eBook, Gallimard, 2008, 361 pages
Les premières phrases :
Ferme de Barnhill, île de Jura, Ecosse
janvier 1949
C’était une journée d’avril froide et claire.
La première phrase de son roman… Seigneur ! Tout à coup il la détestait ! Trop molle, trop mièvre, trop convenue. Pourquoi pas carrément : Par une belle journée d’avril… tant qu’on y était ?
L’histoire (résumé de l’éditeur) :
Qui sont vraiment les maîtres du manoir de Glenmarkie, cette bâtisse écossaise menaçant ruine, tout droit échappée d’un roman de Stevenson ? Et où est donc passé le trésor de leur ancêtre Thomas Lockhart, un écrivain extravagant mort de rire en 1660 ? Fascinée par le génie de Lockhart, intriguée par l’obscur manège de ses descendants, la jeune Mary Guthrie explore les entrailles du manoir et tâche d’ouvrir les trente-deux tiroirs d’un prodigieux meuble à secrets.
Ebezener Krook est lui aussi lié aux Lockhart. À Edimbourg, dans la librairie d’un vieil excentrique, il poursuit à l’intérieur de chaque livre l’image de son père disparu.
Les tiroirs cèdent un à un sous les doigts de Mary. Les pages tournent inlassablement entre ceux d’Ebenezer. Mais où est la vérité ? Dans la crypte des Lockhart ? Au fond de Corryvreckan, ce tourbillon gigantesque où Krook a failli périr un jour? Ou dans les livres?
L’opinion de Miss Léo :
Comment résumer de façon intelligible un tel roman sans en déflorer la substantifique moelle ? Voici l’épineuse question à laquelle se retrouve confrontée la malheureuse et innocente blogueuse qui, après avoir joyeusement englouti plus de trois-cent-cinquante pages foisonnantes et débordante de malice, se morfond à la seule idée de devoir maintenant rédiger un billet à la hauteur.
Roman à tiroirs et à deux voix sur le pouvoir de la lecture, brillant exercice de style aux influences ouvertement victoriennes, fantaisie à l’humour ravageur empruntant parfois aux codes du roman gothique : Les maîtres de Glenmarkie brouille constamment les cartes, et nous entraîne dans un formidable jeu de pistes littéraire, qui se révèle bien vite profondément addictif. Nous découvrons en alternance les récits de deux personnages très différents, dont les aventures respectives permettent à l’auteur de déployer les fils d’une intrigue aux multiples ramifications, quoique par ailleurs très cohérente. Ebenezer Krook (mouhahahaaaa !), prêtre catholique défroqué, finit au pub après sa nuit de débauche avec Mary Guthrie, fille du bedeau, future étudiante en lettres et romancière en devenir. Cette dernière se lance avec passion sur les traces de Laird Thomas Lockhart, fantasque écrivain méconnu du XVIIème siècle. Elle parvient à se faire engager comme secrétaire au manoir de Glenmarkie, où vivent encore les derniers rejetons de la famille Lockhart. Bien étrange famille en vérité, dont les représentants masculins ont la fâcheuse habitude de mourir… de rire ! Ebenezer s’installe quant à lui à Edimbourg, et trouve un emploi dans la fascinante librairie d’Arthur Walpole, lequel ne vend que des romans de plus de cinquante ans (sic). Ebenezer n’aime pas lire (il n’en voit d’ailleurs pas l’intérêt), aussi découvre-t-il un monde totalement inconnu, quelque peu angoissant aux entournures.
“Ils étaient là, autour de moi. Des milliers. Pareils à des fauves de cirque jaugeant le nouveau dompteur. Feignant de vaquer à leurs occupations, mais attentifs aux moindres de mes faits et gestes. A mon approche, Scott et Stevenson interrompirent leur conciliabule, qui recommença dès que j’eus le dos tourné. La Guerre des Gaules se rétracta vers le fond de l’étagère, dans une attitude plus menaçante que respectueuse. Les petits Nelson se hissaient sur le Wordsworth pour mieux voir à quoi je ressemblais. J’en saisis un au hasard – Les Tours de Barchester – mais il ne daigna s’ouvrir qu’en trois endroits, les pages blanches qui délimitaient les parties du livre. Les autres pages semblaient collées ensemble, non par la graisse ou ‘humidité, mais par une hostilité délibérée à mon égard. Je voulus feuilleter Le Vicaire de Wakefield, mais la finesse du papier me donnait l’impression d’avoir d’énormes saucisses à la place des doigts. Quant au premier volume de l’édition Arden de Shakespeare, pareil à un soldat rétif, il refusa tout bonnement de sortir du rang et demeura soudé à ses congénères. Je me mis à transpirer abondamment ; et je restai debout, pétrifié, comme un singe dans un prétoire.”
L’amour des livres transpire par tous les pores de ce roman truffé de clins d’oeil, qui rend ouvertement hommage aux grands noms de la littérature anglo-saxonne, que ce soit à travers les patronymes des personnages, ou par le biais de références et de citations. Dickens est à l’honneur, mais aussi Jack London (un exemplaire de Martin Eden se transmet de père en fils), ou encore le grand William S., dans l’oeuvre duquel l’un des amis d’Ebenezer se réjouit de pouvoir trouver une citation pour toutes les occasions. L’influence victorienne se fait sentir jusque dans les titres (à rallonge) des chapitres, qui apportent un charme désuet : Chapitre 1 – Dans lequel on fait connaissance avec Mary Guthrie, et avec le petit peuple de l’île d’Islay. Jean-Pierre Ohl aborde de façon plus générale l’impact du livre sur nos vies : stimulation de l’imagination, influence de nos lectures sur ce que nous sommes, relation fusionnelle avec un (ou plusieurs) livres fétiches… Les personnages des Maîtres de Glenmarkie sont lecteurs, libraires, universitaires ou écrivains, ce qui ne pouvait pas manquer de me séduire !
L’amour des livres transpire par tous les pores de ce roman truffé de clins d’oeil, qui rend ouvertement hommage aux grands noms de la littérature anglo-saxonne, que ce soit à travers les patronymes des personnages, ou par le biais de références et de citations. Dickens est à l’honneur, mais aussi Jack London (un exemplaire de Martin Eden se transmet de père en fils), ou encore le grand William S., dans l’oeuvre duquel l’un des amis d’Ebenezer se réjouit de pouvoir trouver une citation pour toutes les occasions. L’influence victorienne se fait sentir jusque dans les titres (à rallonge) des chapitres, qui apportent un charme désuet : Chapitre 1 – Dans lequel on fait connaissance avec Mary Guthrie, et avec le petit peuple de l’île d’Islay. Jean-Pierre Ohl aborde de façon plus générale l’impact du livre sur nos vies : stimulation de l’imagination, influence de nos lectures sur ce que nous sommes, relation fusionnelle avec un (ou plusieurs) livres fétiches… Les personnages des Maîtres de Glenmarkie sont lecteurs, libraires, universitaires ou écrivains, ce qui ne pouvait pas manquer de me séduire !
Difficile de ne pas être conquis par tant d’érudition, mais l’élément qui m’a vraiment fait craquer est sans nul doute la petite touche cinéphile que Jean-Pierre Ohl insuffle à chacun de ses écrits (c’est également le cas dans Redrum, son dernier roman, dont je vous parlerai très prochainement). Je suis particulièrement sensible au cinéma américain de l’Age d’Or, et je suis ravie de constater que le romancier et moi partageons les mêmes références en la matière. Connaissez-vous beaucoup d’auteurs capables de citer sans les nommer et en un seul paragraphe Preminger, Hawks, Lubitsch, Capra, Eisenstein, Hitchcock, Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Jennifer Jones, Katharine Hepburn, James Stewart, j’en passe et des meilleurs ? Tout cela est évidemment très codifié, et suppose une certaine culture de la part du lecteur (certaines références m’ont sûrement échappé), mais quel plaisir, et quelle jubilation ! J’ai éprouvé pendant toute ma lecture la très agréable sensation d’évoluer dans un univers confortable et familier, proche de mes obsessions préoccupations quotidiennes. Tiens, j’ai bien envie de vous offrir ce superbe cliché de Laura Hunt ressuscitée, personnage éminemment énigmatique dont le lumineux minois alimente les fantasmes des étranges jumeaux Lockhart (ainsi que ceux de Jean-Pierre Ohl, qui ne semble pas non plus insensible aux charmes de notre amie Gene Tierney).
20th Century Fox, 1944 |
Les maîtres de Glenmarkie ne se limite fort heureusement pas à des considérations anecdotiques sur le septième art et la littérature. Le plaisir est en effet décuplé par une intrigue dense et bien menée, dont les principaux événements se déroulent au milieu des années cinquante, entre les Hébrides intérieures, Edimbourg, Stonehaven et les Highlands (Glenmarkie se trouve au nord d’Inverness). L’atmosphère écossaise est d’ailleurs pour beaucoup dans la réussite du roman ! Et pour le reste ? Un vieux manoir dissimulant une crypte et quelques passages secrets… Un trésor disparu… La sirène d’un ferry… Un match de rugby opposant la France et le Quinze du Chardon… Un secrétaire au mécanisme machiavélique, dont chacun des trente-deux tiroirs ne peut être débloqué que par une seule et unique combinaison… Un soupçon de guerre d’Espagne… Jean-Pierre Ohl marie à merveille ces ingrédients disparates, pour un résultat parfaitement homogène, et en tout point savoureux. Mary Gunthrie mène l’enquête, et se retrouve au coeur d’un éprouvant jeu de miroirs et de faux-semblants, dans lequel les apparences se révèlent parfois bien trompeuses. Le passé ressurgit sous ferme de lettres ou de témoignages, les pièces du puzzle s’assemblant progressivement.
Les maîtres de Glenmarkie regorge de belles trouvailles et de personnages cocasses. La tante Catriona et le très honorable Sir Alexander “aux neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf conquêtes” valent à eux seuls le déplacement. Que dire des jumeaux Bruce et Wallace, lancés corps et âme dans la rédaction d’une improbable encyclopédie du cinéma, et dont le comportement laisse entrevoir quelques signes de folie manifeste, ou encore du sinistre Sir James, obsédé par les dictionnaires, lequel affuble son personnel de sobriquets rappelant le monde du golf, au grand désespoir de “Mr Par” et “Miss Birdy” ? L’univers créé par Jean-Pierre Ohl (libraire de son état) se révèle souvent absurde et totalement déjanté, et le récit ne manque pas d’humour, bien servi en cela par une plume fluide et particulièrement incisive. Le romancier manie la langue française à merveille, et établit dès la première page une véritable connivence avec son lecteur, auquel sont adressés moult clins d’oeil.
Pour résumer : j’ai adoré ! Je publierai très prochainement mon billet sur Redrum, du même auteur, dont je dois également lire la biographie de Dickens (perdue au coeur de ma tristement célèbre pile-à-lire).
Brillant et profondément addictif.
Coup de coeur. A lire de toute urgence !!!
Coup de coeur. A lire de toute urgence !!!
Message personnel subliminal à l’intention des éditions Gallimard : à quand une sortie poche ??
Tu m'as eue à la mention des références à l'âge d'or hollywoodien… Je note 😀
Mais quoi, il en a sorti un autre (redrum?) on ne me dit pas tout! J'ai adoré ce roman, et son premier aussi, ah Dickens…
J'avais beaucoup aimé également cette lecture, bien évidémment ce roman était fait pour moi !
J'ai déjà lu beaucoup de bien sur ce roman mais ton avis enthousiaste achève de me convaincre. Cela dit (et en espérant que Gallimard entende ton message subliminal), je vais probablement attendre la sortie en poche !
Adoré aussi, pour toutes les belles raisons que tu as évoquées !
J''espère que JP Ohl sortira un autre roman bientôt, quel talent !
OK, tu m'as bien donné envie, je le note!
Pareil que Féli, je note !
ça a l'air foisonnant. Après l'ambiance victorienne-gothique ne m'attire que moyennement mais tu en dis tellement de bien !
Je le veux absolument , j'avais lu une première fois le billet sur FB et là je me le suis relue bien attentivement. Je le rajoute à la liste de Noël, en espérant qu'il soit disponible….(il n'est qu'en broché?)
Je meurs d'envie de le lire !