Le liseur – Bernard Schlink

Titre original : Der Vorleser
Traduction (allemand) : Bernard Lortholary
Folio, Editions Gallimard, 1995, 243 pages

 

La première phrase :
A quinze ans, j’ai eu la jaunisse.

 

L’histoire :
Michael Berg a quinze ans quand il rencontre Hanna Schmitz, de vingt ans son aînée. Entre la contrôleuse de tram lunatique aux réactions parfois bien étranges et le lycéen candide débute alors une liaison atypique. Les deux amants se rejoignent quotidiennement pour de torrides ébats, généralement précédés ou suivis de longues séances de lecture à voix haute, auxquelles Hanna semble prendre un plaisir tout particulier. La parenthèse enchantée prend fin le jour où Hanna disparaît sans laisser de trace. Michael ne la reverra que bien des années plus tard, alors que, devenu étudiant en droit, il assiste aux procès de cinq criminelles de guerre nazies…

 

L’opinion de Miss Léo :
 
Ah là là, encore un roman sur l’Allemagne et la deuxième guerre mondiale… Je suis décidément incorrigible ! A ma décharge, celui-ci me tentait depuis trèèès longtemps, et c’est finalement Shelbylee qui me l’a offert lors de notre swap “Littérature et cinéma”. Je n’avais pas vu le film avant de lire le livre ; c’est donc d’un oeil totalement neutre que j’ai abordé ce qui constitue probablement l’oeuvre la plus célèbre du romancier allemand Bernard Schlink, oeuvre sur laquelle j’avais d’ailleurs lu des avis très contrastés.J’ai pour ma part trouvé ce roman plutôt convaincant. La première partie relate avec pudeur la très sensuelle histoire d’amour unissant le jeune Michael, encore adolescent, à la mystérieuse Hanna, femme mûre et ô combien séduisante, dont les attitudes ambiguës et le comportement imprévisible se révèlent cependant bien difficiles à déchiffrer. Au fil des pages nous est dévoilée par petites touches une relation étrange et quelque peu dérangeante, sur laquelle le narrateur, devenu adulte, porte toutefois un regard empreint de tendresse et de nostalgie. Ce qui pourrait s’apparenter au récit platement banal d’un amour de jeunesse prend cependant une dimension autrement poignante et dramatique lorsque Michael, désormais étudiant en droit, retrouve son amante d’autrefois sur le banc des accusés.
 
La deuxième partie est ainsi consacrée à la révélation de l’odieux passé d’Hanna, ancienne gardienne d’Auschwitz, responsable (entre autres) de la mort d’une centaine de femmes lors de l’évacuation du camp. Jugée en tant que criminelle de guerre, elle doit répondre publiquement des actes dont on l’accuse, sous les yeux d’un Michael atterré. Difficile de ne pas déraper sur un tel sujet ! Je redoutais que le roman ne sombre dans le pathos, ou que l’auteur n’en soit réduit, sinon à excuser, du moins à minimiser l’inacceptable. Verdict : il n’en est rien ! Bernard Schlink évite fort heureusement tous ces écueils, et sa réflexion n’en est que plus passionnante. Le liseur demeure parfaitement clair de ce point de vue, et ne cherche en aucun cas à banaliser la monstruosité des exactions et autres massacres commis dans les camps par les Nazis en général, et par Hanna en particulier. L’auteur pose en revanche la question de la responsabilité individuelle, au sens pénal du terme : qui juger, et selon quels critères ? Comment évaluer les crimes perpétrés par les “fonctionnaires” du régime hitlérien, rouages d’un système lui-même totalement annihilant, qui endoctrine et séduit ses fidèles à coup de messages de haine, martelés par le biais d’une habile propagande, orchestrée pendant plus de dix ans par Goebbels and co ?Hanna est elle-même un personnage ambigu, devenu bourreau par la force des choses, mais qui semble cependant tellement vulnérable et inapte à assurer sa défense que l’on en viendrait presque à la plaindre (sans pour autant l’excuser ou ressentir de l’empathie à son égard). Elle est coupable, certes, mais son sort n’en est pas enviable pour autant ! Ce sentiment est renforcé par la révélation de “l’autre” secret d’Hanna, qui dissimule une tare à ses yeux encore plus inavouable que son passé SS (je n’en dis pas plus, car c’est là ce qui fait tout le sel du roman). On mesure alors mieux le drame intime vécu par cette femme, tandis que cela éclaire également certains aspects de sa relation avec Michael.
 
Ce dernier représente bien évidemment l’élément central du roman, dont il est également le narrateur. On s’attache sans difficulté à ce personnage sympathique, très mûr malgré sa jeunesse et son inexpérience, qui restera longtemps hanté par le souvenir de son amour pour Hanna, malmené par la découverte de ce passé criminel qu’il ne peut cautionner. On comprend qu’il soit fortement déboussolé par la tournure des événements, qui remettent en cause la relation sur laquelle s’est bâtie sa personnalité, et le poussent à s’interroger sur le trouble passé de son pays. Ce traumatisme originel le poursuivra tout au long de sa vie d’adulte, et ce n’est qu’à la toute fin du roman, à l’aube de la cinquantaine, que Michael arrivera au terme de ce douloureux parcours initiatique.
 
Le questionnement du héros renvoie à celui de tout un peuple. On mesure mal la détresse que durent ressentir une très grande majorité d’allemands dans les décennies qui suivirent la guerre, plus particulièrement celle de la génération suivante, née dans les ruines encore fumantes d’un Troisième Reich vacillant. Si tous ont subi la violence des combats et de la défaite, beaucoup ont également fermé les yeux sur les dérives de la politique hitlérienne, acceptant passivement l’inacceptable. Le poids de cette culpabilité survivra à la reddition, et les parents seront jugés par leurs propres enfants, confrontés au terrible héritage légué par le régime nazi. Du passé, faisons on ne peut pas faire table rase, et l’on imagine sans peine la crise identitaire à laquelle se retrouvèrent confrontés nombre de baby-boomers allemands. C’est en tout cas un sujet qui me fascine au plus haut point !
 
Vous l’aurez compris, j’ai trouvé dans Le liseur matière à stimuler mon intérêt et ma réflexion. J’en garde d’ailleurs un souvenir très vivace, alors que je l’ai lu il y a plus d’un mois (cela en dit long) ! J’ai apprécié le style, dont la remarquable sobriété se révèle parfaitement adaptée au thème de ce récit très fort, teinté d’émotion et de nostalgie, qui soulève de nombreuses questions d’ordre éthique et philosophique. Signalons pour finir que l’auteur accorde une place importante à la lecture, comme l’indique le titre du roman. On aurait tort de négliger l’impact des mots et de la littérature, qui offrent une porte ouverte sur un monde où tout devient possible.
 
Une dernière remarque pour finir. J’ai visionné l’adaptation quelques jours après avoir terminé le roman, et j’ai trouvé le film assez quelconque, la mise en scène très académique affadissant considérablement le propos de Bernard Schlink. Les acteurs sont néanmoins excellents. Kate Winslet est parfaite (comme toujours), et j’ai été bluffée par le jeune acteur qui joue Michael adolescent, impressionnant de maîtrise dans un rôle pourtant difficile. Ralph Fiennes est en revanche un peu terne, mais cela correspond plutôt bien au Michael un peu largué, dépressif et vieillissant tel qu’on le découvre dans le livre. Bref, une adaptation pas géniale, mais qui se laisse regarder.Shelbylee, merci de m’avoir offert ce très bon roman. Je suis comblée !
 
 
Un roman à lire, pour les interrogations qu’il suscite.
 

14 thoughts on “Le liseur – Bernard Schlink

  1. Je garde un excellent souvenir de cette lecture, qui fait encore écho dans mon souvenir. Je n'ai pas encore vu l'adaptation cinématographique.

  2. J'avais vu l'adaptation et j'avais beaucoup apprécié le jeu des deux acteurs. J'ai le livre dans ma PAL et un jour viendra où il en sortira !!! Au moins je sais maintenant qu'il est bien meilleur que le film.

    1. Ah là là, tous ces livres qui ne demandent qu'à sortir de la PAL ! Celui-ci est assez vite lu, et si tu as aimé le film, tu devrais apprécier le roman. Enfin, je dis ça, je dis rien.

  3. Je garde un bon souvenir du film et ton enthousiasme pour le roman me donne très envie de le lire ! D'autant plus que je ne me rappelle plus du grand secret d'Hannah …

    1. Le secret d'Hanna te reviendra vite en lisant le livre, que je ne peux d'ailleurs que t'inciter à découvrir très rapidement (si tu as aimé le film, tu ne seras pas déçue).

  4. Je n'ai pas lu le livre mais j'ai vu le film, qui est superbe. Kate Winslet joue terriblement bien et c'est vrai que son secret (pas son passé de SS ;)) éclaire bien des choses 🙂 belle journée!

  5. Je suis très contente qu'il t'ait plu ! Je commence à me poser des questions sur le fait de voir l'adaptation après avoir lu le livre. Je n'ai pas lu ce livre, mais j'ai vraiment un souvenir énorme de l'adaptation qui est pour moi un des meilleurs films de l'année 200X (j'ai oublié). Mais sans doute que si j'avais lu le livre avant ce ne sera pas le cas. Parce qu'évidemment le livre est mieux que le film. Donc j'hésite à inverser ma politique et à commencer par voir les adaptations. Mais alors je connaîtrais l'histoire avant de lire le livre ce que je n'aime pas. Bref,un choix cornélien ^^ En tout cas, je lirai Le liseur un jour et je suis bien contente de te l'avoir offert !

    1. J'ai les mêmes hésitations que toi… Par exemple, je regrette de ne pas avoir lu Game of Thrones avant de voir la série, mais aurais-je autant apprécié l'adaptation si j'avais déjà connu toute l'histoire ?
      En tout cas, merci beaucoup pour ce joli cadeau.

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