Guerres – Timothy Findley

Titre original : The Wars
Traduction (anglais/canadien) : Eric Diacon
Phébus, 1977, 2014 (réédition), 252 pages

 

La première phrase :
Elle était debout au milieu des voies.

 

L’histoire :
Robert Ross a dix-neuf ans lorsqu’il s’engage dans l’armée canadienne, bouleversé par le décès de sa soeur aînée Rowena, hydrocéphale de naissance. Il embarque pour l’Angleterre en décembre 1915, afin de rejoindre les troupes stationnées dans la région d’Ypres. Issu d’une famille aisée, doté d’un physique avenant suscitant bien des convoitises, le jeune Robert ne tarde pas à découvrir l’horreur de la guerre, qui sonne le glas de ses illusions et de sa naïveté.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Voici un roman dont ma maman m’avait dit le plus grand bien, et que j’avais depuis longtemps inscrit dans la liste de mes envies livresques. J’ai donc sauté de joie lorsque j’ai réalisé qu’il figurait dans la sélection proposée lors de la dernière édition de Masse Critique chez Babelio, à l’occasion de sa réédition par Phébus (éditeur que j’apprécie beaucoup par ailleurs).Le résumé ci-dessus est assez réducteur, voire un peu niais, et ne vous épargne aucun cliché. Soyez cependant assurés d’une chose : il serait bien dommage de passer à côté de ce roman virtuose, d’une originalité et d’une profondeur tout à fait remarquables (ce qui le rend il est vrai assez difficile à raconter). J’ai été emballée par la trame narrative du récit, qui compile les recherches effectuées par un narrateur omniscient, lequel recueille des témoignages afin de mieux cerner la personnalité du sous-lieutenant Robert Ross, dont il cherche à reconstituer le parcours par le biais des archives à sa disposition. Cette construction atypique est tout à la fois déroutante et enthousiasmante, le lecteur se retrouvant confronté à un puzzle dont les pièces s’emboîtent progressivement, pour finalement former une vaste et très complète mosaïque, tenant à la fois du roman initiatique et du documentaire sur la première Guerre Mondiale. J’ai particulièrement aimé le fait que l’évocation du destin du jeune soldat soit déclenchée par l’observation de photos jaunies, convoyant le souvenir mélancolique de personnes désormais disparues. Une bien belle idée !
 
Robert Ross, appelé à commander de par son origine aisée, se révèle être un personnage solitaire et taciturne, dont les qualités athlétiques masquent mal la sensibilité. D’abord opposé à la guerre et à la chose militaire, il finit néanmoins par s’engager, en réaction à la mort de sa soeur bien-aimée. Commence alors une longue période d’entraînement aux armes, suivie d’une traversée cauchemardesque dans les entrailles d’un navire surchargé, en compagnie de dizaines de chevaux (probablement les êtres qu’il affectionne et respecte le plus au monde). L’arrivée sur le front belge permet à l’auteur de développer les thèmes classiques du “roman de guerre”, ici présentés dans toute leur ignominie. Les soldats croupissent dans les tranchées, rongés par la faim, le froid et la peur du lendemain. C’est toute une génération que l’on envoie à l’abattoir, tandis que prolifèrent des armes de destruction de plus en plus massives. Constamment menacés par les gaz, les obus et les attaques d’une aviation encore balbutiante, les jeunes combattants vivent un Enfer quotidien, et luttent constamment pour ne pas perdre la raison. Les permissionnaires se retrouvent ainsi en décalage complet avec leur entourage, tandis que les blessés et les mutilés de guerre pleurent leur jeunesse perdue dans des hôpitaux de fortune.Cette courte partie au réalisme saisissant n’en demeure pas moins la plus classique, et ne représente finalement qu’un infime fragment d’une oeuvre complexe et bien plus ambitieuse qu’il n’y paraît. Ecrit dans les années 70, soit près de soixante ans après le déclenchement des hostilités, le roman de Timothy Findley bénéficie du regard novateur d’un jeune écrivain “éclairé”, qui envisage le conflit dans sa globalité, sans pour autant perdre de vue les destins individuels. Guerres traite de la vie sous toutes ses formes, et aborde avec beaucoup de justesse les relations entre les êtres, sensiblement altérées par la guerre et les menaces que celle-ci fait peser sur tout un chacun. Les personnages féminins jouent un rôle essentiel dans le récit, ce qui est assez inattendu dans un roman sur la première Guerre Mondiale. Qu’il s’agisse de la mère et des soeurs du héros, rongées par l’angoisse de l’attente, ou encore des jeunes femmes rencontrées par Robert lors de sa convalescence en Angleterre (dans l’un de ces manoirs ouverts aux blessés par de riches familles britanniques), toutes nourrissent des sentiments contrastés à l’égard de la guerre, qui exacerbe les passions et n’en finit pas de générer souffrances et chagrins. L’auteur dresse un vaste panorama des sentiments et comportements humains, de l’amour à la haine en passant par l’espoir, la peur, la lâcheté ou les plaisirs les plus inavouables. Il est également question de violence et de sexualité, de mal-être et de maladie. Sans oublier la mort, évidemment omniprésente d’un bout à l’autre du récit ! Celui-ci ne se montre d’ailleurs pas très optimiste quant à la nature de l’espèce humaine, et l’évolution du personnage principal est à cet égard emblématique. La variété des points de vue apportés par les différents témoignages permet quant à elle de multiplier les approches, et le roman y gagne paradoxalement en cohérence et en intensité.
 
Signalons pour finir la place (très) importante accordée à la nature et à la vie animale. Robert montre une grande empathie envers les chevaux, et nombreuses sont les espèces représentées tout au long du roman (lapins, rats, oiseaux, crapauds constituent des personnages secondaires inattendus). La guerre est perçue comme un affront fait à Dame Nature, et la violence des combats contraste avec la paisible quiétude de la campagne belge, ravagée par ce déferlement de violence absurde. Il s’agit là de l’un des principaux sujets du livre, mais ce n’est cependant pas celui que j’ai préféré (non qu’il soit mal traité, mais les thématiques “humaines” m’ont davantage intéressée).
 
De ce roman, je retiendrai surtout sa construction, le récit “à tiroirs” apportant une indéniable plus-value narrative, tout en entretenant le suspense quant au destin de Robert. L’auteur fait preuve d’une grande imagination, et construit une fiction profondément romanesque, qui se nourrit de la réalité pour mieux la sublimer. Guerres se révèle par ailleurs extrêmement varié, tant dans le fond que dans la forme, et entraîne le lecteur dans des directions inattendues, pour notre plus grand plaisir. Je suis convaincue par le style de Timothy Findley, un auteur dont je n’avais curieusement jamais rien lu, alors que plusieurs de ses romans me tentent depuis de nombreuses années !

 
 

Un roman de guerre atypique et original. Recommandé par Miss Léo.

 

Merci à Babelio et aux éditions Phébus.

 

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Une année en 14
 
Nouvelle participation au challenge Une année en 14, organisé par Stephie.

 

 

4 thoughts on “Guerres – Timothy Findley

  1. Je dois dire que la couverture et le résumé ne me tentaient pas du tout… Mais ce que tu en dis me fait changer d'avis ! Je note tout particulièrement la place importante accordée aux animaux et à la nature 🙂
    Bises !

  2. Je l'avais repéré dans le catalogue Phébus et je vois qu'il va falloir que je me le procure ! D'ailleurs je ne connaissais pas du tout l'auteur.

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