La guerre éternelle – Joe Haldeman

Titre original : The Forever War
Traduction (américain) : Gérard Lebec
J’ai Lu, 1974, 283 pages

 
La première phrase :

– Ce soir, nous allons vous montrer huit manières de tuer un homme ; elles sont toutes silencieuses.

 

L’histoire :
La Terre, 1997. William Mandella était destiné à une brillante carrière de physicien. Le voici désormais soldat (le petit veinard !), recruté avec quelques dizaines d’étudiants aux compétences diverses dans le but de constituer une remarquable unité d’élite, spécialement entraînée pour accomplir une mission périlleuse, aux enjeux stratégiques considérables pour l’humanité toute entière. C’est à ces jeunes gens à l’avenir désormais plus que compromis que revient la lourde tâche d’établir des bases militaires sur les planètes-portails situées au voisinage des principaux collapsars de la galaxie (autrement dit les trous noirs formés par l’effondrement d’une supernova), afin de prévenir et de contrer les futures attaques des Taurans, représentants d’une mystérieuse civilisation extra-terrestre évoluée aux intentions manifestement hostiles. Les vaillants conscrits embarquent pour Stargate 1, après avoir connu bien des déboires au cours d’un stage d’entraînement intensif sur la très accueillante planète Charon (un véritable petit paradis meurtrier, où la température plafonne à huit degrés au soleil en plein été sur la face la mieux exposée). Reviendront-ils sur Terre ?

 

“La seule manière de rentrer sur Terre – pour moi comme pour vous – c’est d’affronter l’ennemi” (page 15)

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’ai découvert par hasard ce classique américain de science-fiction, dont je n’avais à vrai dire jamais entendu parler avant de tomber dessus en farfouillant dans la bibliothèque geek de mon cher F. J’étais un peu réticente au départ, la SF martiale n’étant pas mon genre de prédilection, ce qui ne m’a cependant pas empêchée d’être une nouvelle fois très agréablement surprise par ma lecture.

 

Nous sommes ici en présence d’un “presque chef d’oeuvre”, et, si le roman présente effectivement deux ou trois scènes soporifiques de batailles un peu longuettes, il serait malgré tout bien dommage de se limiter à cet aspect, passant ainsi à côté d’une formidable expérience littéraire. J’ai pour ma part été captivée par ce fascinant récit, à l’intrigue stimulante et originale. Cela reste de la SF, mais de la SF intelligente et bien construite, autour de thématiques classiques et bien maîtrisées. L’auteur, vétéran du Vietnam, s’inspire de sa propre expérience de soldat, ce qui confère un indéniable réalisme aux situations vécues par Mandella et ses acolytes.J’ai (presque) tout aimé dans ce roman, à commencer par son approche scientifique et technique, laquelle m’a semblé particulièrement convaincante. Joe Haldeman a lui-même bénéficié d’une solide formation en astronomie et mathématiques avant de se consacrer à la littérature, et ses écrits en sont profondément imprégnés. Les personnages de La guerre éternelle voyagent à bord de vaisseaux de plus en plus sophistiqués, à l’intérieur desquelles sont mises en oeuvre des technologies avancées leur permettant de supporter les vitesses supra-luminiques (avec quelques désagréments toutefois). De même, seul un équipement adapté constitué de tenues de combat dernier cri empêche les soldats de succomber aux conditions extrêmes rencontrées sur les diverses planètes visitées, dont la description est par ailleurs très convaincante. Le voyage vers les confins de l’Univers a quant à lui été rendu possible par la découverte du saut collapsar, dont je vous livre le principe en exclusivité :
 
“Il suffisait de projeter un objet à la vitesse voulue sur un collapsar et il ressortait en quelque autre point de la Galaxie. On ne tarda guère à calculer la formule qui permettait de préciser le point de sortie. L’objet se déplaçait le long d’une “ligne” (en fait une courbe géodésique einsteinienne), poursuivant sa course dans la même direction comme s’il n’avait pas rencontré de collapsar, et ce jusqu’à ce qu’il atteigne un autre champ collapsar, champ dans lequel il réapparaissait. Entre deux collapsars, le temps de déplacement était égal à zéro.” (page 11)
 

Merci Albert.Cette avancée scientifique inespérée offre à l’espèce humaine l’opportunité de s’accaparer poser le pied sur des astres inconnus et inexplorés, qui seront bien vite transformés en havres de paix bases militaires stratégiques. Ben, quoi, il faut bien se défendre ! Tout cela se déroule évidemment dans des environnements hostiles et grandioses, où la vie humaine n’a que peu de prix (la planète Charon vaut son pesant de cacahuètes, mais fait figure de douce rigolade à côté de ces petites merveilles que sont les planètes-portails).
 
“Certes, il allait faire froid là où nous allions, mais ce ne serait ni un froid de neige ni un froid de glace. Quasi par définition, puisque les collapsars n’émettent aucun rayonnement, la température d’une planète-portail ne s’écarte du zéro absolu que de un ou deux degrés. Tu n’as pas le temps de frissonner que tu es déjà mort.” (page 10)
 
L’intrigue se développe sur fond de guerre intersidérale, les armées de la Terre unifiée affrontant pendant plusieurs siècles leurs nouveaux ennemis Taurans, dans un conflit qui semble ne jamais devoir prendre fin. Le thème de l’invasion extraterrestre n’est ici qu’un prétexte, l’envahisseur restant à des années lumière de notre planète, qui ne sera jamais réellement menacée. C’est (comme souvent) à une guerre absurde que prend part William Mandella, témoin impuissant d’une vaine campagne militaire, orchestrée par des politiciens et des généraux sans scrupule.

 

“On était en 1997, et personne n’avait jamais rien vu des Taurans. D’eux, on ne connaissait rien de plus grand qu’un chromosome calciné.” (page 6)

 

Rien de tout cela ne serait possible sans les collapsars, qui introduisent une dimension supplémentaire, probablement la plus intéressante du roman. Nous connaissons tous cette conséquence de la théorie d’Einstein, à savoir que le fait de se déplacer à une vitesse supérieure à la célérité de la lumière implique une dilatation du temps. Ce phénomène a été exploité par moult récits de science-fiction, à commencer par La Planète des Singes, dans lequel une équipe d’astronautes “perd” plusieurs milliers d’années au cours d’un voyage de quelques mois seulement. Un thème on ne peut plus fascinant, qui rend plausible le concept de voyage dans le temps. Mandella ne vieillit presque pas au cours du roman, dont l’action s’étend pourtant de 1997 à 3143 !! Il se passe bien des choses en 1200 ans, et chaque retour de William à la civilisation lui permet de découvrir de nouvelles évolutions, symbolisées par de fulgurants progrès technologiques. La guerre éternelle commence dans un univers proche du nôtre, pour s’achever dans un monde futuriste, qui n’a plus rien à voir avec celui que nous connaissons. La Terre semble de plus en plus effrayante, et les modèles de société qui se succèdent n’ont rien de réjouissant, l’être humain se voyant peu à peu dénier toute forme de libre-arbitre. Pas étonnant que le héros préfère rempiler pour une nouvelle campagne, plutôt que de s’éterniser sur cette planète bien peu accueillante ! J’ai vraiment beaucoup aimé cet aspect de l’intrigue, que j’ai trouvé tout à fait envoûtant, et remarquablement bien amené par l’auteur.

 

Les interrogations métaphysiques que suscite inévitablement une telle situation offrent un fort potentiel dramatique, qui culmine dans la relation entre William et son amie Marygay, tous deux rescapés de la première campagne, et désormais seuls au monde. Leurs nouveaux compagnons de route sont nés plusieurs siècles après eux, et il leur est bien difficile de s’adapter à ce monde nouveau, qu’ils ont bien du mal à comprendre et à appréhender. La guerre éternelle n’est donc pas seulement un récit guerrier, mais aussi une belle histoire d’amour sur fond de questionnement existentiel, qui se révèle au final bien plus riche que je ne l’imaginais au départ.

 

Voici donc de la bien belle ouvrage, que je recommande chaudement à tous ceux et celles d’entre vous qui souhaiteraient découvrir de bons romans de SF faciles d’accès. N’hésitez pas à sauter quelques passages lors des deux grandes scènes de bataille, qui cassent le rythme, et que j’ai moi-même lues en diagonale !
 
De la très bonne SF, accessible à tous. A lire !

 

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Et hop, un nouveau roman pour le challenge Les lieux imaginaires d’Arieste, catégorie “Dystopies et lieux cauchemardesques”.

 

6 thoughts on “La guerre éternelle – Joe Haldeman

    1. Dommage, il est pourtant très bon ! Mais je comprends que l'on puisse ne pas être attiré par ce type de livre (moi-même, j'ai eu du mal à m'y mettre).

  1. Je (vous) signale à toute fins utiles que, non seulement une BD en 3 volumes en a été tirée (dessinée par Marvano, parue en 1988-89), mais qu'en plus ce dessinateur a aussi dessiné sous le titre de "libre à jamais" le livre de Haldeman, "La liberté éternelle", qui est la suite de "La guerre éternelle".
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

    1. J'ai la suite dans ma bibliothèque (mais j'attendrai un peu pour la lire). Quant à la BD, je connaissais son existence, mais je n'ai pas encore cherché à me la procurer. Merci pour ces informations, dont j'ai complètement oublié de parler dans mon billet !

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