Gone with the Wind – Margaret Mitchell

Pan Books, 1936, 992 pages

 

La première phrase :
(facile, je la connais par coeur !)
Scarlett O’Hara was not beautiful, but men seldom realized it when caught by her charm as the Tarleton twins were.

 

L’histoire :
Comment résumer en quelques lignes un roman d’une telle ampleur ?? Je vous fais la version simpliste :
 
Géorgie, 1861. Le scandaleux (séduisant, intelligent, opportunisteRhett Butler aime passionnément la ravissante (aguicheuse, égoïste, obstinéeScarlett O’Hara, fille de planteur. Celle-ci fantasme sur le gentleman (mou, lucide, cultivéAshley Wilkes, lequel épouse sa cousine, la très naïve (généreuse, altruiste, fragileMélanie Hamilton, qui idolâtre Scarlett. Le tout sur fond de Guerre de Sécession et de destruction des Etats Confédérés d’Amérique, balayés par la déferlante Yankee.
 
 
 
L’opinion de Miss Léo :

 

Billet un peu particulier pour un roman hors-norme, que j’ai dû lire une bonne dizaine de fois au cours des vingt dernières années. Il n’y a qu’à voir l’état de mon exemplaire : moi qui prends toujours soin de mes affaires, et qui répugne à abîmer les pages et la couverture d’un livre, je n’ai pu empêcher le dos de se couper en deux. Songez donc : j’ai été obligée de ressouder les deux moitiés avec du scotch ! Cela ne se voit pas très bien sur la photo, mais j’en suis malade rien que d’y penser… Brrrrrrrr !Il était évidemment profondément injuste et anormal que ce sublime roman, auquel je voue depuis toujours un amour inconditionnel et vaguement hystérique, ne bénéficie pas de quelques lignes d’hommage ému sur ce blog. Je vous en parle d’autant plus volontiers que l’oeuvre de Margaret Mitchell me semble encore trop souvent victime de préjugés totalement injustifiés, certaines personnes mal informées ne voyant dans ce roman monumental qu’une bluette niaise et sirupeuse. Si vous voulez mon avis, lesdites personnes n’ont probablement pas lu le livre ! Vous savez ce que je pense des romances mièvres et convenues… Rassurez-vous : Autant en emporte le vent est la parfaite antithèse de ce que le genre a produit de plus mauvais au cours des cent dernières années.
 
Bien plus qu’une simple histoire d’amours contrariées, jamais guimauve, romanesque sans être romantique, cette vaste fresque est avant tout un grand roman sur la Guerre de Sécession, dont l’auteur nous laisse entrevoir les origines, le déroulement et les conséquences à long terme sur des populations sudistes meurtries dans leur âme et leur chair par la défaite de l’armée confédérée. Les événements majeurs de la guerre civile rythment les aventures de Scarlett, et de longs paragraphes sont consacrés à la progression des deux armées, ainsi qu’à la dimension stratégique des hostilités. La débâcle de Gettysburg marque ainsi le début d’une longue et pénible retraite, qui conduira au siège de la bouillonnante et trépidante Atlanta, longtemps sauvegardée par la défense acharnée du Général Johnston, avant que les troupes de Sherman ne s’abattent avec fureur et sauvagerie sur le reste de la Géorgie, telles une impitoyable nuée de sauterelles. Les généraux sudistes étaient tactiquement supérieurs à leurs homologues Yankees, mais leur armée souffrait d’un manque évident d’équipement et de renforts, qui se révéla hautement préjudiciable compte-tenu de la durée du conflit (quatre longues années tout de même), alors que les Etats confédérés étaient déjà lourdement asphyxiés suite au blocus naval imposé par l’Union depuis le début de la guerre.

 

 
Pas de plongée au coeur de la bataille comme dans le formidable Wilderness,  que je vous présenterai dans quelques jours (si je trouve le temps d’écrire mon billet), mais le lecteur entrevoit néanmoins toute la souffrance des soldats, pauvres hères en guenilles endurant de multiples blessures physiques et morales. Margaret Mitchell demeure attentive à l’aspect purement militaire d’une guerre menée au nom d’une Cause bien futile au regard du prix à payer, dont elle souligne également l’absurdité. L’abolition de l’esclavage, noble et louable objectif si cher à Abraham Lincoln, n’est en réalité qu’un prétexte teinté d’hypocrisie, le Nord industriel et protectionniste souhaitant de toute évidence en découdre avec le Sud rural et libre-échangiste. Les enjeux sont tout autant économiques qu’idéologiques, et de nombreux sudistes se battent tout simplement pour défendre leur terre, et sauvegarder leur mode de vie. La capitulation du général Lee à Appomattox marque le début d’une longue et terrible période de Reconstruction, durant laquelle se déroule la seconde moitié du roman. Il faudra encore de nombreuses années pour que les Démocrates sudistes reprennent enfin le dessus sur les Républicains yankees et autres Carpetbaggers opportunistes, et parviennent à redresser l’économie de l’ex-Confédération ravagée par les combats.
 

Voilà pour le contexte. Il convient de saluer comme il se doit la “performance” de la jeune romancière, qui fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise tout à fait étonnantes compte-tenu de son manque d’expérience en tant qu’écrivain. On peut bien sûr regretter certaines maladresses, imputables aux origines sudistes de Margaret Mitchell. Celle-ci s’est en effet inspirée des récits de sa propre famille, dont les préjugés raciaux transparaissent tout au long du roman. Les personnages d’Autant en emporte le vent sont de riches planteurs convaincus de leur supériorité, qui manifestent un certain mépris vis à vis des classes inférieures et de ces rustres de Yankees. “White-trash”, esclaves noirs et paysans pauvres sont traités avec condescendance, et certains propos peuvent choquer, notamment lorsque l’auteur s’efforce de justifier le bien-fondé de l’esclavage en affirmant que les ouvriers agricoles des plantations et autres domestiques étaient généralement traités avec bienveillance par leurs maîtres, ou lorsqu’elle tente de légitimer les actes des membres du Ku Klux Klan. Tout cela est évidemment hautement contestable, mais ces quelques dérives demeurent toutefois intéressantes d’un point de vue sociologique, et sans doute très représentatives de la mentalité de l’époque. Cela ne m’a en tout cas jamais empêchée d’apprécier le livre, par ailleurs pétri de qualités.
 

Quant à Scarlett… les implications politiques, sociales et économiques de la guerre lui passent à mille lieues au-dessus de la tête (du moins lorsqu’elle n’est pas directement concernée) ! Comment parler de Gone with the Wind sans évoquer sa fascinante héroïne, un personnage étonnant comme on en rencontre peu en littérature ? Katie Scarlett O’Hara est une pétasse, n’ayons pas peur des mots, mais une pétasse attachante, qui se montre remarquablement à la hauteur des épreuves qu’elle traverse. Egoïste, obstinée, capricieuse et sans scrupule, cette jeune femme au caractère vif et à la morale défaillante se révèlera néanmoins forte dans l’adversité, et son dynamisme permettra de sauver plusieurs familles du désastre. Scarlett est prête à tous les sacrifices pour assurer la pérennité de Tara, sa terre adorée, et la jeune aristocrate précieuse du début du roman se métamorphose peu à peu en travailleuse acharnée, se livrant à des tâches indignes et bien peu féminines pour gagner les quelques deniers nécessaire à la survie de sa famille. Tuer un déserteur Yankee, cueillir le coton, traire une vache, vendre du bois en arnaquant le client, recruter et diriger une équipe de forçats pour assurer le fonctionnement de sa scierie… Rien ne semble pouvoir arrêter l’inaltérable volonté de Scarlett, qui réussit d’ailleurs tout ce qu’elle entreprend. Ses motivations sont parfois discutables, mais il est bien difficile de ne pas l’admirer !
 

… I’ll never be hungry again !

 
Le personnage, omniprésent, est d’autant plus réussi que celle-ci se trompe sur toute la ligne en ce qui concerne les hommes. Deux fois veuve, mère de deux enfants pour lesquels elle n’éprouve que peu d’affection, Scarlett échoue totalement dans sa vie amoureuse, et ce pendant près de mille pages. Obsédée par le terne Ashley Wilkes, dont elle s’est amourachée à l’âge de quatorze ans, elle se méprend constamment sur les curieuses sensations que lui procure la présence sarcastique du séduisant Rhett Butler, dont elle ne parvient pas à saisir les motivations. Profondément immature, Scarlett est jeune et totalement ignorante des réalités de l’amour et de la passion, ce qui lui vaut bien des déconvenues. Le roman nous invite à plonger dans son esprit délicieusement tortueux, et à suivre sa lente et douloureuse évolution vers une lucidité chèrement acquise.
 
Les autres personnages sont tout aussi intéressants. J’aime beaucoup Mélanie, bien moins naïve que ses premières interventions ne pourraient le laisser croire (il faut dire que celle-ci est constamment vue à travers le regard condescendant et malveillant de Scarlett, qui ne cesse de la critiquer). Le contraste avec Scarlett est saisissant, mais les deux jeunes femmes que tout oppose traversent ensemble des épreuves qui finiront par les rapprocher. Leur relation constitue l’un des points forts du roman. Je n’ai jamais été fan d’Ashley Wilkes, mais force est de reconnaître qu’il s’agit d’un personnage éclairé et lucide, qui n’hésite pas à remettre les choses en perspective, apportant ainsi un point de vue contradictoire et raisonnable, qui tempère les propos racistes et manichéens évoqués plus haut. Il est en cela très proche de Rhett Butler, autre figure masculine marquante du roman. Ce dernier est cependant bien plus séduisant que son alter ego, et ses rapports avec Scarlett ne peuvent que passionner. Les scènes dans lesquelles il apparaît sont parmi les plus réjouissantes du roman, et je défie quiconque de résister à son insolence narquoise, néanmoins doublée d’une grande sensibilité.
 
Un mot de l’intrigue pour finir : celle-ci est dense et bien construite, riche en péripéties et l’on ne s’ennuie pas une seconde à la lecture de ce roman, qui ne me semble d’ailleurs pas exclusivement réservé à un public féminin (messieurs, n’hésitez pas à vous lancer !). L’atmosphère pétillante et colorée de la première partie cède peu à peu la place à une ambiance plus sombre et teintée de mélancolie, associée au souvenir d’un monde à jamais disparu, hanté par les fantômes des millions de victimes de la guerre. Le dernier quart tourne parfois au mélodrame, et les personnages connaissent leur lot de tragédies, mais les rebondissements sont parfaitement dosés par la romancière, laquelle parvient même à éviter l’écueil du happy-end larmoyant (ce dont je lui serai éternellement reconnaissante). Le triangle amoureux est quant à lui bien exploité, sans jamais tomber dans la facilité, avec juste ce qu’il faut de piquant et de tension sexuelle ; le désir physique et l’amour charnel sont évoqués de façon très subtile, malgré l’absence de scène à caractère érotique. Du grand art !

 

 
 

Passionnant roman historique, formidable histoire d’amour(s), captivant portrait de femme : Autant en emporte le vent est tout cela à la fois, et mérite amplement son succès populaire. Si vous ne l’avez jamais lu : mais qu’attendez-vous donc ??

 

Coup de coeur absolu !

 

P.S. J’aime aussi beaucoup le film, que je connais (évidemment) par coeur, malgré ses défauts. Il fut un temps où je passais ma vie à en rejouer les dialogues… Vivien Leigh y est prodigieuse, tellement impressionnante qu’elle me fait peur parfois ! L’oeuvre de Fleming et Selznick ne rend cependant pas entièrement justice au roman, dont certains éléments n’ont pu être intégrés au scénario. Peu importe, je continuerai à le revoir avec plaisir !

 

 
P.P.S. La suite (Scarlett, par Alexandra Ripley) est médiocre et sans intérêt. Je l’ai lue juste après sa sortie, et je n’ai pas été convaincue.
 
P.P.P.S. Je n’ai jamais compris pourquoi Autant en emporte le vent avait été édité en trois tomes chez Folio… Quelle drôle d’idée !

 
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Nouvelle participation au Mois américain, organisé par Titine, du blog Plaisirs à cultiver.
 

31 thoughts on “Gone with the Wind – Margaret Mitchell

  1. Lu, bien sûr (et aussi en vO) vu le film, bien sûr, mais comme souvent le film a coupé des scènes… Un gros gros incontournable de tout lecteur.(faut pas pleu'er, Mâme Sca'lett)

  2. Le mien est en meilleur état. Il faut dire qu'il est en 2 tomes, plus facile à tenir
    Je n'ai pas du tout aimé la suite. C'est une horreur !

  3. Ah la la ! Ce roman ! Lu ado, conseillé par ma mère, ouvert en me demandant comment je pourrais lire un pavé pareil, pourtant dévoré en 4 jours au final. J'aime l'histoire, le contexte, les personnages (Rhett, forcément, mais Scarlett aussi, si pleine de vie et de force même quand on a envie de lui mettre une baffe à cause de ses caprices). J'ai eu l'occasion de voir la pièce de théâtre "Hollywood" qui tourne autour de l'écriture du scénario du film. Très drôle, je conseille, j'ai pris un grand plaisir à retrouver les personnages et voir le passage du livre au film.

    1. J'ai vu le documentaire "Histoire d'une légende", qui retrace toute l'histoire du tournage, de la préparation à la sortie. Fascinant !

  4. Je fais partie de ceux qui ne l'ont toujours pas lu et pourtant il est dans ma bibliothèque ! Honte sur moi ! En tout cas, j'adore le film et notamment la prestation fabuleuse de Vivien Leigh, je pense qu'elle est insurpassable.

  5. Moi je sais, pour les 3 tomes chez Folio !!! C'est grâce à eux que je peux relire régulièrement Autant en emporte le vent sans avoir besoin de réparer mon exemplaire lol … Cela dit, le dernier tome garde encore la trace des larmes de crocodiles que j'ai versé lors de ma première lecture, vers 15 ans …

  6. Il faudrait que je me lance, un jour! D'autant que je n'ai pas revu le film depuis un moment, donc il ne parasitera pas ma lecture…

    1. C'est surtout un (beau) classique, dense et passionnant. On peut émettre quelques réserves, mais il me paraît difficile de ne pas être emporté par la flamme qui anime ce superbe roman.

  7. J'avoue, je fais partie des sceptiques qui n'ont pourtant pas lu le livre… Il faut dire que le film m'a ennuyée incroyablement et, pour le coup, j'ai eu du mal à y voir autre chose qu'une bluette niaise – associé au fait que le personnage de Scarlett me donnait des envies de meurtre. Du coup, ça m'a un peu bloquée pour le bouquin…

  8. J'adore la passion dans ton très complet billet ! Je l'ai lu il y a longtemps , et cela avait été une très bonne surprise , je m'attendais à un truc niaiseux, et j'avais adoré , autant et même plus que le film . Quel bonheur d'entendre parler d'un bon vieux bouquin comme ça !

    1. Cela m'a fait du bien d'écrire ce billet ! J'avais envie d'évoquer une "valeur sûre", qui a sans nul doute contribué à forger mes goûts et mes envies de lectrice.

  9. "lu une dizaine de fois", "coup de coeur absolu"… tu sais motiver à le sortir de la Pile à Lire dis donc!
    Il faut vraiment que je lise ce bouquin!!
    J'espère être autant conquise que toi!

  10. Je n'ai aucun recul, ni sur ce livre (en deux tomes abimés, comme quoi), ni sur le film, "Scarlett for ever" … Pas du tout envie de lire la suite. On ne touche pas à la fin, juste sublime ! Ni à Scarlett, ni à Ruth, ni à l'incendie d’Atlanta, ni surtout pas, à la robe taillée dans les rideaux du salon … Mes rêves d'ado …

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