Editions Autrement, 2012, 142 pages
Les premières phrases :
A l’heure dite, je suis venu chercher les clés. Je n’avais pas changé d’avis, c’était l’essentiel, mais en laissant derrière moi cette agence immobilière assoupie dans son décor de publicités champêtres, j’ai dû m’arrêter quelques instants. Vertiges.
L’histoire :
De retour d’une tournée aux Etats-Unis, François Vallier, pianiste de renom, retrouve par hasard la trace de Sophie, son ancien amour, internée depuis plusieurs années en hôpital psychiatrique. Il souhaite la revoir, et se remémore des fragments de leur vie commune.
L’opinion de Miss Léo :
J’ai déjà fait part ici même de ma méfiance envers la littérature française contemporaine. J’avais pourtant très envie de découvrir Gaëlle Josse, dont le premier roman, Les heures silencieuses, me paraissait tout à fait intéressant et séduisant (voir notamment la critique de Minou sur son blog). J’ai donc voulu l’emprunter à la bibliothèque : évidemment, il n’était pas disponible en rayon, aussi me suis-je rabattue sur le dernier opus de l’auteur, qui me semblait tout aussi prometteur.
Nos vies désaccordées est effectivement un très beau texte, à l’écriture délicate et pleine d’émotion. Gaëlle Josse ne se regarde pas écrire, comme c’est (trop) souvent le cas chez les auteurs français. Elle réussit parfaitement à transmettre la profondeur du drame vécu par ses personnages, avec une gravité teintée de légèreté et une sobriété parfaitement adaptées au sujet.
L’histoire met en scène un pianiste prodige, François Vallier, cherchant à renouer avec Sophie, son ancienne compagne. Celle-ci a sombré dans la folie, et vit en hôpital psychiatrique depuis plusieurs années. Devenue mutique, elle écoute en boucle les enregistrements de Schumann réalisés par son ancien amant, hantée par un passé douloureux dont les événements dramatiques seront peu à peu dévoilés au lecteur. Le récit, à la construction très musicale, procède par petites touches successives, qui nous ramènent aux origines d’une histoire d’amour passionnée. C’est l’heure des remises en question pour François, qui aspire à la sérénité, et accepte pour cela d’affronter les démons de son propre passé. Les retrouvailles paraissent très improbables, mais le récit est néanmoins teinté d’espoir, l’auteur faisant constamment preuve d’une grande sensibilité. La relation tragique de François et Sophie entre en résonance avec celle de Robert et Clara Schumann, autre couple maudit : Gaëlle Josse établit ainsi un parallèle qui constitue l’une des grandes forces du roman.
“Quant à moi, la musique de Schumann m’oppressait, je ne pourrais dire autrement. Elle m’était comme une route sans repères, un paysage qui se transforme et s’efface à chaque pas, un pont qui s’effondre sitôt qu’on l’a traversé. D’insoutenables silences, de soudaines dissonances, déchirantes, des répits dont on sait qu’ils précèdent les gouffres. Des explosions de joie naïve et des moments d’une poignante douceur. Je ne pénétrais qu’avec réticence dans ces espaces hantés, incertains, dangereux et sans retour possible. Je demeurais à la lisière de ces lieux dont je devinais la menace, et m’émerveillais de leur beauté. A la différence de Sophie, je voulais rester intact en y pénétrant.” (page 111)
Un très bel ouvrage, donc, auquel il manque cependant un petit quelque chose pour que je sois complètement séduite. Peut-être est-il tout simplement un peu trop court pour que l’on puisse pleinement partager la douleur de François et Sophie… L’histoire semble parfois survolée, et j’aurais aimé que l’auteur prenne davantage son temps. Le récit est également handicapé par son personnage principal : François est un individu égoïste, et finalement assez peu attachant. D’autre part, la présence de personnages secondaires sans grande épaisseur dilue l’intérêt du roman, qui aurait peut-être gagné à se consacrer uniquement à ses deux principaux protagonistes.Autre défaut selon moi : je manque peut-être de subtilité, mais je n’ai pas complètement saisi le rôle des passages en italique proposés à la fin de chaque chapitre, que j’ai parfois lus en diagonale, et dont j’ai trouvé qu’ils cassaient la dynamique du récit, par ailleurs assez décousu.
Tout cela est bien sûr purement subjectif, et je reste malgré tout sur une impression plutôt positive, en dépit de ces quelques reproches. Gaëlle Josse a du talent, et je lirai sans hésitation son premier roman à l’occasion.
Tout cela est bien sûr purement subjectif, et je reste malgré tout sur une impression plutôt positive, en dépit de ces quelques reproches. Gaëlle Josse a du talent, et je lirai sans hésitation son premier roman à l’occasion.
Un deuxième roman imparfait, qui n’en demeure pas moins une belle découverte, et me donne encore plus envie de lire Les heures silencieuses.
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Nouvelle participation au Défi Cent Pages, organisé chez La Part Manquante.
Nous avons encore un ressenti assez semblable pour cette lecture-ci : même si je préfère garder le souvenir de l'enchantement dans lequel me plongent les mots de Gaëlle Josse et même si je suis charmée par sa légèreté, cette dernière me laisse un goût de trop peu et de trop survolé. Tu risques de rencontrer le même problème avec son premier roman, malheureusement (mais la narratrice est moins antipathique).
Merci pour le lien vers mon billet, je suis contente d'avoir su te donner envie de découvrir son premier roman !
Au vu des commentaires que j'ai pu lire ici ou là, le premier semble tout de même légèrement meilleur.
J'ai très envie de lire son premier roman, le sujet de celui-ci me semble un peu trop douloureux pour avoir envie de me plonger dedans
Je comprends tes réticences. Le premier m'attirait moi aussi davantage que celui-ci !
j'ai bcp bcp aimé, j'ai même préféré celui-ci au premier.