Titre original : Wer übrig bleibt, hat recht
Traduction (allemand) : Georges Sturm
Le Livre de Poche, Editions du Masque, 2002, 526 pages
Les premières phrases :
Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’oeil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Epuisé, il s’adossa au wagonnet.
L’histoire :
Automne 1944. Destins croisés dans les rues de Berlin. Ruprecht Haas s’évade de Buchenwald, et part à la recherche de ceux qui l’ont dénoncé, bien décidé à venger la mort de sa femme et de son fils. Démobilisé suite à une blessure par balle, le Sturmbahnführer Hans-Wilhelm Kalterer se voit quant à lui confier par la Gestapo une enquête de la plus haute importance, suite au meurtre d’un haut fonctionnaire du régime nazi. Haas et Kalterer : deux personnalités que tout oppose a priori, dont les routes ne vont cependant pas tarder à se croiser, dans une capitale allemande au bord du chaos, où chacun lutte désormais pour sa survie, au rythme des raids aériens et des bombardements.
L’opinion de Miss Léo :
Me revoici avec (encore) un ouvrage consacré à la deuxième guerre mondiale, envisagée cette fois du point de vue allemand. J’apprécie de plus en plus de lire des romans et des témoignages évoquant la vie quotidienne des berlinois sous le régime nazi, ainsi que les répercussions de la guerre sur le peuple allemand, comme ce fut le cas avec les excellents Histoire d’un allemand, de Sebastian Haffner, Seul dans Berlin, de Hans Fallada ou encore la célèbre Trilogie Berlinoise de Philip Kerr, superbe série de romans noirs mettant en scène le détective Bernie Günther, témoin impuissant des excès du régime nazi. J’ai découvert le présent opus sur le blog de Tasha, avant de le retrouver dans la liste de livres proposés lors de la dernière édition de Masse Critique chez Babelio, pour laquelle j’ai eu la chance d’être sélectionnée.
Je suis plus que ravie d’avoir choisi ce roman, que j’ai trouvé excellent. Les auteurs de Deux dans Berlin, tous deux historiens, nous plongent au coeur d’une intrigue palpitante et admirablement construite, dans un Berlin malmené par les bombardements Alliés et menacé par l’Armée Rouge. Le cadre historique, passionnant et très documenté, donne un aperçu assez réaliste de ce que devait être la vie dans la capitale allemande au cours de ces mois d’angoisse et de déroute. La fin de la guerre est proche, le Troisième Reich vacille sur ses bases, et les allemands doivent choisir leur camp. Faut-il continuer à soutenir le régime d’Hitler, et jeter ses dernières forces dans une ultime bataille à l’issue désespérément prévisible ? Faut-il au contraire songer à l’avenir, en renonçant à servir une cause perdue d’avance ? On ressent la lassitude et la colère de nombreux berlinois, embarqués malgré eux dans une guerre absurde par un dictateur dont beaucoup ne partagent pas l’idéologie. Gestapo, torture, dénonciations, raids aériens, pénuries en tout genre… Le peuple souffre, et découvre avec incrédulité les abominations perpétrées dans les camps de concentration, qui jettent un discrédit supplémentaire sur la politique menée par Hitler et ses comparses.J’ai aimé l’absence totale de manichéisme des personnages principaux, dont Birkefeld et Hachmeister dressent un portrait lucide et sans complaisance. Haas et Kalterer sont avant tout des êtres humains confrontés à une situation qui les dépasse, présentés avec leurs défauts et leurs imperfections. Aucun des deux n’est d’ailleurs franchement sympathique, et l’on ne peut pas dire que l’on s’attache particulièrement à l’un ou à l’autre, même si le rescapé de Buchenwald suscite inévitablement davantage de compassion de la part du lecteur. Haas a longtemps été un citoyen allemand passif, témoin indifférent de l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, avant que son arrestation et son internement en camp de concentration ne fassent de lui un virulent opposant au régime, davantage par désir de vengeance personnelle que par réelle conviction idéologique. Humilié, détruit, le coeur empli d’amertume, Haas devient après son évasion aussi violent que les nazis, et se métamorphose en impitoyable meurtrier. Il ne tue certes que des salauds, mais il est bien difficile de le soutenir dans son entreprise, il est vrai quelque peu désespérée ! Kalterer est quant à lui Nazi par confort, et se contente d’obéir aux ordres. Ce dévouement aveugle lui permet de justifier les actes les plus terribles, que ce soit sur le front ou en tant que membre de la police criminelle. Il finira cependant par être rattrapé par sa conscience, accablé par les accusations de son épouse Merit, elle-même sans illusion quant à la monstruosité de la politique hitlérienne. Les auteurs soulèvent ainsi l’intéressante question de la culpabilité et de la responsabilité des soldats et des gradés allemands, qui firent preuve de bien peu de discernement en appliquant à la lettre les consignes de leurs supérieurs hiérarchiques.
C’est une véritable lutte psychologique qui s’installe entre ces deux personnages, l’un pourchassant l’autre sans répit, dans une ambiance particulièrement étouffante. J’ai apprécié la structure du récit, construit sur une alternance de chapitres assez courts, adoptant tour à tour le point de vue de chacun des deux protagonistes. Ce choix narratif brouille les pistes, et l’on a parfois du mal à identifier le personnage concerné, celui-ci n’étant pas toujours nommé explicitement en début de chapitre. Troublant, mais intéressant ! Je pense que cela était précisément le but recherché par les auteurs : policier nazi et rescapé de Buchenwald incarnent ici deux individus totalement interchangeables, ni bons ni mauvais, embarqués dans une seule et même galère collective.
Haas et Kalterer croisent la route de nombreux personnages secondaires, d’origines sociales très variées. Commerçants juifs, résistants, hauts-fonctionnaires nazis, profiteurs de guerre, Jeunesses Hitlériennes, ouvriers ou secrétaires de la Gestapo forment une galerie très hétéroclite, dont j’ai apprécié la diversité. Tous influeront à des degrés divers sur le déroulement de l’intrigue, par ailleurs très prenante et parfaitement maîtrisée. Les péripéties s’enchaînent, et le suspense va grandissant jusqu’au dénouement, somme toute assez “logique”. J’aime beaucoup la fin du roman, qui se déroule dans une ville au bord de l’Apocalypse, rendue totalement méconnaissable par l’ampleur des destructions causées par les bombardements. Birkefeld et Hachmeister nous proposent quelques images saisissantes de quartiers en ruines, peuplés d’individus hagards errant parmi les décombres fumants de leurs habitations. Le dernier chapitre, très pessimiste, établit quant à lui le lien entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le début de la Guerre Froide, ce qui nous rappelle que Berlin fut probablement l’une des villes européennes les moins épargnées du XXème siècle. Triste destin !
Je continuerai à suivre avec intérêt les futures publications de ce duo d’auteurs, qui nous livrent avec Deux dans Berlin un premier roman prenant et très instructif, qui m’aura tenue en haleine pendant presque cinq cents pages. Je compte aussi lire bientôt Un temps pour vivre, un temps pour mourir, de E.M.Remarque, qui suit le parcours d’un soldat allemand pacifiste, désabusé par la violence et l’inhumanité des combats dont il est le témoin.
Un roman noir de facture originale, à l’arrière-plan historique très travaillé, et au suspense parfaitement maîtrisé. A lire !
N’hésitez pas à vous rendre sur le blog de Tasha pour découvrir son avis.
Merci à Masse Critique et au Livre de Poche de m’avoir fait parvenir ce très beau roman, qui trouvera une place de choix dans ma bibliothèque.
Cette lecture compte également pour le challenge Voisins, voisines, organisé par Anne (pour l’Allemagne).
Je note, il me tente vraiment beaucoup. J'ai noté aussi récemment chez Cléanthe Quand les lumières s'éteignent d'Erika Mann (fille de, soeur de). Je ne sais pas si tu connais, mais ça ne pourra que t'intéresser (même au cas où tu l'aurais déjà lu)
http://danslabibliothequedecleanthe.over-blog.com/article-erika-mann-quand-les-lumieres-s-eteignent-117944398.html
Merci pour le lien ! Je viens de lire le billet de Cléanthe, et je suis (évidemment) très tentée par le livre d'Erika Mann, que je ne connaissais pas du tout.
Seul dans Berlin est un excellent roman je suis d'accord avec toi. Je ne connaissais pas Deux dans Berlin, je pense que je vais le rajouter sur ma liste à lire parce que je suis également intéressée par l'histoire et surtout la Seconde Guerre Mondiale.
Ce livre m'a plus aussi. J'ai trouvé ce point de vue original et très intéressant.
Merci pour ce conseil de lecture – je devrais pourtant connaitre… Fallada, Haffner et Remarque, à travers leurs livres, donnent un bon aperçu de ces périodes.
Je suis contente que tu aies aimé! J'ai vu qu'un autre roman au moins était sorti, signé par les deux auteurs, il faudra que je regarde de plus près. Cela semble être dans la même veine. Entièrement d'accord avec toi sur la fin du roman, saisissante à la fois pour ce Berlin apocalyptique (tu as trouvé le mot juste!) et pour l'analyse de la transition avec la guerre froide.
Attention, tu vas frôler l'over-dose de seconde guerre mondiale.
Lecture terminée…ce roman est tellement sombre. J'ai apprécié le travail des deux auteurs, cette histoire est passionnante et c'est le genre de roman qu'on oublie pas