Le Séducteur – Richard Mason

Titre original : History of a pleasure seeker
Traduction : Aline Oudoul
Robert Laffont, 2011, 339 pages

 
Les premières phrases :

Piet Barol avait découvert, au détour de l’adolescence, son grand pouvoir de séduction sur la plupart des femmes et sur nombre d’hommes. Il était assez mûr pour en tirer parti, assez jeune pour se montrer impudent et assez expérimenté pour sentir qu’aujourd’hui cela pourrait se révéler décisif.

 

L’histoire :
Amsterdam, 1907. Piet Barol, jeune homme élégant, cultivé, ambitieux et plein de charme, entre au service de la richissime famille Vermeulen-Sickerts, en tant que précepteur du jeune Egbert. Il pénètre ainsi dans l’intimité des habitants de la somptueuse demeure, et se lance alors dans une vaste entreprise de séduction / manipulation, enfreignant par là même de multiples usages.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je prends enfin le temps de rédiger mon billet sur ce roman lu il y a déjà presque deux mois, qui ne m’inspire à vrai dire que peu de commentaires. Je reste sur une impression mitigée, globalement favorable sans cependant être franchement enthousiaste. Le Séducteur possède pourtant d’indéniables qualités, et demeure d’un bout à l’autre une lecture plaisante, l’auteur faisant preuve d’une certaine habileté narrative, soutenue par une écriture fluide et assez prenante, de nature à retenir l’attention du lecteur.

 

L’entrée en matière est extrêmement séduisante : nous suivons les pas du jeune héros, et découvrons avec lui le quotidien de la famille Vermeulen-Sickerts, qui incarne ce qui se fait de mieux dans la bonne société néerlandaise de la Belle Epoque. Piet Barol a un statut supérieur à celui des domestiques, dont il partage néanmoins les “appartements” et les confidences, bien que ses manières et son éducation le rapprochent davantage de ses employeurs. Le jeune précepteur nourrit de hautes ambitions, et ne rêve que du jour où, fortune faite, il pourra enfin voler de ses propres ailes. Il n’hésite pas à jouer de ses charmes et de son statut ambigu pour manipuler son entourage, espérant ainsi gravir peu à peu les échelons de la réussite sociale. Autour de lui gravitent plusieurs personnages secondaires, tous intéressants, bien que la plupart d’entre eux ne soient pas assez développés à mon goût.

 

Le contexte peut rappeler celui de la série Downton Abbey, notamment lorsque le roman évoque le monde des serviteurs en parallèle de celui des maîtres. J’ai apprécié cet aspect, mais l’oeuvre de Richard Mason me paraît toutefois beaucoup moins subtile, accumulant les clichés et les situations grossièrement caricaturales, comme en atteste le résumé qui suit (lui-même honteusement caricatural, je le reconnais bien volontiers). Les domestiques aspirent à une vie meilleure, et ne témoignent que peu de respect à leurs maîtres, tout en s’acquittant de leurs fonctions avec dignité. Une complicité de circonstance (et plus si affinités) s’installe alors entre le valet de pied et le précepteur, tandis que ce dernier tente de séduire les représentantes féminines de la très puritaine (et néanmoins extrêmement moderne) famille Vermeulen-Sickerts, au nez et à la barbe du patriarche Maarten, magnat de l’hôtellerie internationale, lequel se trouve évidemment être un homme redoutablement bon et généreux. Son épouse Jacobina, 46 ans, est une femme frustrée, qui découvre sur le tard les plaisirs charnels dans les bras de l’entreprenant Piet Barol, dont les appétits sexuels lui arracheront maints soupirs d’extase, et autres gémissements de plaisir longtemps réprimés. Sa fille Louisa incarne quant à elle l’archétype de la jeune femme émancipée, qui rejette vigoureusement les codes et les convenances du monde dans lequel elle a grandi, et se montre volontiers insolente vis à vis de l’orgueilleux précepteur de son frère Egbert (dont le comportement lunaire, proche de l’autisme, apporte une rafraîchissante petite touche d’absurde au récit).

 

Rien de nouveau sous le soleil, donc. J’ai apprécié ma lecture, mais on ne peut pas dire que j’en aie retiré grand chose. J’ai trouvé que  l’auteur n’exploitait pas suffisamment le potentiel de ses personnages, et j’ai parfois eu la sensation que le contexte historique ne servait que de prétexte à la mise en place d’une intrigue sulfureuse, par ailleurs sans grand intérêt. L’époque choisie (à savoir le début du XXème siècle) aurait pourtant pu (dû) donner matière à davantage d’approfondissement. Je peux comprendre que l’auteur ait préféré se concentrer sur les aventures rocambolesques de son personnage principal, mais ce manque de profondeur et d’ouverture est à mon avis ce qui fait toute la différence entre un grand roman et cette petite fantaisie légère, certes sympathique mais superficielle. J’ai dévoré Le Séducteur avec avidité, mais il m’aura finalement manqué un petit quelque chose en plus pour être totalement rassasiée. Dommage !

 

La seule véritable originalité du roman réside dans son approche sensuelle et voluptueusement érotique des amours libertines et bisexuelles de Piet Barol, homme de plaisirs et de débauche. J’ai cependant été un peu agacée par les scènes de sexe, assez gentillettes au demeurant, qui m’ont semblé inutilement racoleuses et répétitives. Je me suis également vite lassée des insinuations et des regards lourds de sous-entendus lancés par Piet à la pauvre Jacobina, toute émoustillée par tant d’impudence. On a déjà vu plus subtil ! Reste que le roman dégage une indéniable sensualité, qui plaira sans doute à certains. Je reconnais d’ailleurs que l’auteur fait montre d’un certain talent, les scènes les plus “hot” étant traitées avec élégance et légèreté. Il ne faut pas non plus oublier que Le Séducteur est un roman sur un homme, écrit par un homme, lui-même homosexuel (eh oui, désolée les filles !). Cette approche très masculine m’a peut-être empêchée d’être totalement emportée par l’histoire, d’autant plus que Piet Barol est un individu profondément antipathique, qui ne suscite aucune forme de compassion ou d’empathie.

 

Il est en effet bien difficile de s’attacher à ce personnage de gigolo naïf et prétentieux, Don Juan opportuniste et sûr de ses charmes, qui se retrouve à plusieurs reprises au bord de la catastrophe, mais connaît à chaque fois une chance et une réussite insolentes. C’est bien connu : la chance sourit aux audacieux, surtout lorsqu’ils sont dotés d’un physique avantageux ! Pour l’anecdote, sachez que Piet m’est apparu tout au long de ma lecture sous les traits de Thomas Barrow, valet de pied conspirateur au service de Lord Grantham dans Downton Abbey. Je pense que les deux personnages présentent effectivement quelques similitudes !

 

Un dernier mot concernant l’intrigue du roman de Richard Mason, qui m’a semblé manquer de crédibilité. Les rebondissements sont tirés par les cheveux, surtout dans la dernière partie, et l’on se désintéresse progressivement du destin du jeune précepteur (ce qui peut sembler paradoxal, puisque, je le répète, j’ai tout de même passé un agréable moment dans l’univers de Piet Barol). La dernière page se clôt sur un énigmatique A suivre, laissant présager un deuxième tome. Aurai-je envie de continuer à suivre les aventures de cet odieux personnage ? Rien n’est moins sûr…

 

Je suis en revanche très tentée par 17 Kingsley Gardens (publié chez Pavillons Poche), dans lequel l’auteur s’inspire de l’expérience vécue par sa propre arrière grand-mère, internée en camp de concentration pendant la guerre des Boers. Richard Mason semble être une personnalité aussi intéressante que sympathique, et je serais curieuse de découvrir d’autres versants de son oeuvre.

 
 

Un roman inégal, que j’ai cependant lu avec plaisir, malgré un avis mitigé.

 

Merci à Christelle des éditions Robert Laffont pour la découverte.

 

4 thoughts on “Le Séducteur – Richard Mason

  1. Je n'en suis qu'au début mais je ne suis pas très accrochée pour le moment. Mais j'ai comme toi très envie de découvrir son roman sur la guerre des Boers.

  2. Pour quelqu'un qui n'avait rien à dire de ce roman, tu t'en es très bien sortie. 😀 Vu ta critique, je ne pense pas lire "Le séducteur" bien que j'ai apprécié tes petits parallèles avec Downton Abbey (ah Tom Barrow <3). "17 Kingsley Gardens" par contre me tente bien aussi, ça a l'air beaucoup moins futile comme histoire. ^^

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