Le Livre de Poche, Editions Albin Michel, 2011, 397 pages
Les premières phrases :
Alex adore ça. Il y a déjà près d’une heure qu’elle essaye, qu’elle hésite, qu’elle ressort, revient sur ses pas, essaye de nouveau. Perruques et postiches. Elle pourrait y passer des après-midis entiers.
L’histoire :
Paris, 2006. Encore hanté par l’enlèvement et la mort tragique de son épouse Irène quelques années auparavant, le commissaire Camille Verhoeven enquête sur la disparition d’une jeune femme non identifiée, qu’un témoin a vue se faire brutaliser et embarquer de force dans une camionnette blanche par un mystérieux individu. Les policiers traquent de bien maigres indices, tandis que la malheureuse Alex, trente ans, subit les sévices infligés par son ravisseur, qui l’enferme dans une cage exiguë, entre les murs d’un entrepôt désaffecté et infesté de rats monstrueux.
L’opinion de Miss Léo :
Oh, la belle réussite que voilà ! J’ai tout aimé dans ce roman : le style, la construction, les personnages, tous intéressants (policiers, victimes et bourreaux). Il est pourtant difficile d’en parler sans en déflorer l’intrigue, et je ne voudrais surtout pas vous gâcher le plaisir de la découverte déjà partiellement entamé par la quatrième de couverture. Tout le récit tourne en effet autour de la question suivante : qui est réellement Alex ? Camille Verhoeven et ses collègues s’efforcent de percer le mystère de la personnalité d’une victime peut-être moins innocente qu’il n’y paraît.
Pierre Lemaitre signe un thriller d’excellente facture, très sombre et admirablement maîtrisé. Les chapitres suivent alternativement Alex et les policiers chargés de l’enquête, tout au long des trois parties qui constituent le roman. Ce découpage n’a rien d’artificiel ni d’anodin ; si la seconde partie demeure relativement classique dans sa conception, la première et la troisième sont quant à elles bien plus originales, et se révèlent surprenantes à bien des égards. L’intrigue est pleine de rebondissements, et réserve son lot de coups de théâtre, ce qui n’empêche pas le lecteur d’échafauder ses propres hypothèses, en tenant compte des quelques subtils indices disséminés ça et là. On pressent quelque chose de terrible, d’inattendu, et le dénouement est à la hauteur de l’attente, monstrueux et plein d’émotion.Le plus remarquable dans ce captivant récit est sans nul doute la façon dont l’auteur fait évoluer ses personnages, dont on découvre progressivement les multiples facettes, au delà des apparences initiales. Pierre Lemaitre tire les ficelles et manipule constamment son lecteur, jouant sur l’identification et l’empathie ressentie par ce dernier. Alex, en particulier, se révèle pleine de contradictions, tour à tour petit animal apeuré et femme fatale impitoyablement déterminée. Elle attendrit et effraye à la fois, et la perception qu’en a le lecteur change constamment, ce qui contribue à la grande réussite du roman. Signalons également le caractère atypique du commissaire Verhoeven, auquel Lemaitre a d’ailleurs consacré une trilogie, dont le présent opus constitue le volume central (après Travail soigné et avant Sacrifices). Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le premier volume pour apprécier celui-ci, mais cela est tout de même recommandé, afin de mieux appréhender les dilemnes et les crises de conscience de cet enquêteur tourmenté.
L’écriture vive et nerveuse devient rapidement addictive. Alex est pourtant rédigé au présent et passé composé, ce qui aurait pu me déplaire, n’eût été le remarquable sens du rythme dont fait preuve l’auteur, dont le texte est par ailleurs truffé de références littéraires. Cela reste avant tout un divertissement, qui se distingue cependant par ses qualités stylistiques et narratives, ainsi que par la densité de son intrigue. Je deviens de plus en plus difficile en matière de polars, et celui-ci se place de mon point de vue bien au-dessus de tout ce que j’ai pu lire récemment dans ce domaine, à l’exception notable de Gillian Flynn. Ce roman m’a par exemple semblé nettement moins racoleur et surtout beaucoup mieux écrit que l’oeuvre d’un Franck Thilliez, lui aussi français, lui aussi célébré par les critiques (et dont je ne peux pas m’empêcher de dire du mal, après deux tentatives infructueuses).
J’ai maintenant très envie de me plonger dans les autres romans de l’auteur, à commencer par ses polars (je crois qu’il en a écrit quatre en plus de celui-ci). Au revoir là-haut me tente très très beaucoup depuis sa sortie, mais j’attendrai probablement qu’il sorte en poche pour me le procurer. Je commence à trouver le temps long, mais j’ai décidé de mettre ma PAL à la diète pendant au moins une semaine quelques temps, et je ne voudrais pas lui occasionner de disgracieux et superflus bourrelets.Bref, tout ça pour dire que j’ai littéralement adoré cette Alex, qu’il vous faut absolument découvrir dans les plus brefs délais. Et surtout, surtout, ne lisez pas la quatrième de couverture !
Des personnages et une intrigue remarquables. Coup de coeur !
Très addictif en effet et bien plus réussi à mes yeux que "Robe de marié" dont les personnages ne m'ont pas convaincue.
Je l'ai vu à la bibli et j'ai hésité, mais je n'avais pas encore lu ton billet. Par contre, j'ai pris le Lewisohn. Et je suis en train de lire (dévorer ?) Les lieux sombres, qui me plaît peut-être même encore plus que Les Apparences.
PS : En lisant ton billet, je me dis "Tiens c'est drôle, l'auteur a le même nom que le Prix Goncourt…" Les préjugés pfffffffffffffffffffff. Et pourtant, j'aime les polars, même si un peu comme toi, j'en suis revenue depuis quelque temps.
Je viens juste de le commencer ! ….. Je crois qu'effectivement, il est super.
Je crois que je vais voir s'il est dans les rayons de ma BM!
Une lecture que j 'avais bien aimée.
Tout comme Sandrine , je n'avais pas été plus emballée que cela par "Robe de marié", mais mon énorme coup de coeur pour "au revoir là-haut" ainsi que ton billet me donnent bien envie de faire la connaissance de cette Alex .
Bon, ton billet me donne assez envie de le lire (mais comme toi, j'essaie de faire fondre ma PAL), même si je ne suis pas très thriller. Et j'ai bien compris : ne pas lire la 4ème de couverture! Incroyable, ça, l'éditeur qui spoile! On rêve, ils pourraient faire attention… C'est comme les bandes-annonces qui racontent tout le film!
Il me tente beaucoup (surtout depuis que j'ai lu – et adoré "Au revoir là-haut"). Malheureusement, j'ai fait la bêtise de lire la 4ème de couv' ! J'attendais d'oublier un peu mais non, à la lecture de ton billet, je ne me souviens que trop bien de ce qui est sous entendu … du coup, j'hésite !
J'en profite pour te souhaiter une très bonne année 2014, beaucoup de belles lectures et d'inspiration pour tes billets toujours tellement bien rédigés …
J'ai très envie de découvrir les polars de Pierre Lemaître dont j'avais entendu beaucoup de bien. Je note celui-ci car ton enthousiasme est communicatif.