folio, Editions Gallimard, 2011, 226 pages
Les premières phrases :
On gagne le château des Murmures par le nord.
Il faut connaître le pays pour s’engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame Verte. Cette plaie entre les arbres, des générations d’hommes l’ont entretenue comme feu, coupant les branches à mesure qu’elles repoussaient, luttant sans cesse pour empêcher que la masse des bois ne se refermât.
L’histoire :
1187. La jeune Esclarmonde refuse d’épouser Lothaire de Montfaucon, le rustre prétendant que son père a choisi pour elle. Elle le plante ahuri sur l’autel, devant une assemblée incrédule et scandalisée, et annonce sa volonté de consacrer sa vie à Dieu, en passant le reste de ses jours emmurée dans une petite chapelle, bâtie dans l’enceinte du domaine des Murmures. Une décision dont la toute jeune femme, encore bien naïve et innocente du haut de ses quinze ans, ne mesure évidemment pas toute la portée… Sa réclusion se révélera bien mouvementée, à mille lieues du calme et de l’isolement recherchés. Esclarmonde devient dès lors le témoin de la violence de son siècle, tandis que pèlerins, famille et amis défilent devant les barreaux de sa fenestrelle, pour lui conter leurs malheurs et lui demander conseil.
L’opinion de Miss Léo :
Tout a déjà été dit sur ce conte médiéval, couronné de nombreux prix, et récompensé en 2011 par le Goncourt des lycéens. Je me méfie toujours un peu de ces romans dont tout le monde parle, mais j’avais tout de même très envie de le lire depuis la critique enthousiaste de ma copine Shelbylee, avec laquelle je ne suis pas toujours d’accord, mais dont les goûts et les centres d’intérêt sont tout de même relativement proches des miens. J’ai donc choisi ce titre dans la sélection Folio de mars, et je n’ai pas eu à le regretter, la pluie de louanges me paraissant pour une fois totalement justifiée. J’ai découvert un auteur talentueux, dont la plume envoûtante et l’univers singulier rendent particulièrement prenante la lecture de ce Domaine des Murmures, un récit dense et compact que l’on prend plaisir à dévorer d’une traite, confortablement installé entre la couette et l’oreiller.
J’étais pourtant sceptique. L’histoire d’une recluse ayant choisi de se couper du monde pour vivre avec Dieu ? Mouais . . . Typiquement le genre de personnage auquel je n’adhère pas, et dont je ne parviens pas à comprendre les motivations. J’ai cependant pressenti dès les premières pages que le récit se parerait d’une dimension supplémentaire, et j’ai par conséquent décidé de laisser sa chance à la pauvre Esclarmonde, héroïne résolument volontaire et maîtresse de son destin (du moins en est-elle persuadée lorsqu’elle décide à quinze ans de se retirer du monde). Le roman de Carole Martinez va effectivement bien au-delà des archétypes habituels, et se révèle extrêmement riche, en particulier dans sa description d’un Moyen-Age complexe et tourmenté, ici restitué ici dans toute sa violence. La religion, omniprésente, semble justifier tous les actes, au nom d’une foi souvent douteuse. J’ai aimé la façon dont l’auteur nous présente les Croisades, envisagées sous un aspect bien peu reluisant, sans jamais chercher à glorifier cette armée moribonde et peuplée de cadavres faméliques. Si les plus riches s’en remettent à Dieu, les paysans voient quant à eux leur imaginaire nourri de mythes et de superstitions, et les croyances occultes conservent un poids considérable, allant jusqu’à infléchir le cours des événements.
Le roman se déroule dans un cadre médiéval plutôt réaliste, mais prend par ailleurs les apparences d’un conte initiatique, où la cruauté le dispute à l’émotion, dans un environnement qui plus est résolument onirique et hanté par de sinistres fantômes. On y croise quelques figures touchantes et/ou pathétiques, comme cet enfant aux paumes trouées (stigmates, ou cicatrices d’un acte de violence humaine ?), ce père au bord de la folie, qui tente de se crucifier à sa tête de lit pour expier ses péchés, ou encore cette servante gironde aux cheveux verts, avide de plaisirs charnels, qui apparaît comme l’un des rares êtres sensés du domaine des Murmures. Le récit est porté par la voix d’Esclarmonde, omnisciente, qui jette un regard éclairé sur les événements qu’elle relate. L’évolution du personnage est intéressante. La jeune fille renonce sciemment à une existence terrestre dont elle ne connaît rien, compte-tenu de son jeune âge. Son emmurement est envisagé comme une première mort, qu’elle accepte bien volontiers, dans la mesure où celle-ci lui permet paradoxalement d’accéder à une certaine forme de liberté (triste condition féminine). Persuadée d’avoir fait le bon choix (choix illusoire ?), elle va cependant vite déchanter, ébranlée par une succession d’expériences inattendues : Esclarmonde n’est pas une sainte, et sera rattrapée par son humanité.Il ne me parait pas utile de m’étendre davantage : le roman est court, superbement bien écrit, et mérite d’être découvert sans a priori, d’autant plus que le récit réserve de nombreuses surprises, qu’il serait dommage de révéler ici. Je vous encourage donc à vous procurer au plus vite ce très joli texte, d’autant plus que celui-ci existe désormais en édition de poche. Merci à Lise et aux éditions Folio de m’avoir permis de le découvrir dès sa parution !
Un très chouette roman historique, à l’ambiance étrangement poétique, qui vous procurera un excellent moment de lecture.
D’autres avis chez : Lou, Stephie, Lilly, Shelbylee
Carole Martinez fut il y a quelques années l’auteur d’un premier roman, Le coeur cousu, lui même auréolé de succès. Le thème m’attire moins, mais j’ai bien envie de le lire quand même.
Je suis bien contente que tu aies succombé aussi car comme tu le sais ce fut un de mes coups de coeur. Comme toi, Le coeur cousu m'attire moins, mais Carole Martinez m'a emmenée tellement loin que je vais forcément le lire un jour où l'autre !
Des projets, toujours des projets ! 😉
je n'aime pas beaucoup ce genre de livre médiéval, mais j' avoue qu ce lui ci ne semble pas mal du tout !
J'étais très sceptique au début, et je me suis peu à peu laissée gagner par l'enthousiasme.
Oh oui, je ne sais plus sur quel blog j'en ai déjà entendu parler mais je l'avais directement rajouté à ma liste! Et tu confirmes mon geste!
Nous sommes nombreuses à l'avoir apprécié (ce qui n'est pas forcément un gage de qualité, je te l'accorde). Lis-le si tu en as l'occasion !
Je n'ai pas été aussi emballée que toi mais j'ai bien aimé. Il va falloir que je lise "Le cœur cousu" aussi, depuis le temps que je le dis…
Je ne sais pas ce qu'il m'en restera d'ici quelques mois, mais j'ai vraiment beaucoup aimé !
Tiens, je n'étais pas super tentée par le sujet mais bon… pourquoi pas. Si tu as aimé alors que tu étais sceptique toi aussi!
La façon dont l'auteur aborde le sujet est assez particulière, et mérite d'être découverte !
et je te conseille Le cœur cousu, autant apprécié que Du domaine (avec une petite préférence pour ce dernier tout de même). Bisous
Je ne manquerai pas de le lire quand l'occasion se présentera. Bisous.
J'étais passé complètement à coté de ce livre-ci.
Dommage !
Je n'ai pas terminé ce roman mais je vois que je suis l'une des rares lectrices à ne pas être subjuguée par ce personnage !!!
On ne peut pas plaire à tout le monde !
On a vraiment eu le même parcours avec ce livre !