Les vaches de Staline – Sofi Oksanen

Lecture commune
avec

 

Titre original : Stalinin lehmät
Traduction : Sébastien Cagnoli
Collection La Cosmopolite, Editions Stock, 2003-2011, 513 pages

 
Les premières phrases :

Ma première fois, c’était différent. Je croyais que ce serait atroce, compliqué, sale et gluant. Je croyais que mes entrailles cracheraient du sang et que j’aurais deux fois plus mal au ventre. Je croyais que je n’y arriverais jamais, que je ne pourrais pas, que je ne voudrais pas, mais quand les premiers craquements de mes abdominaux me sont parvenus aux oreilles, mon corps en a décidé pour moi. Il n’y avait pas d’alternative.
C’était divin.

 

L’histoire :
Anna vit en Finlande, et souffre depuis l’adolescence de graves troubles alimentaires. Sa mère Katariina, ingénieur, a quitté son Estonie natale pour suivre son mari finlandais, rencontré à Tallinn en 1971. Cette dernière a tout fait pour gommer les origines estoniennes de sa fille et occulter son propre passé. Tiraillée entre deux pays que tout oppose, hantée par le souvenir dissimulé des traumatismes vécus par la famille de sa mère sous le régime stalinien, Anna peine à trouver sa place, et ne pense qu’à contrôler l’image de son corps. Elle évoque sa “boulimarexie”, et s’interroge sur l’histoire de sa famille, peu à peu reconstituée sous forme de flash-backs.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Les vaches de Staline a été publié en France en 2011, mais il s’agit en réalité du premier roman de Sofi Oksanen, encore auréolée du récent succès de Purge. J’étais tombée sous le charme de ce très beau roman, doté d’indéniables qualités littéraires (à quelques réserves près). Aussi n’ai-je pas hésité une seconde lorsque Philisine Cave a proposé cette nouvelle lecture commune.

 

On reconnait très vite le style et les préoccupations de l’auteur. Les deux romans présentent une construction originale, alternant les époques et les points de vue, et abordent des thèmes similaires, tels le déracinement ou la transmission inter-générationnelle. Les deux textes font la part belle à l’Histoire de l’Estonie soviétique, qui embrasse les destins individuels des personnages. La famille de Sofia, mère de Katariina et grand-mère d’Anna, connaîtra dès 1941 la peur de la déportation en Sibérie et la rudesse de la vie dans le kolkhoze. Famine, propagande, chapardage, dénonciations et exécutions sommaires sont alors le quotidien d’un peuple meurtri, victime de l’idéologie stalinienne. Plus tard, l’Estonie, rongée par la pauvreté, la pénurie et la prostitution, offrira un contraste saisissant avec sa voisine, la riche Finlande, terre promise et objet de tous les fantasmes.Cette plongée au coeur de l’Histoire avait tout pour me séduire. Ce premier roman, certes intéressant, m’a cependant semblé moins abouti, trop brouillon, et au final moins convaincant que Purge, que j’ai par ailleurs trouvé nettement plus abordable.
 
L’écriture est pourtant plus incisive dans Les vaches de Staline que dans Purge. La narration consiste en une succession de courtes séquences percutantes, nous présentant tour à tour le destin d’Anna et celui de sa mère. Le passé est rédigé à la troisième personne, tandis qu’Anna prend elle-même la parole pour évoquer le présent. Cette distinction se brouille parfois, et le “je” est brusquement remplacé par “Anna” dans le même paragraphe, ce qui introduit une certaine confusion. Je pense que cela traduit les troubles identitaires du personnage, mais le procédé est assez déroutant.
 
“Katariina se rappelle les mots de son amie Anne : son pays, on ne le quitte pas, on en est arraché.” (p.164)Sofi Oksanen aborde le thème du déracinement. Katariina nie ses origines estoniennes. Un refus douloureux qui tourne vite à l’obsession, et qui aura de terribles répercussions sur l’équilibre psychologique et la santé d’Anna. Katariina veut faire de sa fille une véritable finlandaise, allant jusqu’à lui interdire de parler la langue de ses ancêtres. Ce passé refoulé, “honteux”, se traduira par de violents troubles alimentaires, reflétant les problèmes identitaires et le malaise de la jeune femme. Obsédée par son poids, obsédée par la nourriture, Anna se détruit à petit feu, et nous offre une description très détaillée de ses “séances” de gavage, inévitablement suivies de vomissements. L’auteur ne nous épargne rien, allant parfois jusqu’à l’écoeurement (ce qui ne manquera pas de rebuter certains lecteurs). Anna a le dégoût de son propre corps, avec lequel elle entretient des rapports compliqués. Rien d’étonnant à cela, quand la femme estonienne est si souvent associée à la notion de prostitution… Rien n’est simple pour Anna, estonienne non assumée en Finlande, finno-finlandaise en Estonie, où elle incarne la richesse et la profusion. On comprend aisément qu’elle peine à trouver sa place, et qu’elle ait du mal à mener une vie sexuelle épanouie aux côtés de son amant Hukka !
 

Les Vaches de Staline nous conte donc l’histoire dense et douloureuse d’un drame sur plusieurs générations. J’ai pourtant ressenti un certain détachement, ne parvenant pas à éprouver la moindre empathie pour des personnages auquel il est difficile (voire impossible) de s’attacher. Il me semble que la partie consacrée à Anna aurait pu bénéficier d’un meilleur traitement. Certaines de mes copines de LC semblent avoir eu du mal à terminer le livre. Ce n’est pas mon cas. Si je n’ai effectivement pas ressenti beaucoup d’émotion, je me suis malgré tout retrouvée happée par cette histoire, que j’ai lue très rapidement. Je n’ai pas été rebutée par la description des “séances” d’Anna, et j’ai trouvé le roman intéressant, avec quelques longueurs cependant. Dommage que la forme soit parfois trop confuse. Il y avait là matière à réussir un grand livre, mais la mayonnaise ne prend pas complètement.

 
Un roman intéressant et dérangeant, malheureusement trop confus. Je suis à ce jour incapable de dire si j’ai aimé ou pas, et j’ai eu bien du mal à écrire mon billet !
 
N’hésitez pas à vous rendre sur les blogs des autres participantes pour découvrir leur avis.
 
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Nouvelle participation au challenge Petit Bac d’Enna, catégorie Animal et Personnage Célèbre.
 
Et un billet de plus pour le challenge Voisins, voisines d’Anne !

 

12 thoughts on “Les vaches de Staline – Sofi Oksanen

  1. J'ai hésité à l'emprunter à la bibliothèque et ne l'ai pas fait. Il m'intéresse mais ce ne sera pas un indispensable ! Il a les défauts et les excès d'un premier roman, sans doute…

  2. Je viens lire ton avis alors que je ne parviens toujours pas à rédiger le mien.J'éprouve un trop grand détachement face à cette histoire qui aurait du m'émouvoir.

  3. Sincèrement, vu la qualité de ton billet, on a du mal à croire que tu as peiné pour l'écrire 🙂
    Je n'étais pas tentée, je ne regrette pas 🙂

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