Titre original : Conversations With Friends
Traduction (irlandais) : Laetitia Devaux
Editions de l’Olivier, 2017, 393 pages

Livre lu dans le cadre du Prix Elle 2020.

La première phrase :

Bobbi et moi avons fait la connaissance de Melissa lors d’une soirée poétique en ville où nous nous produisions ensemble.

La quatrième de couverture :

Dublin, de nos jours. Frances et Bobbi, deux anciennes amantes devenues amies intimes, se produisent dans la jeune scène artistique irlandaise comme poètes-performeuses. Un soir, lors d’une lecture, elles rencontrent Melissa, une photographe plus âgée qu’elles, mariée à Nick, un acteur. Ensemble, ils discutent, refont le monde, critiquent le capitalisme comme les personnages de Joyce pouvaient, en leur temps, critiquer la religion. Ils font des photographies, ils écrivent, ils vivent. C’est le début d’une histoire d’amitié, d’une histoire de séduction menant à un « mariage à quatre » où la confusion des sentiments fait rage : quand Frances tombe follement amoureuse de Nick et vit avec lui une liaison torride, elle menace soudainement l’équilibre global de leur amitié.

L’opinion de Miss Léo :

J’avais entendu le plus grand bien de ce premier roman, que j’ai certes lu sans déplaisir, mais dont je ressors néanmoins relativement déçue. Il y a pourtant chez Sally Rooney une perception assez fine des mécanismes qui sous-tendent les relations sociales. Cet aspect n’est malheureusement pas très bien exploité dans le livre, lequel échoue à nous proposer autre choses que des personnages caricaturaux, superficiels et platement antipathiques. Qui plus est, le roman n’a rien de moderne, contrairement à ce que laisse entendre la quatrième de couverture. Il aurait été écrit dans les années 70 que cela n’aurait rien changé (on a parfois la sensation de lire le scénario d’un mauvais film de Woody Allen, l’humour en moins)…

Moderne ??

Parce que la narratrice est bisexuelle ? Parce qu’elle est atteinte d’endométriose ? Parce que les personnages s’envoient des mails et des SMS ? Ou peut-être parce que les “conversations” geignardes des “amis” du roman se singularisent avant tout par leur insondable vacuité ?

Frances pourrait être attachante, de par ses hésitations bien compréhensibles, mais celle-ci se révèle surtout très agaçante. Sa jeunesse n’excuse pas tout. Elle passe son temps à pleurnicher, à faire de mauvais choix, et le roman n’est qu’une longue plainte autocentrée. L’histoire est racontée de son point de vue, ce qui peut biaiser le regard que l’on porte sur les autres protagonistes, lesquels ne semblent toutefois guère plus engageants. Mention spéciale à Melissa, pas crédible pour deux sous ! Les héros de Sally Rooney sont des “artistes”, qui se targuent d’avoir des discussions très profondes sur la situation géo-politique et l’économie, mais se comportent par ailleurs de façon totalement immature et irresponsable. Tous se disent progressistes et libres, mais ces bobos égocentrés sont d’un conformisme à faire peur. Frances et Bobbi parlent de communisme et de féminisme, mais ce ne sont ici que des mots dépouillés de leur substance. Bobbi, la petite fille riche en lutte contre le système ; Frances, la “communiste” qui a honte de frayer avec les bourgeois, mais ne peut malheureusement pas s’en empêcher… Ridicule !

Le roman est également décevant du point de vue de l’écriture. Les dialogues (omniprésents) sonnent faux. Je suis pourtant grande amatrice du cinéma d’Éric Rohmer, dont l’apparente simplicité s’avère toutefois bien plus profonde que ce condensé de platitudes prétentieuses. Les scènes de sexe ne servent à rien (je ne m’attendais absolument pas à ce qu’elles soient aussi niaises). Il n’y a par ailleurs aucune analyse sociétale, ni quoi que ce soit de générationnel dans Conversations entre amis, qui n’est ni plus ni moins qu’une romance insignifiante et insipide (à l’image de ses personnages).

Sally Rooney se révèle néanmoins plus pertinente lorsqu’elle sort du contexte de ces fameuses « conversations entre amis ». Ainsi, les visites de Frances à l’hôpital, qui ne présentent pourtant aucun intérêt par rapport au déroulement de l’intrigue, m’ont paradoxalement davantage intéressée que les coucheries et autres interrogations existentielles de Nick, Melissa et consorts. On atteint dans ces moments là une forme de vérité qui laisse entrevoir le talent de la romancière, et l’on ne peut que regretter qu’elle ne se soit pas davantage intéressée à l’ancrage social de son histoire. Développer l’arrière-plan pour gagner en épaisseur : cela aurait pu conduire à un tout autre roman, de bien plus grande ampleur.

Pour résumer : un roman que j’ai trouvé bien fade, et surtout très anecdotique, malgré quelques beaux passages. Pour les conversations entre amis, mieux vaut revoir l’intégrale de Friends !