Le garçon d’à côté – Katrina Kittle

Titre original : The Kindness of Strangers
Traduction (américain) : Nathalie Barrié
Le Livre de Poche, Phebus, 2005, 571 pages

 
La première phrase :

Danny se demandait si, en voyant sa famille, les gens savaient. Si c’était visible.
 
L’histoire :

Oakhaven, Ohio. Sarah Laden vit seule avec ses deux enfants Danny et Nate (respectivement onze et dix-sept ans) depuis la mort prématurée de son mari Roy. La famille panse tant bien que mal ses blessures, et réapprend péniblement à vivre en l’absence du père, sous l’oeil de voisins bienveillants et pleins de sollicitude. Survient alors la tentative de suicide de Jordan Kendrick, ex-meilleur ami de Danny, et fils unique de Courtney Kendrick, partenaire de jogging et confidente de Sarah. Cet acte désespéré étonne et inquiète, mais le pire reste toutefois à venir : la police effectue une perquisition chez les Kendrick, qui se retrouvent accusés de pédophilie. Le choc est énorme, et la nouvelle est accueillie avec incrédulité par les familles du voisinage. Le quotidien des Laden se trouve quant à lui bouleversé par cette terrible révélation.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Le ton est donné dès les premières pages : Sarah casse un oeuf pour le petit-déjeuner de ses enfants ; un embryon de poussin sanguinolent tombe dans le bol ; Sarah frémit d’effroi. Une macabre découverte en forme de mauvais présage, annonciatrice du drame à venir.

 

Le garçon d’à côté, ou comment parler de la pédophilie sans verser dans le sentimentalisme dégoulinant, le voyeurisme malsain ou le racolage abject. Katrina Kittle signe un formidable roman, abordant avec pudeur et sensibilité un sujet pourtant délicat, qui plus est rarement exploré en littérature (du moins à ma connaissance). L’écrivain prend le temps d’installer une atmosphère et un univers familier, peuplé de personnages réalistes et attachants. Les relations humaines sont finement observées, qu’elles soient sincères ou superficielles, apaisées ou conflictuelles, amicales ou amoureuses. Le récit en forme de chronique de moeurs (un genre que j’affectionne particulièrement) décortique la vie des habitants de cette banlieue (a priori) sans histoire du Middle West américain, dont le quotidien banal sera durablement bouleversé par “l’affaire Kendrick”. J’y vois avant tout un roman sur la famille, celle-ci n’étant pas toujours le havre de paix espéré, quand elle ne devient pas franchement dysfonctionnelle ! Les Laden connaissent ainsi leurs propres “crises” passagères, lesquelles semblent toutefois bien anodines en comparaison des supplices endurés sous son propre toit par le malheureux Jordan Kendrick.

 

Le texte est entièrement rédigé à la troisième personne, mais chaque chapitre adopte le point de vue de l’un des protagonistes, faisant ainsi entendre alternativement la voix de Sarah, Danny, Nate et Jordan. Ce choix narratif est intéressant, dans la mesure où celui-ci permet d’appréhender les multiples facettes d’une situation complexe, impliquant de nombreux personnages. La mère de famille, l’enfant, l’ado, la victime : chacun ressent les événements de façon différente, et tous se protègent en élaborant leurs propres mécanismes de défense. Passionnant!Le découpage est efficace, le style de l’auteur agréable, et le rythme parfaitement adapté à l’histoire, qui prend parfois des allures d’intrigue policière, en raison du doute qui subsiste quand à la culpabilité de Courtney Kendrick (que beaucoup jugent totalement improbable, même si le lecteur n’est pas dupe pour autant). Katrina Kittle maintient tout au long du récit une sourde tension, qui rend le roman difficile à lâcher, malgré la répugnance que nous inspire la situation. La pédophilie est ici envisagée avec justesse et pédagogie, sans pathos ni excès. La romancière, qui a de toute évidence réuni une importante documentation et rencontré quelques “spécialistes” avant d’entamer la rédaction de l’ouvrage, empoigne son sujet à bras le corps, explorant méticuleusement l’impact de l’arrestation des Kendrick (“des gens bien”) sur la communauté à laquelle appartient Sarah. Nous assistons au travail de la police et des services sociaux, et découvrons les réactions contrastées des voisins, dont les sentiments vont de la culpabilité au déni en passant par l’indignation. Personne n’a rien vu, rien soupçonné. Comment se fait-il que Jordan n’ait rien dit ?? Les actes des Kendrick soulèvent évidemment de nombreuses questions. Les victimes peuvent-elles se reconstruire et retrouver une vie “normale” ? Existe-t-il un profil type de pédophile ? Quelles sont les réponses apportées par la justice ? Katrina Kittle couvre tous les aspects du problème, avec une rigueur bienvenue.
 
Le titre original (The Kindness of Strangers) est à mon sens bien meilleur que le titre français, car inspiré d’une réplique de l’une de mes pièces préférées (je réalise d’ailleurs que je ne vous ai encore jamais parlé de Tennessee Williams sur ce blog : impardonnable lacune !). Jordan Kendrick, Blanche Dubois, même combat ? La référence n’est pas anodine, et l’on peut d’ailleurs y voir un double sens : gentillesse (kindness) de la famille Ben (Miss Léo, tu sors !) Laden, prête à recueillir Jordan sous son propre toit pour lui offrir un nouveau départ, mais aussi “gentillesse” des amis pédophiles de Mark et Courtney Kendrick, se livrant à des viols répétés sur un gamin de dix ans.

 

 
Pour résumer : Le garçon d’à côté est un roman puissant et plein de vie, jamais plombant, à mille lieues des autofictions larmoyantes et nombrilistes à la française. Le dénouement se veut résolument optimiste et plein d’espoir, sans pour autant occulter la gravité des faits.

 

Un excellent roman sur un thème difficile. A lire !

 

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Première participation au Mois américain, organisé par Titine.
 

25 thoughts on “Le garçon d’à côté – Katrina Kittle

  1. J'avais lu de bons avis sur ce roman mais aussi des très mauvais, du coup je le note et je me ferai ma propre opinion. Tu as raison c'est un thème à mon avis rarement traité et casse gueule d'ailleurs !

    1. J'ai lu des avis mitigés, mais je ne me souviens pas d'avoir lu d'avis totalement négatifs. Je serais curieuse de savoir ce que tu en penses…

    1. J'ai lu ton billet. Je comprends tes réserves, mais je n'ai pas été gênée par les bons sentiments que tu évoques, le roman étant suffisamment fort et passionnant par ailleurs.

  2. Tu me donnes sincèrement envie de le lire ! C'est vrai que les avis sont mitigés mais comme le souligne justement Bianca, il faut se faire sa propre opinion ! A noter que j'aime beaucoup ton idée de noter la première phrase du livre, ça met de suite en appétit !!

  3. A priori, ce n'est pas un sujet qui m'attirerai dans un roman mais tu es très convaincante d'autant plus que j'aime beaucoup découvrir de nouveaux auteurs américains …

  4. tu sais être convaincante sur tes billets toi aussi. Un sujet que j'aurai eu du mal à aborder dans un premier temps devient vite intéressant, à ta façon d'en parler.
    Le titre français est pas bon, en effet, il rappelle le nom de vieux sitcoms français comme "Les filles d'à côté", ça craint un peu !

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