L’affaire Jane Eyre – Jasper Fforde

Titre original : The Eyre Affair
Traductrice : Roxane Azimi
Editions 10-18, 2001, 410 pages

 

Les premières phrases :Mon père avait une tête à arrêter les pendules. Je  ne veux pas dire par là qu’il était laid ; c’était l’expression employée chez les ChronoGardes pour décrire quelqu’un qui avait le pouvoir de ralentir le débit du temps.
 
L’histoire :

Londres, 1985. Thursday Next est “agent échelon 1” à OS-27, autrement dit détective à la Brigade Littéraire du Service des Opérations Spéciales (Op Specs). Contrefaçons, plagiat, recel et terrorisme sont monnaie courante dans le milieu littéraire, devenu le terrain de prédilection du grand banditisme. Alors qu’elle mène une existence tranquille en compagnie de son dodo domestique Pickwick, Thursday est appelée pour enquêter sur la disparition du manuscrit de Martin Chuzzlewit. Commence alors entre la jeune détective et le machiavélique Achéron Hadès une folle course-poursuite, qui atteindra son paroxysme lors d’une mémorable plongée au coeur de l’intrigue de Jane Eyre, le célèbre roman de Charlotte Brontë.
 
L’opinion de Miss Léo :
 

Voici un livre que j’avais repéré dès sa parution il y a une dizaine d’années, premier tome d’une série dont le thème et le résumé me paraissaient bien alléchants, mais dont j’avais bizarrement repoussé la lecture aux calendes grecques… Et puis j’ai commencé à fréquenter la blogosphère littéraire, où fleurissaient de nombreuses critiques élogieuses de l’oeuvre de Jasper Fforde, lesquelles me remirent rapidement en mémoire l’existence de cette Affaire Jane Eyre, au contenu décidément plus que prometteur. Quelques semaines de réflexion plus tard, me voici enfin en possession du précieux opus, prête à plonger dans l’univers loufoque et déjanté créé par l’auteur britannique.La principale force du roman de Jasper Fforde est indéniablement son originalité. Nous sommes invités à pénétrer dans un monde parallèle où la guerre de Crimée n’a jamais pris fin (Thursday elle-même a participé aux combats). L’Angleterre est dirigée par le tout puissant Groupe Goliath, tentaculaire multinationale d’armement sans scrupule, tandis que les dodos se clonent à la pelle, et font fureur en tant qu’animaux de compagnie dévoués. Dans cette étrange Angleterre fictionnelle, jouxtant un Pays de Galles parfaitement indépendant, se déploie une uchronie burlesque et décalée, qui a le bon goût de puiser son inspiration dans les multiples strates de  la littérature britannique, défendue corps et âme par les agents de la fameuse Brigade Littéraire, à laquelle appartient Thursday Next.
 
Bienvenue dans un monde où les fans de William Shakespeare s’opposent violemment aux groupies de Christopher Marlowe ou aux inconditionnels de Francis Bacon, tous revendiquant la paternité des tragédies attribuées au célèbre dramaturge. Les actes terroristes liés aux livres se multiplient… Les manuscrits originaux suscitent moult convoitises… Sans oublier la cerise sur le gâteau (ô surprise) : la fin de Jane Eyre n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui (il faut évidemment avoir lu l’original pour saisir l’allusion) ! Fforde semble posséder une immense culture littéraire, et les nombreuses références qui émaillent le récit sont effectivement assez jouissives. Sont ainsi évoquées les oeuvres de Charles Dickens, William Wordsworth, William Shakespeare ou encore Charlotte Brontë (j’en passe et des meilleures). Les personnages fictifs sortent de leurs romans d’adoption pour affronter le monde réel (je vous laisse découvrir par vous mêmes le sort réservé à Rochester et à M.Quaverley), tandis que les héros de Fforde, Thursday Next et Achéron Hadès en tête, parviennent à se téléporter à l’intérieur de ces mêmes romans. Le concept est particulièrement séduisant, et le roman oscille constamment entre SF burlesque et fantaisie bibliophile. On y retrouve d’ailleurs quelques éléments purement science-fictionnels (j’ai trouvé très amusante la scène où Thursday et son collègue se retrouvent prisonnier d’un vortex, avec distortion spatio-temporelle et tout le toutim).
 
Le récit n’est évidemment pas dénué d’humour, rappelant parfois les divagations d’un Douglas Adams ou d’un Lewis Caroll (deux auteurs que j’affectionne). J’aime beaucoup les univers absurdes à la Monty Python, et je me suis régalée des nombreux clins d’oeil et autres jeux de mots dispersés aux quatre coins du roman. Un exemple au hasard : les noms des personnages. L’héroïne ? Thursday Next ! Le über-méchant de l’histoire ? Achéron Hadès (j’adore), dont le jeune frère s’appelle… Styx (ça ne s’invente pas) ! Que dire du célèbre Millon de Floss, auteur  d’une Brève Histoire du Service des Opérations Spéciales, dont des extraits jalonnent le roman ?? George Eliot aurait probablement apprécié…J’ai beaucoup aimé le personnage de l’oncle Mycroft (attention, hommage à Sir Arthur Conan Doyle !), inventeur farfelu, féru de littérature et de poésie, dont les créations scientifiques ont toutes un rapport plus ou moins direct avec le monde des livres.  Un savant fou comme on les aime, et dont les interventions sont un  pur régal pour le lecteur !
 
Alors, pourquoi, en dépit de toutes ces qualités, ne suis pas aussi enthousiaste que d’autres lectrices avant moi ?Si j’ai lu les cent premières pages avec amusement, adhérant instantanément à l’univers et aux thématiques abordées, j’ai néanmoins senti mon intérêt retomber nettement par la suite (au point d’interrompre ma lecture pour la reprendre quelques semaines plus tard, ce qui ne m’arrive pour ainsi dire jamais en temps normal). L’intrigue est assez mal fichue, et les (belles) trouvailles évoquées plus haut sont malheureusement diluées dans un trop plein d’action décousue et de bavardages stériles. Il ne se passe rien de palpitant pendant près de deux cents pages, et je me suis parfois un peu ennuyée, tournant machinalement les pages en attendant que l’histoire décolle enfin. Le titre (et surtout la quatrième de couverture) sont d’ailleurs assez trompeurs, l’affaire Jane Eyre ne concernant en réalité que le dernier quart du roman. J’ai également été déçue par la traduction. Autre bémol : les émois amoureux de Thursday n’ont aucun intérêt, et l’on se serait aisément passé de la pseudo-intrigue sentimentale, qui n’apporte strictement rien ni à l’histoire ni au personnage.

 

La dernière partie justifie néanmoins à elle seule la lecture du roman, et réalise le fantasme de tout lecteur compulsif digne de ce nom : pénétrer dans une oeuvre de fiction (en l’occurrence Jane Eyre), et en influencer le déroulement. Une trouvaille géniale, n’ayons pas peur des mots !

Je ne peux par conséquent pas dire que je n’ai pas aimé, malgré ces quelques réserves ; j’ai même très envie de lire la suite (Délivrez-moi !, voir le billet de George), mais j’attendrai Jasper Fforde au tournant ! J’espère que les intrigues et les personnages seront un peu plus travaillés dans les prochains tomes, et que l’auteur ne se laissera pas une nouvelle fois déborder par son imagination galopante…
 
Un premier volume inégal et décousu, qui pose cependant les bases d’un univers original et séduisant. A suivre…

 

D’autres billets chez Alice, Eliza, Shelbylee, Soukee, Karine 🙂, Allie,  Lou
Certains sont très enthousiastes, d’autres beaucoup plus mitigés.

 
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Et un nouveau billet pour le challenge Thursday Next de Mademoiselle Alice ! Plus une première participation au challenge Les Lieux Imaginaires d’Arieste, catégorie Uchronie.

 

 

23 thoughts on “L’affaire Jane Eyre – Jasper Fforde

  1. Je n'arrive pas à le lire. J'ai essayé plusieurs fois, sans succès ! Le pire, c'est que je vais réitérer l'effort, ne comprenant pas pourquoi ce livre se refuse à moi !

    1. Je n'ai pas trouvé ce livre facile à lire. Si les références, l'univers et les jeux de mots m'ont beaucoup amusée, j'ai en revanche eu beaucoup de mal à m'intéresser à l'histoire. Bref, je comprends tout à fait que l'on puisse ne pas arriver au bout !

  2. Oh oui il faut continuer! (dit celle qui a tout lu et parfois en VO)Même si je reconnais qu'avec 3000 idées par page, parfois ça n'avance pas. Mais c'est tellement original!

  3. Il est dans ma LAL mais je veux lire Jane Eyre avant, il attend donc sagement son tour, mais toutes les critiques sont entières, soit les lectrices sont enthousiastes ou soit elles n'ont pas réussi à le lire, ton billet résume en est un exemple même si tu as réussi à aller jusqu'au bout !

  4. Exactement le même avis que toi : une imagination débordante, des références littéraires délicieuses mais une intrigue décevante et une histoire d'amour dont je n'avais absolument rien à faire ! Malheureusement, je n'ai pas non plus été convaincue par le 2ème tome où j'ai trouvé que l'intrigue se traînait. Je pense encore essayer le 3ème tome et abandonner définitivement si je suis toujours dans le même état d'esprit.

  5. En fait moi non plus je n'ai pas trop aimé la relation amoureuse de Thursday (vu que je ne me souviens plus du nom du type), mais le reste m'a transporté et a pris le dessus sur cela !

  6. C'est une lecture dont je ne garde aucun souvenir sauf de n'avoir pas apprécié ! (et pourtant, on m'avait gentiment prêté les tomes suivants qui dorment toujours dans ma bibliothèque lool !)

    1. Finalement, il y a pas mal d'avis négatifs ou mitigés (plus que ce que j'aurais cru) ! Je tenterai encore le deuxième, mais je n'insisterai pas si je sens que ça coince.

  7. J'ai beaucoup aimé, il faut que je fasse mon billet d'ailleurs,sans doute parce que je suis une grande fan des univers étranges et j'aime le blabla sur ça dans les livres. Après pour le titre, je suis d'accord je pensais que Jane Eyre arriverait plus tôt dans le récit c'est un brin trompeur.

  8. Je n'ai hélas pas eu la patience et le courage d'atteindre le dernier quart du roman !! …L'idée m'avait semblé géniale mais alors quel style !!!…C'est confus, décousu, trop long et probablement trop loufoque pour moi …!!

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