Titre original : Company K
Traduction (américain) : Stéphanie Levet
Collection Americana, éditions Gallmeister (2013), 1933, 230 pages
La première phrase :
Nous avons dîné et nous nous sommes assis sous notre porche, ma femme et moi.
L’histoire :
Les cent treize soldats d’une compagnie de l’US Marine Corps, envoyée au front en décembre 1917, évoquent brièvement et à tour de rôle leur expérience de la guerre, de leur arrivée en France jusqu’à leur démobilisation en 1919.
L’opinion de Miss Léo :
Le presque Centenaire du déclenchement des hostilités de la première Guerre Mondiale a sans doute motivé la publication par les éditions Gallmeister de ce texte américain de 1933, curieusement demeuré inédit en France pendant plus de quatre-vingt ans. L’auteur, lui-même Ancien Combattant, a de toute évidence puisé dans ses propres souvenirs pour rédiger cette oeuvre dense et édifiante, qui apporte un éclairage intéressant sur l’un des conflits les plus démesurément absurdes de l’Histoire contemporaine.
Compagnie K est un récit sobre et sans fioriture, regroupant les témoignages de soldats et officiers fictifs, parfois malades ou blessés, quand ils ne sont pas carrément mourants ! Ceux-ci évoquent en peu de mots la violence dévastatrice d’une guerre totale et redoutablement meurtrière à bien des égards, les souffrances physiques des soldats et des civils se doublant dans certains cas d’une douloureuse crise de conscience. Le doute envahit peu à peu l’esprit de ces hommes encore jeunes, témoins de la décadence morale d’une civilisation soi-disant évoluée. Il leur faut obéir aveuglément aux ordres de la hiérarchie, ce qui les amène à commettre des actes terribles, d’une innommable barbarie. Certains ne le supporteront pas… A cela s’ajoutent les désagréments quotidiens de la vie sur le front. La malnutrition, la dysenterie, les pieds meurtris emplis de pus et l’absence totale d’hygiène et d’intimité semblent toutefois bien dérisoires comparés au risque de se retrouver frappé par un éclat d’obus ou fauché par la balle d’un tireur d’élite allemand !
William March n’hésite pas à décrire en des termes très crus la bruyante agonie de combattants éviscérés, pris au piège d’un rideau de fils barbelés, ou tout simplement étendus sur le champ de bataille dévasté par les explosions et les gaz de combat. La guerre, ce sont aussi des exécutions sommaires de prisonniers, des sacrifices et des actes d’héroïsme inspirés par la peur ou l’instinct de survie, ainsi que des contacts plus ou moins fugitifs avec les autochtones, eux-mêmes victimes de cet interminable conflit. Tous ne réagissent cependant pas avec autant de bravoure, et nombreux sont les soldats qui cherchent à échapper à cet enfer permanent : certains désertent, tandis que d’autres s’infligent de terribles mutilations pour être démobilisés.
William March n’hésite pas à décrire en des termes très crus la bruyante agonie de combattants éviscérés, pris au piège d’un rideau de fils barbelés, ou tout simplement étendus sur le champ de bataille dévasté par les explosions et les gaz de combat. La guerre, ce sont aussi des exécutions sommaires de prisonniers, des sacrifices et des actes d’héroïsme inspirés par la peur ou l’instinct de survie, ainsi que des contacts plus ou moins fugitifs avec les autochtones, eux-mêmes victimes de cet interminable conflit. Tous ne réagissent cependant pas avec autant de bravoure, et nombreux sont les soldats qui cherchent à échapper à cet enfer permanent : certains désertent, tandis que d’autres s’infligent de terribles mutilations pour être démobilisés.
Le style est vivant et plein d’entrain, malgré l’horreur des situations décrites. Le ton se veut dans l’ensemble plutôt réaliste, mais se teinte parfois d’un cynisme désabusé, qui souligne parfaitement l’absurdité des sacrifices consentis par la Compagnie.
“Chère madame,
Votre fils Francis est mort au bois de Belleau pour rien. Vous serez contente d’apprendre qu’au moment de sa mort, il grouillait de vermine et était affaibli par la diarrhée. Ses pieds avaient enflé et pourri, ils puaient. Il vivait comme un animal qui a peur, rongé par le froid et la faim. Puis, le 6 juin, une bille de shrapnel l’a frappé et il est mort lentement dans des souffrances atroces. Vous ne croirez jamais qu’il a a pu vivre encore trois heures entières à hurler et jurer tour à tour. Vous comprenez, il n’avait rien à quoi se raccrocher : depuis longtemps il avait compris que toutes ces choses auxquelles vous, sa mère, lui aviez appris à croire sous les mots honneur, courage et patriotisme, n’étaient que des mensonges…” (page 95)
La fin des combats n’apportera pas le soulagement attendu, et les rescapés traumatisés, auxquels sont consacrées les cinquante dernières pages du roman, auront encore à endurer mille souffrances, et devront vivre le reste de leur existence avec de multiples séquelles physiques ou psychologiques. Le retour au bercail et la réinsertion se révèlent en effet bien difficiles, que ce soit pour les mutilés de guerre (difficile de déterminer qui des “gueules cassées” ou des amputés sont les plus à plaindre) ou pour les soldats miraculeusement revenus “indemnes” de la campagne française. Tous (ou presque) se retrouvent dans l’impossibilité de communiquer avec leur entourage proche, avec lequel ils se sentent désormais en complet décalage. Comment traduire l’indicible par des mots ? Comment expliquer à ces civils épargnés par la guerre ce que la Compagnie K a vécu en Europe ?
Le roman de William March brasse une multitude de thèmes, ce qui est remarquable, compte-tenu de sa relative brièveté. Les chapitres sont très courts (une ou deux pages en général). Cette concision se révèle d’une grande efficacité narrative, la juxtaposition de ces tranches de vie offrant une saisissante reconstitution de ce que dût être le quotidien d’un soldat de la Première Guerre Mondiale. Les pensées les plus profondes y côtoient les réflexions les plus terre à terre, l’auteur mêlant habilement les préoccupations matérielles aux interrogations métaphysiques. Son témoignage est lucide, et se révèle en tout point passionnant. Compagnie K fait indéniablement partie des “romans à lire” en cette fin de Rentrée Littéraire ; je me réjouis que les éditions Gallmeister aient choisi d’exhumer cette oeuvre méconnue !
Un remarquable témoignage sur la Première Guerre Mondiale, telle que l’ont vécue les soldats américains. A lire !
Un remarquable témoignage sur la Première Guerre Mondiale, telle que l’ont vécue les soldats américains. A lire !
Vous l’aurez remarqué, j’ai momentanément délaissé les ouvrages sur la Deuxième Guerre Mondiale pour m’intéresser de plus près à “l’autre” grand conflit du XXème siècle. S’agit-il d’une nouvelle obsession ? Peut-être, puisque j’ai également emprunté le fameux A l’Ouest rien de nouveau, qui valut à Erich Maria Remarque l’opprobre du régime nazi. Je le lirai très prochainement ! Je me suis aussi acheté le numéro du (très bon) magazine Les Collections de l’Histoire consacré aux événements de 14-18.
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Nouvelle participation au Challenge US, organisé par Noctenbule.
Il me tente carrément, je crois que je vais finir par craquer.
Il est remarquable, je te le conseille !
Ca me rassure, si je n'en avais jamais entendu parler, c'est parce qu'il n'avait pas été traduit. Cet ouvrage à l'air extrêmement intéressant, je le note. Je n'ai jamais lu le Remarque en entier parce que j'en connais trop d'extraits. Sur la même période, je te conseille très fortement le magnifique livre 5 deuils de guerre de l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau sur 5 familles qui doivent vivre avec le deuil d'un de leur membre après la 1GM. Je l'ai lu il y a une dizaine d'années et il m'avait profondément marqué. J'ai vu qu'il était sorti en poche récemment.
Merci pour le conseil ! Je note précieusement la référence.
Très tentant et quel billet motivant.
Pas trop éprouvant tout de même?
Certaines scènes sont effectivement très éprouvantes (mieux vaut être prévenu) !
Tu prends de l'avance sur la commémoration du centenaire ?
Oui ! J'anticipe.
Le texte en extrait est terrible! Il est presque aussi cynique que celui de Céline Voyage au bout de la nuit pour mettre en valeur l'absurdité de la boucherie humaine de 14-18. Il y a aussi Les croix de bois de Dorgelès sur ce conflit.
Le roman de Remarque est très beau aussi.
L'extrait que j'ai choisi est l'un des passages les plus marquants du roman ! Je viens de commencer le Remarque, qui me plait également beaucoup.
je ne connais pas l'auteur mais ton billet, le sujet, les éditions, je suis preneuse.
Si le sujet t'intéresse, tu ne seras pas déçue !