Persuasion – Jane Austen

Lecture commune avec Mrs FiggVirgule et Malorie

 

Penguin Classics, 1818, 236 pages

 

La première phrase :

Sir Walter Elliot, of Kellynch-hall, in Somersetshire, was a man who, for his own amusement, never took up any book but the Baronetage ; there he found occupation for an idle hour, and consolation in a distressed one ; ther his faculties were roused into admiration and respect, by contemplating the limited remnants of the earliest patents ; there any unwelcome sensations, arising from domestic affairs, changed naturally into pity and contempt.

 

L’histoire :
Anne Elliot a vingt-sept ans. Huit ans après avoir rompu ses fiançailles, sous l’influence de son amie et marraine Lady Russell, la jeune femme retrouve par hasard son ancien soupirant, le Capitaine Frederick Wentworth, lequel cherche à nouveau à se marier, après une brillante carrière dans la Navy. Celui-ci renouera-t-il avec sa promise d’antan ?

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Nouvelle étape dans mon entreprise de relecture des oeuvres complètes de Miss Jane Austen ! Persuasion n’a jamais été mon préféré, et je n’en conservais d’ailleurs que de vagues souvenirs, avant que cette nouvelle tentative ne me pousse à revoir mon jugement.

 

Dernier roman de l’auteur, écrit alors que celle-ci était déjà malade, et publié à titre posthume par son frère Henry Austen, le présent opus apparaît comme une oeuvre de maturité, à laquelle manque toutefois un petit supplément d’âme et d’énergie (c’est du moins ce que j’ai ressenti). Cela démarre fort, avec l’introduction  du personnage de Sir Walter Elliot (un monument de bêtise et de vacuité spirituelle), mais j’avoue avoir ensuite éprouvé quelques difficultés à rentrer dans l’histoire. J’ai trouvé la première partie très austère, et j’ai été frappée par l’amertume qui se dégage du texte dans son ensemble, lequel se révèle moins pétillant que les autres écrits de la romancière. L’humour, quoique bien présent, y est moins ostensible que dans Northanger Abbey ou Pride and Prejudice, pour ne citer que ces deux là, et il m’a semblé que la construction de l’intrigue et la présentation des personnages manquait parfois de fluidité. Peut-être est-ce dû au fait que l’auteur n’a pas eu le temps de retoucher le roman avant son décès… Who knows ! Le style demeure cependant, et en dépit de ces quelques réserves, l’une des grandes forces de Jane Austen, dont la modernité n’en finit pas de m’impressionner. Le charme opère inexorablement, et je me suis une nouvelle fois laissée séduire par la sobre efficacité de cette plume sèche et délicieusement ironique, qui finit cette fois encore par avoir raison de mes maigres réticences (une fois dépassé le cap des cinquante premières pages).

 

La satire sociale, particulièrement acerbe, est comme toujours l’un des éléments moteurs de l’intrigue, qui sert de prétexte à une critique mordante des us et coutumes de l’Angleterre georgienne. La plupart des personnages secondaires de Persuasion sont superficiels, futiles, égoïstes et/ou intrigants, quand ils ne sont pas franchement antipathiques. L’auteur ne leur témoigne d’ailleurs aucune forme de bienveillance, et l’ironie dont elle fait preuve à leur égard ne suffit pas à dissiper totalement l’impression de malaise que l’on éprouve parfois devant tant de médiocrité. Le snobisme des membres de la vieille noblesse terrienne est violemment remis en cause, et les individus au coeur simple et sans prétention ont bien du mal à s’épanouir dans un tel environnement, quand leurs aspirations ne ploient pas carrément sous le poids des convenances et de l’ambition. Jane Austen valorise l’intelligence, et n’a que mépris pour les événements mondains, qui prolifèrent dans la sinistre ville de Bath, auxquels elle préfère de toute évidence les plaisirs d’une existence saine et équilibrée à la campagne.

 

Les Elliot sont absolument terrifiants ! Sir Walter, baronnet vaniteux et stupide, s’accroche tant bien que mal à ses titres de noblesse, quand bien même ses dettes le conduisent au bord de la ruine. Contraint de louer sa propriété de Kellynch-hall pour “s’exiler” à Bath, il ne témoigne que peu d’intérêt à ses enfants, si ce n’est à sa chère Elizabeth, créature arrogante et superficielle dont le caractère semble s’accorder à merveille à celui de son père. La pauvre Anne doit également compter avec une soeur cadette geignarde et relativement égoïste, laquelle s’est pourtant assuré une place de choix dans la société en épousant Charles Musgrove. Et encore, je ne parle pas du cousin opportuniste, qui aimerait tellement devenir le nouveau baron de Kellynch-hall . . . Quelle famille !

 

Rares sont les personnages qui trouvent grâce aux yeux du lecteur. Lady Russell semble envisagée de façon moins manichéenne, mais n’en exerce pas moins une influence néfaste sur sa filleule, en la persuadant de renoncer à son mariage avec un Frederick à l’avenir et la fortune par trop incertains. Evidemment, cela part d’un bon sentiment, mais l’argent prend là encore le dessus sur les sentiments. Les nouveaux locataires de Kellynch-hall, l’Amiral Croft et son épouse Sophy (soeur de Frederick), sont en revanche ouverts et sympathiques, comme le sont d’ailleurs la plupart des amis du Capitaine Wentworth, qui semble au passage avoir de bien meilleures fréquentations que la malheureuse Anne !

 

Persuasion possède cependant un atout de taille, en la personne de son adorable héroïne, que je place sans hésitation dans le Top 3 de mes héroïnes austeniennes préférées, aux côtés de Lizzie Bennet et d’Elinor Dashwood. Anne Elliot, du haut de ses vingt-sept ans, est un personnage raisonnable et mesuré, qui semble terne au premier abord, mais dont la nature timide et effacée se révèle de plus en plus émouvante au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Anne est une jeune femme mature et lucide, vulnérable sans être mièvre ou naïve, bref, une héroïne à laquelle on peut sans peine s’identifier, et que l’on suit avec tendresse ! Le couple plein de charme qu’elle forme avec le Capitaine Wentworth est sans conteste l’un des plus attachants de l’oeuvre de la romancière britannique, probablement parce que leur relation bâtie sur des regrets s’inscrit dans la durée.
 
Je suis toutefois plus réservée concernant la personnalité de Frederick, que l’on voit finalement assez peu dans le roman, et dont le charisme me paraît très surfait. Plus chaleureux et plus humain (plus réaliste ?) qu’un Darcy, il me parait cependant trop gentil et trop lisse pour être totalement convaincant. Cela dit, il se montre passablement rancunier envers Anne (normal, il s’est fait plaquer sans raison huit ans plus tôt), et passe une bonne partie du roman à bouder en rongeant son frein, ce qui me le rend plutôt sympathique ! Je me sens un peu obligée d’évoquer la fameuse lettre de Frederick à Anne, qui semble faire l’unanimité parmi les blogueuses midinettes janéites de France et de Navarre. J’ai beaucoup aimé les circonstances dans lesquelles il l’écrit, avec frénésie et précipitation, en jetant des coups d’oeil inquiets autour de lui, mais la lettre elle-même (en fait davantage un court billet qu’une longue missive) ne m’a pas émue plus que ça. Bon, je reconnais que sa démarche est touchante, et que sa déclaration a quelque chose d’attendrissant (non, je ne suis pas aussi insensible que j’essaye de le faire croire).

 

Cette deuxième lecture de Persuasion m’aura donc permis de redécouvrir d’un oeil neuf un roman à part dans l’oeuvre de Jane Austen. Je pense que j’étais trop jeune pour en saisir tous les enjeux lors de ma première tentative, et il n’est donc pas étonnant que, la maturité (?) aidant, j’aie davantage été séduite cette fois-ci par la mélancolie qui se dégage de cette très belle histoire. Le récit, un peu terne au premier abord, tarde à assumer sa dimension romantique, les enjeux n’étant pas clairement définis dans la première partie, ce qui peut expliquer le début un peu laborieux. L’auteur entretient un certain mystère quant aux circonstances de la première rencontre d’Anne et de Frederick, qui apparaît d’ailleurs assez tardivement dans l’histoire. Je suis cependant persuadée (c’est le cas de le dire) que je relirai un jour ce roman, afin de pouvoir en apprécier avec davantage de recul toute la simplicité.

 

Un roman au goût amer, porté par une héroïne attachante. Hautement recommandable, même s’il ne s’agit pas de mon Jane Austen préféré.
 
Et maintenant, je vous invite à vous rendre sur les blogs de mes camarades de LC (voir ci-dessus).
 
—————————————-

 


 
Le Mois Anglais continue !
 
Nouvelle participation au Challenge austenien et au Challenge Thursday Next d’Alice.

 

 

15 thoughts on “Persuasion – Jane Austen

  1. Je dois également relire ce roman de Jane Austen que j'avais déjà bien apprécié à la première lecture (il y a bien longtemps également…tout ça ne nous rajeunit pas Miss Léo !!!)Celui dont je ne me souviens pas du tout c'est "Mansfield Park", le trou noir total !

    1. Je me souvenais encore moins bien de Persuasion, mais c'est vrai que j'ai aussi pas mal oublié Mansfield Park, que je compte relire prochainement. Eh oui, ma chère Titine, nous sommes vieilles et décrépites (comme Anne), il va falloir nous faire une raison. 😉

  2. Oui, c'est sûr qu'il est moins léger et dynamique que P&P…mais malgré tout, il est vraiment touchant dans son style ! Et la romance est assez belle…

    Moi celui avec lequel j'ai vraiment eu du mal, c'est MMa,sfield Park : absence totale d'humour (même l'ironie est trop rare), héroïne passive et moralisatrice vite insupportable, un cousin Edmund mou…non, vraiment ce roman n'est pas bon !

  3. J'ai fini le roman hier, travaillé ce matin en pensant à mon billet et je viens enfin de l'écrire. La vie de blogueur est un vrai marathon ! 🙂 Ton billet est très complet. En ce qui concerne la fameuse lettre de Frederick, moi aussi j'aime plus encore les circonstances de l'écriture que la lettre elle-même. Le fait qu'il écrive en présence et en cachette de sa destinataire fait tout le charme de ce passage. Contrairement à toi, je n'ai pas encore lu tout Jane Austen, mais je pense que celui-ci va figurer parmi mes romans préférés.

  4. Comme d'habitude, ton avis est clair et limpide ! Je n'ai jamais vraiment analysé pourquoi les romans de Jane Austen sont si excellents (excepté son ironie bien sûr), mais tu m'ouvres quelques pistes ! Je partage en tout point ton top 3 des héroïnes 😀

    1. Tout cela ne me semble pas si clair, mais je te remercie pour le compliment ! Ravie que mon billet t'ait donné matière à réflexion. J'ai dû me creuser un peu la cervelle, car je ne savais pas trop quoi dire au début… Sinon, je ne suis pas du tout étonnée que nous soyons en phase en ce qui concerne les héroïnes austeniennes !! 🙂

  5. j'ai beaucoup aimé ce roman et ce personnage féminin en retrait, timide semblant un peu résignée. J'avais aimé aussi la façon dont Austen rend compte des erreurs de jugement en fonction du qu'en-dira-t-on. Quant à l'épisode de la lettre,il est quand même très beau, oui je sais je suis une midinette 😀 !

    1. Je pense que je l'aimerai encore davantage à chaque relecture ! Je crois que je suis un peu midinette aussi, bien que je m'en défende avec véhémence. 😉

  6. Moi, c'est mon deuxième préféré d'Austen! J'ai aimé que le personnage évolue, qu'elle fasse des erreurs… et quelle lettre!

  7. Comme toujours, ton billet est concis et précis !

    Je suis d'accord avec toi, il y a moins d'humour dans "Persuasion" que dans les autres romans de Miss Austen. En revanche, je n'avais pas vraiment ressenti l'amertume dont tu parles, pendant ma lecture. Or, mais maintenant que j'y réfléchis, je suis d'accord. D'ailleurs les dernières phrases, avec toute l'incertitude qu'elles laissent planer, m'ont beaucoup étonnées de la part de Jane Austen.

    Et comme toi, j'ai beaucoup aimé Anne, sa maturité, son bon sens et sa sensibilité d'amoureuse 'réveillée' !

    Merci pour cette LC, que j'ai été ravie de partager avec toi !

  8. Ahhhh! Persuasion n'est pas celui que l'on aime le plus facilement des romans de Jane Austen et je suis vraiment contente que cette deuxième lecture t'ait apportée des sensations différentes!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *