Pan Books, 1936, 992 pages
(facile, je la connais par coeur !)
Géorgie, 1861. Le scandaleux (séduisant, intelligent, opportuniste) Rhett Butler aime passionnément la ravissante (aguicheuse, égoïste, obstinée) Scarlett O’Hara, fille de planteur. Celle-ci fantasme sur le gentleman (mou, lucide, cultivé) Ashley Wilkes, lequel épouse sa cousine, la très naïve (généreuse, altruiste, fragile) Mélanie Hamilton, qui idolâtre Scarlett. Le tout sur fond de Guerre de Sécession et de destruction des Etats Confédérés d’Amérique, balayés par la déferlante Yankee.
Bien plus qu’une simple histoire d’amours contrariées, jamais guimauve, romanesque sans être romantique, cette vaste fresque est avant tout un grand roman sur la Guerre de Sécession, dont l’auteur nous laisse entrevoir les origines, le déroulement et les conséquences à long terme sur des populations sudistes meurtries dans leur âme et leur chair par la défaite de l’armée confédérée. Les événements majeurs de la guerre civile rythment les aventures de Scarlett, et de longs paragraphes sont consacrés à la progression des deux armées, ainsi qu’à la dimension stratégique des hostilités. La débâcle de Gettysburg marque ainsi le début d’une longue et pénible retraite, qui conduira au siège de la bouillonnante et trépidante Atlanta, longtemps sauvegardée par la défense acharnée du Général Johnston, avant que les troupes de Sherman ne s’abattent avec fureur et sauvagerie sur le reste de la Géorgie, telles une impitoyable nuée de sauterelles. Les généraux sudistes étaient tactiquement supérieurs à leurs homologues Yankees, mais leur armée souffrait d’un manque évident d’équipement et de renforts, qui se révéla hautement préjudiciable compte-tenu de la durée du conflit (quatre longues années tout de même), alors que les Etats confédérés étaient déjà lourdement asphyxiés suite au blocus naval imposé par l’Union depuis le début de la guerre.
Pas de plongée au coeur de la bataille comme dans le formidable Wilderness, que je vous présenterai dans quelques jours (si je trouve le temps d’écrire mon billet), mais le lecteur entrevoit néanmoins toute la souffrance des soldats, pauvres hères en guenilles endurant de multiples blessures physiques et morales. Margaret Mitchell demeure attentive à l’aspect purement militaire d’une guerre menée au nom d’une Cause bien futile au regard du prix à payer, dont elle souligne également l’absurdité. L’abolition de l’esclavage, noble et louable objectif si cher à Abraham Lincoln, n’est en réalité qu’un prétexte teinté d’hypocrisie, le Nord industriel et protectionniste souhaitant de toute évidence en découdre avec le Sud rural et libre-échangiste. Les enjeux sont tout autant économiques qu’idéologiques, et de nombreux sudistes se battent tout simplement pour défendre leur terre, et sauvegarder leur mode de vie. La capitulation du général Lee à Appomattox marque le début d’une longue et terrible période de Reconstruction, durant laquelle se déroule la seconde moitié du roman. Il faudra encore de nombreuses années pour que les Démocrates sudistes reprennent enfin le dessus sur les Républicains yankees et autres Carpetbaggers opportunistes, et parviennent à redresser l’économie de l’ex-Confédération ravagée par les combats.
Voilà pour le contexte. Il convient de saluer comme il se doit la “performance” de la jeune romancière, qui fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise tout à fait étonnantes compte-tenu de son manque d’expérience en tant qu’écrivain. On peut bien sûr regretter certaines maladresses, imputables aux origines sudistes de Margaret Mitchell. Celle-ci s’est en effet inspirée des récits de sa propre famille, dont les préjugés raciaux transparaissent tout au long du roman. Les personnages d’Autant en emporte le vent sont de riches planteurs convaincus de leur supériorité, qui manifestent un certain mépris vis à vis des classes inférieures et de ces rustres de Yankees. “White-trash”, esclaves noirs et paysans pauvres sont traités avec condescendance, et certains propos peuvent choquer, notamment lorsque l’auteur s’efforce de justifier le bien-fondé de l’esclavage en affirmant que les ouvriers agricoles des plantations et autres domestiques étaient généralement traités avec bienveillance par leurs maîtres, ou lorsqu’elle tente de légitimer les actes des membres du Ku Klux Klan. Tout cela est évidemment hautement contestable, mais ces quelques dérives demeurent toutefois intéressantes d’un point de vue sociologique, et sans doute très représentatives de la mentalité de l’époque. Cela ne m’a en tout cas jamais empêchée d’apprécier le livre, par ailleurs pétri de qualités.
… I’ll never be hungry again ! |
Le personnage, omniprésent, est d’autant plus réussi que celle-ci se trompe sur toute la ligne en ce qui concerne les hommes. Deux fois veuve, mère de deux enfants pour lesquels elle n’éprouve que peu d’affection, Scarlett échoue totalement dans sa vie amoureuse, et ce pendant près de mille pages. Obsédée par le terne Ashley Wilkes, dont elle s’est amourachée à l’âge de quatorze ans, elle se méprend constamment sur les curieuses sensations que lui procure la présence sarcastique du séduisant Rhett Butler, dont elle ne parvient pas à saisir les motivations. Profondément immature, Scarlett est jeune et totalement ignorante des réalités de l’amour et de la passion, ce qui lui vaut bien des déconvenues. Le roman nous invite à plonger dans son esprit délicieusement tortueux, et à suivre sa lente et douloureuse évolution vers une lucidité chèrement acquise.
Les autres personnages sont tout aussi intéressants. J’aime beaucoup Mélanie, bien moins naïve que ses premières interventions ne pourraient le laisser croire (il faut dire que celle-ci est constamment vue à travers le regard condescendant et malveillant de Scarlett, qui ne cesse de la critiquer). Le contraste avec Scarlett est saisissant, mais les deux jeunes femmes que tout oppose traversent ensemble des épreuves qui finiront par les rapprocher. Leur relation constitue l’un des points forts du roman. Je n’ai jamais été fan d’Ashley Wilkes, mais force est de reconnaître qu’il s’agit d’un personnage éclairé et lucide, qui n’hésite pas à remettre les choses en perspective, apportant ainsi un point de vue contradictoire et raisonnable, qui tempère les propos racistes et manichéens évoqués plus haut. Il est en cela très proche de Rhett Butler, autre figure masculine marquante du roman. Ce dernier est cependant bien plus séduisant que son alter ego, et ses rapports avec Scarlett ne peuvent que passionner. Les scènes dans lesquelles il apparaît sont parmi les plus réjouissantes du roman, et je défie quiconque de résister à son insolence narquoise, néanmoins doublée d’une grande sensibilité.
Un mot de l’intrigue pour finir : celle-ci est dense et bien construite, riche en péripéties et l’on ne s’ennuie pas une seconde à la lecture de ce roman, qui ne me semble d’ailleurs pas exclusivement réservé à un public féminin (messieurs, n’hésitez pas à vous lancer !). L’atmosphère pétillante et colorée de la première partie cède peu à peu la place à une ambiance plus sombre et teintée de mélancolie, associée au souvenir d’un monde à jamais disparu, hanté par les fantômes des millions de victimes de la guerre. Le dernier quart tourne parfois au mélodrame, et les personnages connaissent leur lot de tragédies, mais les rebondissements sont parfaitement dosés par la romancière, laquelle parvient même à éviter l’écueil du happy-end larmoyant (ce dont je lui serai éternellement reconnaissante). Le triangle amoureux est quant à lui bien exploité, sans jamais tomber dans la facilité, avec juste ce qu’il faut de piquant et de tension sexuelle ; le désir physique et l’amour charnel sont évoqués de façon très subtile, malgré l’absence de scène à caractère érotique. Du grand art !
P.P.S. La suite (Scarlett, par Alexandra Ripley) est médiocre et sans intérêt. Je l’ai lue juste après sa sortie, et je n’ai pas été convaincue.
P.P.P.S. Je n’ai jamais compris pourquoi Autant en emporte le vent avait été édité en trois tomes chez Folio… Quelle drôle d’idée !
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Nouvelle participation au Mois américain, organisé par Titine, du blog Plaisirs à cultiver.
pas lu j'avoue… mais j'ai adoré le film, classique inoubliable !! bisous :))
Un bon gros pavé des familles, qui se lit avec bonheur ! Bisous.
Lu, bien sûr (et aussi en vO) vu le film, bien sûr, mais comme souvent le film a coupé des scènes… Un gros gros incontournable de tout lecteur.(faut pas pleu'er, Mâme Sca'lett)
Fiddle dee dee !
Le mien est en meilleur état. Il faut dire qu'il est en 2 tomes, plus facile à tenir
Je n'ai pas du tout aimé la suite. C'est une horreur !
Oui, c'est criminel d'écrire des romans pareils, qui dénaturent totalement les chefs d'oeuvre écrits par d'autres !
Un de mes classiques préférés 🙂 !!
Tout pareil ! ^^
Ah la la ! Ce roman ! Lu ado, conseillé par ma mère, ouvert en me demandant comment je pourrais lire un pavé pareil, pourtant dévoré en 4 jours au final. J'aime l'histoire, le contexte, les personnages (Rhett, forcément, mais Scarlett aussi, si pleine de vie et de force même quand on a envie de lui mettre une baffe à cause de ses caprices). J'ai eu l'occasion de voir la pièce de théâtre "Hollywood" qui tourne autour de l'écriture du scénario du film. Très drôle, je conseille, j'ai pris un grand plaisir à retrouver les personnages et voir le passage du livre au film.
J'ai vu le documentaire "Histoire d'une légende", qui retrace toute l'histoire du tournage, de la préparation à la sortie. Fascinant !
Je fais partie de ceux qui ne l'ont toujours pas lu et pourtant il est dans ma bibliothèque ! Honte sur moi ! En tout cas, j'adore le film et notamment la prestation fabuleuse de Vivien Leigh, je pense qu'elle est insurpassable.
Mais qu'attends-tu pour le lire ??
Tu te caches ? Tu as honte ? 😉
Je suis timide… 😉
Moi je sais, pour les 3 tomes chez Folio !!! C'est grâce à eux que je peux relire régulièrement Autant en emporte le vent sans avoir besoin de réparer mon exemplaire lol … Cela dit, le dernier tome garde encore la trace des larmes de crocodiles que j'ai versé lors de ma première lecture, vers 15 ans …
Ah oui, je me disais bien qu'il devait y avoir une raison ! ^^
Il faudrait que je me lance, un jour! D'autant que je n'ai pas revu le film depuis un moment, donc il ne parasitera pas ma lecture…
Mais oui, lis-le !
Si c'est un coup de coeur absolu, je le note…
C'est surtout un (beau) classique, dense et passionnant. On peut émettre quelques réserves, mais il me paraît difficile de ne pas être emporté par la flamme qui anime ce superbe roman.
J'avoue, je fais partie des sceptiques qui n'ont pourtant pas lu le livre… Il faut dire que le film m'a ennuyée incroyablement et, pour le coup, j'ai eu du mal à y voir autre chose qu'une bluette niaise – associé au fait que le personnage de Scarlett me donnait des envies de meurtre. Du coup, ça m'a un peu bloquée pour le bouquin…
Je comprends tes réserves, mais je t'assure que le roman est tout sauf niais. Allez Lili, laisse-toi tenter ! 😉
J'ai honte… je ne l'ai jamais lu (ou plutôt pas encore !)
Il n'y a pas de quoi avoir honte, mais il faut absolument réparer cette anomalie !
J'adore la passion dans ton très complet billet ! Je l'ai lu il y a longtemps , et cela avait été une très bonne surprise , je m'attendais à un truc niaiseux, et j'avais adoré , autant et même plus que le film . Quel bonheur d'entendre parler d'un bon vieux bouquin comme ça !
Cela m'a fait du bien d'écrire ce billet ! J'avais envie d'évoquer une "valeur sûre", qui a sans nul doute contribué à forger mes goûts et mes envies de lectrice.
"lu une dizaine de fois", "coup de coeur absolu"… tu sais motiver à le sortir de la Pile à Lire dis donc!
Il faut vraiment que je lise ce bouquin!!
J'espère être autant conquise que toi!
Je ne vois pas comment tu pourrais ne pas l'être !! Bonne lecture. 😉
Je n'ai aucun recul, ni sur ce livre (en deux tomes abimés, comme quoi), ni sur le film, "Scarlett for ever" … Pas du tout envie de lire la suite. On ne touche pas à la fin, juste sublime ! Ni à Scarlett, ni à Ruth, ni à l'incendie d’Atlanta, ni surtout pas, à la robe taillée dans les rideaux du salon … Mes rêves d'ado …
Je vois que nous sommes d'accord !