Le poids du coeur – Rosa Montero

Titre original : El peso del corazon
Traduction (espagnol) : Myriam Chirousse
Métailié, 2015/2016, 357 pages

 

La première phrase :
Les humains sont de lents et lourds pachydermes, alors que les réplicants sont des tigres rapides et désespérés, pensa Bruna Husky, rongée d’impatience d’avoir à attendre dans la queue.

 

L’histoire :

 

C’est en revenant du très crasseux (et très toxique) District Zéro, où elle s’est rendue pour les besoins d’une enquête, que la réplicante Bruna Husky recueille contre son gré la petite Gabi, enfant sauvage irradiée et condamnée à une mort certaine à plus ou moins court terme. Alors qu’elle s’efforce tant bien que mal d’apprivoiser la fillette, confiée aux bons soins de son ami Yiannis l’archiviste, la détective se retrouve malgré elle impliquée dans une bien sombre affaire…

 
 

L’opinion de Miss Léo :

 

Bruna Husky, le retour. Des larmes sous la pluie avait été un quasi coup de coeur. J’ai donc très logiquement sauté de joie lorsque j’ai découvert l’existence de cette suite dans la liste des parutions de janvier des éditions Métailié (soyons honnêtes, j’ai même frôlé la crise d’hystérie). Je me suis jetée les yeux fermés sur ce second tome, sans même lire la quatrième de couverture, et je n’ai pas été déçue. La formidable Rosa Montero réussit un joli tour de force avec ce nouvel opus, qui se révèle tout aussi convaincant que le premier.
 

On retrouve avec plaisir l’univers dystopique créé par la romancière espagnole, qui sert de cadre à un thriller futuriste au scénario très abouti, ponctué de morts violentes et de découvertes saisissantes, mais aussi (surtout ?) de jolies réflexions philosophiques sur l’imagination, les souvenirs, la mémoire, et la mort. La réplicante de combat Bruna Husky se retrouve une nouvelle fois impliquée dans une enquête périlleuse, aux côtés de personnages désormais récurrents (le flic Paul Lizard, le vieil archiviste Yiannis, le boubi Bartolo), auxquels viennent s’ajouter quelques nouveaux protagonistes. L’intrigue se déroule en l’an 2111 (si mes calculs sont exacts), dans un futur réaliste et peu engageant, d’autant plus effrayant que tout porte à penser qu’il puisse être un prolongement crédible de notre monde actuel. Pollution, catastrophes écologiques, zones sinistrées, guerres, gestion des déchets radioactifs, omniprésence de l’argent comme gage d’une certaine qualité de vie (et encore, on ne peut pas dire que le sort des nantis fasse particulièrement rêver, dans cette société où la plupart des aliments sont remplacés par de vulgaires ersatz à base de méduse)… Rosa Montero a parfaitement saisi les enjeux cruciaux des années à venir, qu’elle intègre à un univers de science-fiction riche et cohérent, disposant de sa propre chronologie et de ses archives. Ce deuxième opus nous permet notamment de découvrir la Terre Flottante de Labari, angoissante théocratie tyrannique en orbite autour de notre planète.

 

Bruna Husky confirme quant à elle son statut d’héroïne marquante et attachante. Ses angoisses existentielles et son besoin constant d’affection soulèvent la question de l’humanité des reps (aussi appelés techno-humains), déjà largement évoquée dans Des larmes sous la pluie, lui-même hommage revendiqué au Blade Runner de Philip K. Dick et Ridley Scott. Bien plus émotive que la plupart de ses semblables, la jeune femme se répète telle une lancinante litanie le compte-à-rebours temps qu’il lui reste à vivre (trois ans, dix mois et quatorze jours avant que ne se déclare le mal fulgurant et inéluctable auquel seront un jour confrontés tous les androïdes), et se désole de sa mort programmée, dont elle n’a que trop conscience. Cette deuxième aventure marque toutefois le début d’une évolution dans la personnalité de Bruna.

 

Pour résumer : Le poids du coeur est roman intelligent, sensible et hautement divertissant, qui plaira tout autant aux néophytes qu’aux amateurs de SF. Il peut-être lu indépendamment du premier tome, mais je vous conseille tout de même de débuter par Des larmes sous la pluie, qui vient justement de sortir en poche (il faut d’ailleurs que je pense à me l’acheter). Je suis pour ma part toujours aussi fan de Rosa Montero : l’écrivain madrilène confirme à chaque nouveau roman son exceptionnel talent de conteuse, et met son imagination fertile et sa culture au service d’une oeuvre éminemment personnelle (qui bénéficie qui plus est de l’excellente traduction française de Myriam Chirousse). A quand la suite ???

 
Excellent roman ! A lire, évidemment.
 
Merci aux éditions Métailié.
 
Keisha a également été séduite (mais comme moi, elle n’est pas totalement objective lorsqu’il s’agit de Rosa).