La double vie de Vermeer – Luigi Guarnieri

Titre original : La Doppia vita di Vermeer
Traduction (italien) : Marguerite Pozzoli
Babel, Actes Sud, 2004, 228 pages

 
Les premières phrases :

A la fin du mois de mai 1945, à Amsterdam, deux officiers du Service de sécurité néerlandais se présentèrent à la porte d’une grande demeure aristocratique sur le Keizersgracht. A vrai dire, ils s’attendaient à ce que la rencontre avec le personnage irascible, excentrique et réservé qui habitait là – un peintre, également très connu comme collectionneur et apparemment très estimé des voisins – ne soit rien d’autre qu’une simple formalité, voire même une regrettable perte de temps.

 

L’histoire :
(et hop, pillons allègrement la quatrième de couverture !)
Voici l’incroyable et véridique histoire de Han Van Meegeren, peintre traditionaliste né aux Pays-Bas en 1889, qui, éreinté par les critiques de son époque, décida de se venger de manière grandiose : il réalisa plusieurs faux Vermeer dont certains furent considérés par la presse comme des chefs-d’oeuvre du maître de Delft. Ce n’est qu’en 1945 que la supercherie fut découverte, quand la police saisit la collection de Goering, et que Van Meegeren fut accusé de haute trahison pour avoir vendu un Vermeer à ce maréchal du Reich nazi. S’ensuivit un procès mémorable, qui vit défiler responsables de musée, critiques d’art et experts de renom…

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’ai depuis longtemps appris à faire confiance à la collection Babel d’Actes Sud, dont le foisonnant catalogue constitue pour moi un vivier inépuisable de belles découvertes. Ce premier roman de l’italien Luigi Guarnieri ne déroge pas à la règle, et je me demande bien pourquoi je ne l’ai pas sorti plus tôt de ma PAL, dans laquelle il végétait depuis environ un an.

 

L’auteur transalpin nous propose un étonnant récit à caractère documentaire, inspiré d’une histoire vraie, très technique par certains aspects, que l’on dévore pourtant comme un captivant roman à suspense. La trame de l’intrigue repose sur la personnalité atypique et hors du commun de Han Van Meegeren, artiste raté mais sûr de son talent, ruminant sa pathétique géniale vengeance machiavélique dans l’anonymat de son atelier, lequel s’apparente ici davantage à l’antre d’un sorcier ! Van Meegeren est un peu le Gargamel du monde de la peinture, et pourrait reprendre à son compte cette célèbre litanie : “Je me vengerai, et ma vengeance sera terrible !” (je ne sais pas pourquoi je pense à ça tout d’un coup).

 

Van Meegeren (euh, pardon, Gargamel) dans son atelier

Copyright : Peyo – Editions Dupuis
Source : Chatsetchiensdubled
 
Luigi Guarnieri aborde le sujet avec une réjouissante ironie, et l’on sourit fréquemment devant la fourberie de Van Meegeren, individu brillant mais socialement inadapté, comme l’on s’amuse d’ailleurs de l’incompétence des critiques d’art et des acheteurs potentiels, pris de folie à l’annonce de la découverte d’un possible chef d’oeuvre. La médiocrité semble être le corollaire du génie ! La double vie de Vermeer est un roman très intéressant sur le monde de la peinture et de l’art en général,  thème abordé sous un angle plutôt original, puisque il nous est ici offert de découvrir les exigences du “travail” de faussaire. J’ai beaucoup apprécié l’aspect “technique” du récit, qui envisage la peinture d’un point de vue chimique et artisanal. Van Meegeren crée un faux Vermeer, et doit pour cela résoudre ou contourner un certain nombre de difficultés, d’ordre purement matériel ou conceptuel (il ne doute en revanche jamais de son talent, ni de sa capacité à égaler l’oeuvre du maître de Delft).

 

Afin de berner les critiques, il lui faut réaliser une toile irréprochable, tant dans sa composition que dans le choix des matériaux utilisés. C’est un défi peu commun que relève Van Meegeren, à savoir créer de toutes pièces un chef d’oeuvre du XVIIème siècle ! Se posent alors un certain nombre de questions. Quels étaient les pigments utilisés par Vermeer ? Sur quel support le faux doit-il être réalisé ? Faut-il signer le tableau ? Et surtout, comment donner à cette peinture à peine sortie de l’atelier un aspect vieilli, en y faisant apparaître artificiellement les craquelures et le voile de poussière caractéristiques des oeuvres anciennes ? Tout cela donne lieu à de passionnantes descriptions très détaillées, évoquant également les techniques de restauration et “d’effacement” d’une oeuvre (en particulier lorsque plusieurs couches successives ont été apposées sur le même support). On sent que l’auteur s’est considérablement documenté, et a étudié de près la technique des grands maîtres néerlandais.

 

Van Meegeren triomphe de toutes ces embûches, et livre un premier chef d’oeuvre, le Christ à Emmaüs, que la plupart des critiques sûrs de leur fait, Abraham Bredius en tête, attribuent sans hésiter à Vermeer, bien que le thème du tableau semble quelque peu atypique dans la carrière du peintre ! Les musées se l’arrachent, et la toile se vend à un prix exorbitant. Première étape de l’ascension sociale du faussaire, qui devient riche, et réalisera par la suite d’autres faux, gagnant ainsi des sommes considérables. Anecdote : Van Meegeren, qui dissimule son argent liquide dans les moindres recoins de sa maison, se verra obligé de restituer des centaines de petites coupures à l’Etat néerlandais lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Allez savoir pourquoi, cela m’a irrésistiblement fait penser à Claude Guéant ! Fin de l’anecdote.

 

Christ à Emmaüs (Van Meegeren, 1937)

 
L’auteur soulève d’intéressantes questions, qui stimulent la curiosité du lecteur, et appellent à la réflexion. Qu’est-ce qui fait la qualité d’une peinture, et plus généralement d’une oeuvre d’art ? Un tableau n’est-il un chef d’oeuvre que parce qu’il est unanimement reconnu comme tel par les “spécialistes” ? La différence semble parfois mince entre une vieille croûte sans valeur et un tableau de maître, ce qui n’empêche pas les acheteurs de débourser des sommes ridiculement élevées (pour ne pas dire indécentes) pour acquérir l’oeuvre de tel ou tel artiste célébré par les critiques. On paye pour le nom du peintre, plutôt que pour la qualité intrinsèque du tableau, ou pour les sentiments qu’il procure. Vanité, quand tu nous tiens !
 
Si tout cela est passionnant dans le fond, on peut en revanche regretter quelques imperfections dans la forme. Le style est fluide et agréable, les événements habilement restitués, mais j’ai tout de même été gênée par quelques redondances, ainsi que par les nombreuses énumérations émaillant certains passages du récit, qui se transforme parfois en catalogue des oeuvres de Vermeer. Il ne s’agit toutefois que d’un bémol mineur, puisque Luigi Guarnieri parvient constamment à raviver l’intérêt de son lecteur, en alternant les personnages et les époques. La double vie de Vermeer est également un roman à caractère biographique, qui s’intéresse non seulement à la vie du duo Van Meegeren / Vermeer, mais nous invite aussi par la même occasion à découvrir certains aspects de l’existence haute en couleurs de personnalités aussi marquantes que Marcel Proust ou Hermann Goering, qui furent tous deux fascinés et influencés par l’oeuvre de l’auteur de la Vue de Delft (tableau devant lequel meurt Bergotte, l’un des protagonistes de A la recherche du temps perdu).

 

Vue de Delft  (Johannes Vermeer, 1660)
Mauritshuis

 

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce roman original et fort instructif, qui me donne surtout envie de me rendre au Rijksmuseum d’Amsterdam, pour y admirer les chefs d’oeuvre de Vermeer, peintre oublié et méconnu en son temps, puis célébré dans le monde entier après sa redécouverte au XIXème siècle.

 
Un excellent roman, basé sur des faits réels. A lire si vous aimez la peinture !

 
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Nouvelle participation au  challenge L’art dans tous ses états, organisé par ma copine Shelbylee.Nouvelle étape de mon Tour du monde, pour le challenge Myself de Miss Romanza.

Nouvelle contribution au challenge Voisins, voisines de notre amie Anne.

 


 

 
 

11 thoughts on “La double vie de Vermeer – Luigi Guarnieri

  1. Je l'ai lu à sa sortie en poche et je l'avais adoré ! J'ai très envie de lire son dernier ouvrage aussi. Comme tu le dis, les éditions Actes Sud sont vraiment une valeur sûre !

  2. je connaissais déjà cette histoire, célèbre dans les cours d'histoire de l'art, je lirais donc ce roman avec plaisir 🙂

  3. Tu me donnes encore plus envie de me jeter dessus ! Dans ma PAL j'ai le livre qu'il a écrit sur Rembrandt et je ne sais pas si tu as vu chez Claire The Frenchbooklover, mais son livre sur Brahms et Clara Schumann à l'air très bien aussi. Décidément un auteur à suivre ! Merci pour cette participation enthousiaste !

  4. Je ne connaissais pas du tout cette histoire, et j'ai adoré tes références aux mister G. (Gargamel et Guéant) Mais j'ai tenté de lire (si je me souviens bien du titre) "Une étrange histoire d'amour" sur les relations entre les Schuman et Brahms (un autre domaine artistique) et je n'ai pas accroché. Trop ardu au moment où je l'ai emprnté à la bibli sans doute. Celui-ci m'intéresserait quand même, j'adôôôôre Vermeer !

    1. Je tenterai celui sur les Schumann pour voir. J'espère que celui-ci te plaira davantage.
      Contente que mes références t'aient plu (je me demande parfois où je vais chercher tout ça) !

  5. et bien voilà un livre qui va entrer dans ma Pal et va surement bien vite en sortir ! Et puis quoi vendre un faux tableau à un officier du Riech , c'est tout a fait normal..On devrait le décorer ! Cela n'engage que moi bien sûr.
    avec le sourire

    1. Je suis bien d'accord avec toi !
      Plus sérieusement, je ne peux que te conseiller de lire ce livre le plus rapidement possible. J'espère qu'il te plaira.

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