&H, Harlequin, 2015, 279 pages
La première phrase :
Le pot de moutarde suédoise, souvenir d’une très lointaine visite chez IKEA, regardait fixement Emilie du fond de l’étagère.
L’histoire :
Paris, 2013. Emilie, professeur de français tête en l’air et constamment débordée, vit avec sa fille de neuf ans chez son amie Clara, libraire. Elle désespère de retrouver un jour une vie sexuelle et sentimentale digne de ce nom, et se console à coup de mojitos et de sorties entre copines, entre deux relectures de Nord et Sud et quelques paquets de copies déprimants. Emilie a depuis longtemps renoncé à l’utopie de l’homme idéal, ce qui ne l’empêche pas de se sentir irrémédiablement troublée par sa rencontre avec le séduisant Samuel Winterfeld, sosie de Bradley Cooper et client régulier de la librairie de Clara.
L’opinion de Miss Léo :
Non, vous ne rêvez pas : je suis bel et bien en train de chroniquer un roman Harlequin ! Rien de honteux à se faire plaisir de temps en temps, me direz-vous. Certes. Sauf que je n’aime ni la romance, ni la chick-lit, et que les romans sentimentalo-niaiseux fleur bleue à la sauce girly ont le don de me faire lever les yeux au ciel. Seul le premier tome de Bridget Jones’s Diary a trouvé grâce à mes yeux (et encore, je ne suis pas très fan de Bridget, à laquelle je ne me suis jamais attachée). Je tiens néanmoins à rassurer mes fidèles lecteurs : je ne suis pas malade, je demeure (a priori) parfaitement saine d’esprit, et je n’ai pas non plus été kidnappée par quelque fan de littérature sentimentale, qui aurait pris ma place aux commandes de ce blog pour en modifier le contenu (RIP Annie Wilkes).
Bref, j’ai donc lu cette semaine mon tout premier Harlequin, non sans quelque appréhension, je dois bien l’avouer. J’étais tout de même relativement optimiste, n’ayant (vous vous en doutez) pas choisi ce titre au hasard ! L’homme idéal (en mieux) a en effet été écrit par une ancienne blogueuse, elle-même prof de lettres. Je n’ai jamais suivi son blog, mais je la sais très proche de blogueuses que je lis régulièrement, et j’avais vu passer de nombreux avis enthousiastes sur son roman, disponible en numérique depuis un an, et désormais édité en version papier. Vous connaissez la suite : je l’ai trouvé l’autre jour à Monoprix (voilà que je me mets à acheter des livres en supermarché : tout fout le camp), j’ai été attirée par le joli rose de la couverture, et hop, dans mon sac !
Aussitôt acheté, aussitôt lu (ma PAL me dit merci).
Verdict : les premiers chapitres sont excellents ! La plume fluide et malicieuse de l’auteur m’a plu dès la première page. J’ai souri à plusieurs reprises, et, plus étonnant encore me concernant, je me suis tout de suite identifiée à l’héroïne, trente-cinq ans, prof de français de son état, noyée sous ses copies et totalement incompétente en matière de tâches ménagères. Emilie est une jeune femme attachante ET intelligente, à mille lieues de toutes ces gourdasses qui peuplent habituellement les romans pour dindes filles, et travaillent généralement dans (au choix, rayez les mentions inutiles) la mode, la finance, les médias, l’hôtellerie ou la pâtisserie (ras-le-bol des cup-cakes et autres gourmandises !). La normalité du personnage principal est à mon sens l’un des principaux atouts de ce roman, de ce point de vue bien supérieur à tout ce que j’ai pu lire par ailleurs (je ne me suis toujours pas remise de l’état d’esprit nauséabond de la Becky de Sophie Kinsella, laquelle a à mon sens publié beaucoup de navets) (quand je vous disais que j’avais quelques problèmes avec la chick-lit).
L’homme idéal (en mieux) a de toute évidence été écrit par une grande lectrice cinéphile, ouverte à tous les genres et toutes les cultures. Le texte fourmille de références qui me parlent, ce qui explique en grande partie le plaisir ressenti durant ma lecture. Emilie est fan de Gaskell, Austen et Dickens, a vu cinquante fois Love Actually, cite Friends et Star Wars, et range ses (nombreux) livres par classement autobiographique. Elle procrastine (ô, maudites copies !) en perdant passant son temps à glousser discuter sur Facebook avec ses copines, et porte toujours les mêmes tenues (jeans-blouse-gilet), sans se préoccuper plus que cela de sa catastrophique chevelure indisciplinée.
“Elle se dirigea d’un pas mal assuré vers la salle de bains. Là, un rapide coup d’oeil au miroir lui apprit que le manque de sommeil passé trente-cinq ans faisait plus de ravages que la petite vérole dans un bordel. […] Ce n’était pas non plus comme si Ryan Gosling l’attendait dans la cuisine, se rassura-t-elle en séchant rapidement ce qui lui tenait lieu de chevelure.
– Maman, tu ressembles à une gorgone électrocutée, fit remarquer Elizabeth, qui relisait le tome 5 de Percy Jackson pour la douzième fois, assise à la table de la cuisine.
Définitivement pas Ryan Gosling.
– Si tu es sarcastique avec ta vieille mère, je ne te ferai pas de chocolat, répondit Emilie en ouvrant le frigo, qui ne s’était hélas pas miraculeusement rempli pendant la nuit.” (page 20)
J’ai été agréablement surprise par l’intrigue, davantage centrée sur la vie quotidienne d’Emilie, plutôt que sur sa romance naissante avec Samuel Winterfeld, le beau gosse de l’histoire (lui-même relativement normal et intelligent). L’histoire d’amour n’est pas l’élément principal, du moins jusqu’à la première scène de sexe, que j’ai trouvée très bien écrite (émoustillante et réaliste, sans pour autant tomber dans la vulgarité). Angela Morelli prend le temps de donner vie à ses personnages, en s’attardant notamment sur les relations que son héroïne entretient avec sa fille Elizabeth (prénommée ainsi en hommage à notre chère Lizzie Bennet), sa colocataire Clara (qui évolue aussi dans le milieu des livres, puisque propriétaire d’une librairie), ses collègues de travail (j’ai adoré les brèves incursions d’Emilie en salle des profs), et ses amies Louise et Maria, partenaires consentantes de débauche alcoolisée. Ajoutez à cela une écriture sensible et pleine de fantaisie, ponctuée des délicieux jurons d’Emilie (Jarnidieu !), et vous obtiendrez un cocktail tout à fait réjouissant, auquel je ne pouvais que succomber.
Dont acte. Je ne vais cependant pas vous mentir : j’ai tout de même été gênée par certains aspects du roman, le problème principal étant que la chick-lit n’est définitivement pas ma came (oui, je suis difficile, et alors ?). Premier constat : je ne suis pas très attirée par le personnage masculin, que je trouve ennuyeux au possible. Bon, OK, il est intelligent, traduit Dickens et Gaskell, fréquente assidûment sa librairie de quartier, ne s’est jamais complètement remis du décès accidentel de sa femme, respecte les femmes, baise comme un dieu, et se révèle plutôt attentionné. Un individu somme toute hautement recommandable, mais qui ne m’intéresse pas en tant que personnage de roman. J’ai également du mal avec le concept de bogossitude, et les mecs à barbe ne me font pas fantasmer outre mesure (sérieusement, qu’est-ce qu’ils-ont tous, à vouloir exhiber ainsi leur pilosité mentonnière ??). Emilie est un personnage “normal”, mais on ne peut pas en dire autant des mecs qu’elle fréquente : Samuel est ainsi un traducteur renommé (mis à l’honneur dans Le Magazine Littéraire), et je ne vous parle même pas de son ex Diego, célèbre journaliste sportif. Il me semble que les “mâles” sont ici davantage perçus comme des fantasmes ou des archétypes, là où les filles incarnent au contraire une réalité quotidienne, à laquelle toute lectrice normalement constituée pourra s’identifier.
Il est également à noter que l’on n’échappe pas à quelques clichés du genre (ce qui est après tout bien normal, Angela Morelli ne faisant que respecter le cahier des charges propre à ce type de romans). Les dialogues sonnent parfois un peu faux, la mère d’Emilie est trop caricaturale pour être convaincante (elle m’a rappelé la mère de Monica Geller dans Friends, en beaucoup moins drôle), et l’auteur semble avoir du mal à se départir d’un certain parisianisme, comme en témoigne le mépris affiché par Emilie vis à vis de la banlieue dont elle est issue. Cela demeure toutefois anecdotique, et ne remet en rien en cause mon attachement à l’ensemble du roman.
Je ne suis pas fan des scènes de rencontre entre copines, façon Sex and the City (je tiens d’ailleurs à préciser que, si j’aime beaucoup la série, je n’ai en revanche jamais réussi à m’identifier à aucune des quatre héroïnes, que j’ai même trouvées franchement insupportables dans l’adaptation ciné). Je ne me reconnais pas dans leur obsession pour les fringues, les magazines féminins, la manucure, sans oublier la taille du sexe (wtf ??) de leurs mecs rencontrés sur internet. D’accord, cela m’amuse de les voir donner des noms à leurs sex-toys, mais le personnage de Louise est bien trop girly pour moi, et je n’ai pas aimé ses interventions (OK, vous pouvez le dire, je suis une fille sinistre).
Dernier bémol : l’intrigue perd un peu de son intérêt dans le dernier tiers, lorsque la romance prend le dessus sur la description du quotidien. Les rebondissements sont peu crédibles, et j’ai été déçue par la fin de l’histoire, que j’ai trouvée trop terne, après des débuts pétillants. Dommage ! Ce que j’ai préféré dans le roman, ce sont les tranches de vie, qui tendent malheureusement à disparaître dans la dernière partie : Emilie et sa fille, Emilie ne fait pas les courses, Emilie squatte la machine à café, Emilie déprime devant la photocopieuse en panne, Emilie range les livres dans la librairie de Clara, Emilie se prépare pour son premier rendez-vous avec Samuel…
Mais oui minette, toi aussi, tu finiras par trouver ton matou idéal ! |
Je ne vais pas cracher dans la soupe pour autant. L’homme idéal (en mieux) demeure malgré tout une lecture hautement recommandable et sans prise de tête, qui vous permettra d’occuper agréablement quelques heures de votre temps libre. Angela Morelli signe un roman attachant et sans prétention, à n’en pas douter bien meilleur que la plupart des romances chick-litiennes. Le style dynamique et réaliste fait mouche, et les nombreux clins d’oeil créent une proximité immédiate.
Je vous laisse sur cette savoureuse et hilarante réplique :
“C’est pas vrai, se dit-elle en se laissant tomber sur le bord de la baignoire, j’ai vraiment dû faire un truc super moche dans une vie antérieure pour mériter ça. Genre manger des bébés pandas.”
Un roman de chick-lit drôle et intelligent. Pas mon genre de prédilection, mais j’ai tout de même passé un excellent moment !
——————————————
Comme de fait exprès, je publie ce billet le jour de la Saint-Valentin, une fête que j’exècre pourtant (mais j’avais envie de participer à ce challenge initié par notre amie Syl).
Je suis contente que tu l'aies lu et ton billet est très intéressant. Néanmoins, le parisianisme d'Emilie par exemple est une marque très claire (pour moi) d'ironie. Et moi je dois reconnaître que les scène des copines sont sans doute que j'ai le plus aimé dans ce bouquin.
Mon message n'est pas passé !
Je te disais que ton billet était bien écrit et que je comprends la difficulté à faire une telle chronique pour une lectrice qui n'aime pas ce genre de littérature.
Nous avons toutes souris, ri, passé un bon moment…
Bon week-end MissLéo !
je ne suis jamais contre la chick litt parce que j'y trouve souvent des dialogues savoureux et aussi de jolies scènes. Le Harlequin, j'ai testé ado mais c'était il y a fort fort fort longtemps. En tout cas au vu des chroniques faites sur ce roman, il a l'air de posséder de belles qualités. Je le lirai si l'occasion se présente. Bisous et bravo d'avoir tenu le défi !
Je le lirai un jour! ^_^
A part ça je lis de la chick lit, sans complexes, si on veut se détendre c'est bien. Avec cet homme idéal, tu as le haut de gamme.
oh, ca fait tellement longtemps que je n'ai pas lu un Harlequin ! Dis, pour le challenge Mélange des genres, tu veux bien me le prêter ? A bientôt ! 😉
Je suivais le blog de Fashion (Angela) depuis ses débuts. J'aimais énormément ses billets sur sa rencontre avec la littérature, son amour des classiques, etc … Vu que je suis tout comme toi absolument pas fan de chick-lit, je me suis un peu éloignée du blog et peu de temps après, il a été fermé. A mon grand regret, car je relirai bien certains de ses superbes billets.Depuis, je suis l'évolution d'Angela sur la toile … Je suis comme toi assez curieuse de le lire. Et pourtant, la chick-lit, …. beurk! Mais connaissant la culture d'Angela et son talent d'écrivain, je suis tentée. Je verrai!
Je partage ta conclusion ! De la lecture plaisir, qui ne fatigue pas le neurone 😉 !
Autant je ne suis pas allergique à la chick-lit (à consommer toutefois avec modération, comme les cupcakes ;o)) autant je me méfie à mort des Harlequins… A tort ? Si je le lis, ce sera plus pour le côté "écrit pas une blogueuse", un peu comme tu as fait.