Le complot contre l’Amérique – Philip Roth

 

Lecture commune  avec Noctenbule et Titine

 

Titre original : The plot against America
Traduction (américain) : Josée Kamoun
Folio, Gallimard, 2004, 557 pages

 

Les premières phrases :
C’est la peur qui préside à ces Mémoires, une peur perpétuelle. Certes, il n’y a pas d’enfance sans terreurs, mais tout de même : aurais-je été aussi craintif si nous n’avions pas eu Lindbergh pour président, ou si je n’étais pas né dans une famille juive ?

 

La quatrième de couverture :
(que je trouve assez géniale)
Lorsque le célèbre aviateur Charles Lindbergh battit le président Roosevelt aux élections présidentielles de 1940, la peur s’empara des Juifs américains. Non seulement Lindbergh avait, dans son discours radiophonique à la nation, reproché aux Juifs de pousser l’Amérique à entreprendre une guerre inutile avec l’Allemagne nazie, mais, en devenant trente-troisième président des États-Unis, il s’empressa de signer un pacte de non-agression avec Hitler. Alors la terreur pénétra dans les foyers juifs, notamment dans celui de la famille Roth.
Ce contexte sert de décor historique au Complot contre l’Amérique, un roman où Philip Roth, qui avait sept ans à l’époque, raconte ce que vécut et ressentit sa famille – et des millions de familles semblables dans tout le pays – lors des lourdes années où s’exerça la présidence de Lindbergh, quand les citoyens américains qui étaient aussi des Juifs avaient de bonnes raisons de craindre le pire.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Souvenez-vous : c’était en mars 2013, et j’avais été particulièrement séduite par les thématiques abordées par Philip Roth dans Nemesis, ultime roman de l’auteur américain, dont j’avais également apprécié la construction et la fluidité narrative. Je m’étais promis de ne pas en rester là ; mon choix s’est alors très vite porté sur Le complot contre l’Amérique, dont Manu et Adalana nous avaient déjà vanté les mérites sur leurs blogs respectifs. La lecture commune proposée par Noctenbule tombait donc à pic !

 

Les mauvaises langues prétendront que j’ai succombé à la croix gammée figurant sur la couverture… Je leur répondrai sans me démonter qu’ils ont probablement raison ! 😉 Il faut dire que l’illustration est intrigante, la surimpression d’une svastika sur un timbre postal américain ayant de quoi surprendre à priori. Figurez-vous, ami lecteur, que Philip Roth nous propose avec ce texte une brillante uchronie, de mon point de vue exemplaire à bien des égards.

 

Le postulat de départ est passionnant. Et si Charles Lindbergh, héros de l’Atlantique, isolationniste et antisémite notoire, avait reçu l’investiture du Parti Républicain en 1940 ? Et si Lindbergh, jouissant d’une popularité sans faille, avait battu Roosevelt (FDR pour les intimes) lors de cette cruciale élection présidentielle ? La face de l’Amérique (et du monde) en eût probablement été changée ! Philip Roth brode à partir de ce fait imaginaire une fable politique édifiante et particulièrement bien documentée, dont la plupart des protagonistes furent réellement impliqués dans la vie politique des Etats-Unis pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Il développe avec moult détails un univers parallèle réaliste, et par là même tout à fait effrayant, montrant notamment à quel point la démocratie demeure fragile, y compris dans un pays comme l’Amérique des années 30-40, pourtant souvent envisagée comme un modèle du genre. Nombreux sont hélas les individus disposés à céder aux sirènes du fascisme, l’égoïsme et l’intolérance étant comme chacun sait assez répandus parmi nos semblables. Soutenu par une proportion non négligeable de la population, Lindbergh instaure alors un régime qui, sans être fondamentalement anti-démocratique, n’en multiplie pas moins les attaques contre la liberté individuelle. Les messages de haine se propagent impunément, et l’étau se resserre progressivement autour des Juifs, cible privilégiée des amis d’Hitler, Goebbels and co. Churchill se retrouve quant à lui bien isolé, et le monde semble inexorablement se diriger vers une totale hégémonie des forces de l’Axe, tandis que l’Amérique, qui souhaitait pourtant rester à l’écart du conflit mondial, se retrouve sur le point de basculer dans la Guerre Civile.

 

Au coeur de ce marasme évolue le petit Philip Roth, sept ans en 1940, dont la famille aura à subir les conséquences de ce nouvel ordre politique. Le complot contre l’Amérique prend en effet la forme d’un récit autobiographique à la première personne, ce qui renforce sans conteste la crédibilité et l’efficacité de l’uchronie. L’auteur a puisé dans ses propres souvenirs, lesquels s’intègrent harmonieusement à un contexte politique totalement fictif. Nous voici donc plongés dans le quotidien de la petite ville Newark, où les Juifs vivent désormais dans un climat d’inquiétude et de tension permanentes. Le gouvernement applique la politique du “diviser pour mieux régner, et tente de monter les individus les uns contre les autres, espérant ainsi briser l’harmonie des communautés juives. Le frère aîné de Philip participe ainsi avec enthousiasme au programme “Des gens contre les autres”, tandis que certaines personnalités très en vue, comme le rabbin Bengelsdorf, n’hésitent pas à collaborer avec “l’ennemi” . D’autres choisissent au contraire d’entrer en résistance, s’opposant avec ferveur au régime en place. Paranoïa ? Délire de persécution ? Les avis divergent…

 

Le complot contre l’Amérique est aussi un roman sur l’enfance, ce qui introduit d’ailleurs quelques regrettables longueurs dans le déroulement de l’intrigue. Les souvenirs personnels de Philip ne sont pas toujours intéressants, et le roman se révèle assez inégal de ce point de vue. J’ai pour ma part préféré les passages relevant de l’uchronie pure ! Le quotidien du petit garçon, philatéliste convaincu, réserve tout de même quelques jolis moments, et sa vision candide et enfantine des événements apporte un point de vue intéressant au récit. J’ai beaucoup aimé le chapitre consacré au voyage de la famille Roth à Washington, ainsi que la délicate et sobre évocation de la fascination de Philip pour le moignon de son cousin Alvin, revenu mutilé de ses combats au sein de l’armée canadienne.

 

Pour toutes ces raisons, j’ai trouvé Le complot contre l’Amérique très intéressant, brillant dans sa construction, et somme toute assez dérangeant. J’aime beaucoup la fin, surprenante et délicieusement ironique. Les annexes sont quant à elles très instructives, et permettent de démêler le vrai du faux, en revenant sur le rôle parfois mineur des diverses figures politiques apparaissant dans le roman.

 

Une passionnante uchronie, dans laquelle les enjeux politiques se mêlent aux souvenirs d’enfance du narrateur.

 

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Nouvelle participation au Challenge US, organisé par Noctenbule.
 

 

16 thoughts on “Le complot contre l’Amérique – Philip Roth

  1. il fait partie de mes livres bien au chaud avant d'être lus
    j'ai lu goodbye Columbus, avec l'idée de me dire je reprends l'auteur depuis le début !!!

  2. Jamais lu cet auteur et je me demandais si ça en valait la peine… j'ai ma réponse donc 🙂
    Je vais revoir ta chronique de Nemesis pour voir lequel me tenterait le plus.

    1. Certaines personnes ne l'apprécient pas autant que moi, mais il faut lire au moins une fois un roman de Philip Roth pour se faire une idée !

  3. Comme tu le sais, ce sont les passages sur l'enfance qui m'ont le plus intéressée. Mais j'ai trouvé à ce roman des longueurs, j'aurais aimé qu'il soit plus court pour me convaincre totalement.

  4. Vu son sujet il me tente. Je me demande quand même si la couverture avec une croix gammée est légale vu que ce n'est pas un livre d'histoire… Pauvre Lindbergh on l'aura accusé de bien des choses. Est-ce que son bébé est vivant dans le livre ?

    1. Je ne m'étais même pas posé la question concernant la croix gammée… Il me semble en avoir vu une autre sur la couverture de l'une des éditions de "The Man in the High Castle", de Philip K Dick (également une uchronie).
      Concernant le Philip Roth : le fils de Lindbergh a été enlevé, et personne n'a plus jamais eu de nouvelles !

  5. J'ai vraiment aimé et je suis contente qu'il en soit de même pour toi. L'uchronie peut vraiment être passionnante.

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