Rivages de l’est (En kayak du Danube au Bosphore) – Lodewijk Allaert

Editions Transboréal, Collection Sillages, 2012, 239 pages

 

La première phrase :
Une chaleur dévorante écrase la plane hongroise en ce mois de juin 2007.

 

L’histoire :
Eté 2007. Lodewijk Allaert et sa compagne Kristel, français expatriés en Hongrie, quittent Budapest à bord de leurs kayaks. Leur objectif : rallier Istanbul en moins de trois mois, via le Danube et la Mer Noire ! Les rencontres se succèdent, l’émerveillement cède parfois la place à l’inquiétude ou à la consternation, mais les nombreux déboires n’ébranlent en rien la détermination des deux voyageurs, farouchement décidés à mener à bien leur éprouvant périple, au coeur d’une Europe de l’Est très contrastée

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Attention, événement : le texte que j’ai choisi de vous présenter aujourd’hui appartient à un genre dont je suis bien peu familière, à savoir le récit de voyage. Je l’avais repéré sur Internet il y a quelques mois (je serais bien incapable de vous dire où exactement), avant de tomber dessus par hasard en librairie. L’objet m’a plu (félicitations aux très élégantes éditions Transboréal), donc je l’ai acheté (c’était avant que je ne décide de mettre ma PAL au régime). Point.Et ensuite ? Eh bien, ensuite, je l’ai lu. Non, ne prenez pas cet air étonné ! Il m’arrive parfois de faire des choses un peu folles, comme de lire un livre de ma PAL moins de deux mois après en avoir fait l’acquisition. Il se trouve que j’étais assez curieuse de découvrir le récit de Lodewijk Allaert, même si je doutais de mon aptitude à me laisser totalement emporter par cette folle épopée. Que les choses soient claires : j’aime beaucoup voyager, mais je ne suis pas une aventurière dans l’âme. J’apprécie le trek et la randonnée, pour l’aspect sportif et les sensations qu’ils procurent, mais je ne suis pas du genre à faire n’importe quoi, ni à rechercher la performance ou le dépassement de soi. D’autre part, si la contemplation de vastes et somptueux paysages m’apporte une indéniable et apaisante satisfaction, la nature en elle-même ne me passionne guère, et mes destinations préférées demeurent par conséquent les villes : rien de tel pour découvrir un pays que de se frotter à sa culture et sa population !
 
Il y a un peu de tout ça dans Rivages de l’est, dont je ressors toutefois avec un sentiment mitigé. L’auteur est intelligent, et cela ce sent : son humble témoignage se double d’une réflexion pertinente, qui plus est rédigée dans un style sobre et agréable. Lodewijk et Kristel traversent à bord de leurs kayaks une succession de pays entre deux époques, où les vestiges du communisme laissent peu à peu la place à une modernité mal assimilée, encore très archaïque par certains aspects (Eh, vous avez vu ? Je viens de caser un oxymoron ! “Modernité archaïque”. Hi hi hi !). Hongrie, Croatie, Serbie, Bulgarie, Roumanie… Les populations rencontrées sur les rives de ce bon vieux Danube sale pestilentiel bleu vivent pour la plupart dans le plus grand dénuement, et l’accueil réservé aux deux “intrépides” voyageurs n’est pas toujours des plus chaleureux. Rongés par la faim et la soif, assommés par un Soleil de plomb, constamment attaqués par les moustiques (et autres bêtes féroces), nos deux aventuriers de l’extrême pagaient inlassablement au milieu des immondices, pour finalement arriver en Mer Noire. Ils se lancent alors dans la contemplation d’une côte bulgare défigurée par le tourisme de masse, qui contraste terriblement avec la sauvagerie des paysages grandioses rencontrés lors de la traversée des gorges des Carpates. La croisière bucolique, se métamorphose alors en parcours du combattant, les frêles embarcations se retrouvant à tout instant à la merci de la violence des vagues et des courants.

 

Voyager par voie nautique offre de toute évidence un regard original sur le pays traversé, mais le procédé trouve rapidement ses limites d’un point de vue narratif. Lodewijk et Kristel ont sans nul doute vécu une expérience très enrichissante, qui paraît cependant bien terne une fois couchée sur le papier. Les rencontres sont peu nombreuses, et finalement assez redondantes : les bergers succèdent aux gitans, les douaniers aux pêcheurs, et les pêcheurs aux bergers. J’ai également cru déceler une certaine naïveté dans les réactions des deux principaux protagonistes : ceux-ci sont constamment surpris, déconcertés par les comportements malhonnêtes de certains de leurs congénères, et les clichés habituels sur “la simplicité et la générosité des paysans qui réchauffent le coeur” ne nous sont pas épargnés. Je les rejoins en revanche totalement lorsqu’ils réalisent que, de tous les peuples côtoyés au cours de leur voyage, les Turcs sont de loin les plus ouverts et les plus chaleureux (je ne connais bien la Turquie, et ceci n’est donc pas une surprise me concernant) !Mon principal bémol vis à vis de ce récit tient cependant au fait que je n’ai absolument aucune admiration pour la “performance” sportive en elle-même. Trois mois de kayak non-stop en eaux polluées, sur fleuve puis sur mer, avec un ravitaillement en eau et en vivres plus qu’aléatoire… J’aime le kayak (en eaux-vives), mais je l’ai davantage ressenti comme un caprice d’enfants gâtés cherchant à donner un sens à leur vie, plutôt que comme le voyage initiatique de deux explorateurs. Le summum du grotesque est atteint lorsque Kristel reprend “courageusement” la route avec une… sciatique !! Alors là, on frise le grand n’importe quoi. Je veux bien admettre qu’il aurait été rageant de s’arrêter si près du but, mais cela relève de mon point de vue de l’inconscience la plus totale (au risque de passer pour la rabat-joie de service) ! Bref, je n’ai pas été sensible aux enjeux dramatiques de cette longue chevauchée, semée d’embûches et de désillusions.

 

Supertanker à Istanbul (Copyright Miss Léo 2013)

 
Je me montre volontiers sarcastique, mais je dois toutefois admettre que Rivages de l’est est un récit de voyage de qualité, même si je n’y ai que très partiellement adhéré (je connais très mal le genre, et n’ai donc aucun élément de comparaison). La lecture en est plaisante, et Lodewijk Allaert réussit quelques beaux passages, qui éveillent la curiosité du lecteur vis à vis de cette Europe de l’Est intrigante et méconnue. L’arrivée tant espérée sur le Bosphore après plus de trois mois de navigation chaotique est un émerveillement, et la fin du récit se révèle assez touchante à sa manière. Reste toutefois un récit un peu vain, sans doute trop contemplatif pour satisfaire pleinement la lectrice hyperactive que je suis. J’aurais probablement préféré un voyage à l’intérieur des terres, mais personne n’a encore écrit Rivages de l’est (A pied du Danube au Bosphore) ! Je reconnais également être davantage captivée par l’humour et le sens de l’autodérision d’un Guy Delisle ou d’un J. Maarten Troost plutôt que par le ton vaguement solennel du présent opus, trop sérieux à mon goût (cela n’engage que moi, et d’autres y trouveront probablement leur compte).

 

Je pense lire bientôt Longue Marche de Bernard Ollivier, qui végète dans ma PAL depuis plus d’un an. Cette nouvelle tentative me permettra de répondre à cette question cruciale : oui ou non, suis-je capable d’apprécier un récit de voyage ? J’aimerais un jour essayer la collection “Petite philosophie du voyage” de chez Transboréal, qui bénéficie d’échos favorables chez des blogueuses que je suis régulièrement. Affaire à suivre…Un récit de qualité, mais je ne suis pas totalement convaincue…

 

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Première participation au challenge Le mélange des genres, catégorie “Récit de voyage”. Je vous rappelle que vous pouvez toujours vous inscrire si le coeur vous en dit !

 

6 thoughts on “Rivages de l’est (En kayak du Danube au Bosphore) – Lodewijk Allaert

  1. Moi qui apprécie particulièrement les récits de voyage, les éditions Transboréal m'attire pas mal. Par contre, je ne suis pas sûre d'adhérer à celui-là précisément : disons que je suis plus friande de contemplations qui vire à la philosophie, d'évocation de vies simples ou vraiment dépaysantes plutôt que de voyages à caractère sportif. Bon, après, il ne faut jamais dire jamais, mais a priori c'est moins pour moi qu'un bon récit de Nature Writing américain. En parlant de récit de voyage sur un vieux canot à la limite de l'inconscience, "Les forêts du Maine" de Thoreau ont une saveur plus authentique :p
    Bravo à toi pour t'être frottée à un genre qui ne t'est pas habituel en tout cas (et of course, pour l'oxymore de toute beauté!)
    Pour ma part, j'attaque ton challenge lundi avec un roman jeunesse !

    1. Je note tes suggestions (il faudra que je tente le Nature Writing américain). J'attends ton roman jeunesse avec impatience.

  2. Ah tu sais que j'ai un libellé voyage et Petite philosophie du voyage chez moi…
    Actuellement je suis en train de lire Aux quatre coins de la Patagonie de D Lefevre (Transboreal aussi)(et c'est excellent!)
    Bref, fouine sur mon blogounet si tu veux, et je te quitte en te conseillant la Rolls du récit de voyage, de Patrick Leigh Fermor, Le temps des offrandes, A pied jusqu'à Constantinople, pour rester dans tes parages récents .

    1. Je note ces deux références, et je prendrai le temps d'explorer en profondeur la rubrique voyage de ton blog. Merci pour tes suggestions.

  3. Hello, je n'ai toujours pas commencé mais je constitue ma liste avec ce que j'ai en rayon de PAL … Jules Verne avec "une ville flottante", on peut le compter comme classique français ?? 😀 😀 😀

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